L'infirmière Magazine n° 390 du 01/02/2018

 

FORMATION

SUR LE TERRAIN

Un cas d’hématome chez une personne âgée a retenu l’attention de trois IDE.Suivant la méthode Alarm, elle ont lancé un travail de groupe et fait collaborer tous les acteurs. Une proposition de prise en charge plurisdisciplinaire est née de leur étude.

Les infirmières consultantes du CHU de Montpellier (34) et l’équipe du réseau ville-hôpital Cicat-