L'infirmière Magazine n° 390 du 01/02/2018

 

POST-IRMA

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Sandra Mignot  

À Saint-Martin, quatre mois après le passage du cyclone Irma, la vie a repris son cours. Et si tous n’ont pas un toit sur la tête, la plupart des soignants sont toujours à leur poste.

On s’adapte, observe avec philosophie Maëva Lainel, coordinatrice du service de soins à domicile Claire Arrondell de l’île de Saint-Martin, en Guade-loupe. On s’attache aux choses matérielles mais quand tout est détruit, il faut bien repartir de zéro. » Quatre mois après le passage dramatique du cyclone Irma sur la petite île du nord des Antilles, les professionnels de santé sont à pied d’œuvre pour assurer leur mission, même si toutes les infrastructures sont loin de fonctionner à plein régime. « Mais nous avons été beaucoup aidés : par les familles qui ont assuré les soins de leurs proches quand nous ne pouvions pas venir, par les collègues libéraux qui se sont occupés des patients dans leurs quartiers ou par l’aide matérielle et professionnelle apportée de l’extérieur », témoigne Maëva Lainel (lire encadré).

Une mobilisation exceptionnelle

L’Eprus(1) a en effet envoyé successivement 584 réservistes sanitaires, représentant vingt-quatre professions, entre la deuxième semaine de septembre et fin novembre. Il a également affrété pour douze tonnes de matériel et de produits de santé. « C’est la première fois que nous mobilisons autant de moyens sur une telle durée, reconnaît Nicole Pelletier, directrice « alerte et crise » de Santé publique France. Il y a eu de nombreux médecins, aides-soignants, coordonnateurs de crise et logisticiens. Les soignants restaient dix jours maximum. » Mais plus souvent une semaine, ce qui a pu poser problème. « En Ehpad, nous aurions aimé que les infirmières restent plus longtemps, explique Brinda Macdonna, infirmière du Bettany Home. En général, elles n’étaient disponibles que pour une semaine – ce qui se comprend, bien sûr, vu les besoins de leurs établissements d’origine. Mais, le temps d’arriver et de repartir, elles n’étaient opérationnelles que trois ou quatre jours. Pour connaître le fonctionnement et les résidents, c’est trop peu.Cela exigeait de nous beaucoup de présence, alors que nous étions très fatiguées. »

Seuls les psychologues, intervenus vers la fin de la période de soutien, ont assuré des missions plus longues, jusqu’à trois ou quatre semaines. « Pour la prise en charge des stress post-traumatiques, il faut rester plus longtemps  », observe Nicole Pelletier. D’autant plus que certains résidents, assez autonomes pour sortir, ont été choqués, voire déprimés, des dégâts qu’ils ont vus. Pour les autres, lorsque cela a été possible, l’équipe a organisé des sorties véhiculées, afin qu’ils puissent se rendre compte. Des résidents sont également arrivés après Irma, car ils n’avaient plus de toit. Brigitte Partero, cadre de santé du Bettany Home, confie que c’est très douloureux, qu’ils demandent sans cesse quand ils pourront rentrer chez eux.

Difficile communication

Autre difficulté observée dans le travail avec les réservistes : la communication orale. « On dit qu’il y aurait, à Saint-Martin, 108 nationalités, explique Brigitte Partero. Je ne sais pas si c’est aussi élevé mais il est certain qu’ici, il faut naviguer entre les langues. Beaucoup de gens parlent anglais, créole, papiamento (un créole néerlandais), espagnol. Même si la langue officielle est le français, en dehors des transmissions, avec les patients, les familles et entre nous, nous ne parlons pas souvent français. Cela a été compliqué pour les réservistes non préparés et une complexité de plus pour se coordonner avec les équipes. »

Ces professionnels de santé en renfort ont toutefois soulagé les équipes locales. « Cela a permis à certains de souffler et de prendre le temps de s’occuper de leur situation personnelle », analyse Nicole Pelletier. Pourtant, Pierrette Meury, vice-présidente du conseil départemental de l’Ordre de Guadeloupe, continue de s’inquiéter pour le moral des insulaires. « Je sens une vraie fragilité psychologique dans l’ensemble de la population, et donc également parmi les soignants. Ils cherchent à minimiser, parce que comme on sait, les infirmières s’occupent d’abord des autres, mais il y a l’épuisement, la période d’insécurité qui a été vécue… Ceux qui ont fait partir leurs enfants ressentent un manque affectif. Je crains qu’il y ait une période de décompensation dans les semaines à venir. »

Des effectifs toujours restreints

Pourtant, les professionnels tentent de retrouver un fonctionnement proche de la normale. Côté hospitalier, le directeur adjoint estime que l’établissement est à 50 % de ses capacités. Le service de médecine et ses 24 lits a rouvert, ainsi que la psychiatrie et ses 10 lits, depuis fin décembre. Les centres médico-psychologiques (adulte et pédiatrique) ont été installés dans des préfabriqués sur le parvis de l’hôpital. Après le cyclone, leurs bâtiments avaient été victimes d’un incendie. « Au point qu’on se demande s’il est financièrement intéressant de les rénover », réfléchit Christophe Blanchard, directeur adjoint du centre hospitalier Louis-Constant-Fleming, à Concordia. Côté personnels, ici comme en soins de ville, quelques professionnels manquent à l’appel, mais pas autant que la panique ne l’avait fait craindre après la catastrophe. Des professionnels en fin de contrat ou des remplaçants ont certes choisi de quitter l’île définitivement. « Nous avons ainsi perdu une dizaine de professionnels, des soignants surtout, observe Christophe Blanchard. Nous sommes en effectif très réduit au bloc, nous ne prenons toujours que les urgences. Certains soignants sont revenus mais il manque toujours deux Iade et quatre Ibode. » En ville aussi, la plupart de ceux qui étaient partis sont revenus, après avoir mis leurs enfants à l’abri ou s’être ressourcés. Naomi Maccow a pris une semaine pour installer ses enfants en métropole : « Mais ma remplaçante, qui avait dépensé ses économies pour s’installer ici et qui venait de commencer, est partie et n’est pas revenue. » Deux pharmacies sur les huit que comptait la partie française de l’île n’auraient pas rouvert, et selon Naomi Maccow, il ne reste qu’un podologue. Après le cyclone, les patients sont aussi moins nombreux à nécessiter des soins réguliers. « Certains de nos résidents ont été transférés en Guadeloupe ou sont repartis dans leur famille », observe Brigitte Partero. Le Service de soins infirmiers à domicile (Ssiad) avait perdu 20 % de ses patients dans les semaines après la catastrophe, mais il a repris une activité auprès de 32 personnes (contre 35 avant Irma), certains patients particulièrement sinistrés ayant été placés dans l’établissement.

Côté infrastructures, alors qu’une première évaluation avait chiffré les travaux sur l’hôpital à quelque 2,85 millions d’euros, le directeur adjoint parle désormais plutôt de neuf millions. « Le chiffrage n’est pas terminé, observe Christophe Blanchard. Au fur et à mesure qu’on dégage et qu’on explore, on voit que des dalles ont bougé et que les dégâts sont plus importants que prévu. » Quoi qu’il en soit, il faudra activer les travaux rapidement, car la prochaine saison des cyclones redémarre au 1er juin.

1- Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires.

MOBILISATION

Des soutiens comme s’il en pleuvait

Différents acteurs ont soutenu les soignants. Le conseil national de l’Ordre a débloqué un budget de 1 500 ¤ par infirmière qui le demandait (dix-huit l’ont obtenu, cinq dossiers sont en attente). « Des salariés ont tout perdu, observe Pierrette Meury. Ils ont dû installer leurs enfants en métropole car ils n’avaient plus ni logement ni école. Il faut les aider à couvrir ces frais. » Ces aides financent aussi les réparations des logements, en attendant les assurances. L’Ordre a pu fournir des ordinateurs aux libérales ainsi qu’une aide juridique en cas de problèmes avec les assurances.

« Nous sommes sur une île binationale.Certaines avaient contracté une protection côté hollandais qui ne protège pas comme en France. » Enfin, l’Ordre a mis en ligne un formulaire d’adhésion rapide.

« Pour bénéficier d’une rémunération par la Sécurité sociale, les infirmiers devaient être inscrits  », ajoute Pierrette Meury. L’assurance maladie a en effet mis en œuvre une rémunération au prorata du chiffre d’affaires annuel précédent réalisé par les libéraux, qui ne peuvent plus télétransmettre, faute d’accès à Internet.

« Malheureusement, certains attendent toujours cette compensation  », précise Malory Bordas, Idel. La caisse de retraite Carpimko a, elle, débloqué 1 000 € par soignant libéral. Des mutuelles ont enfin offert jusqu’à trois mois de cotisations. Et des fournisseurs de logiciels de télétransmission ont mis à disposition des lecteurs à prix très bas.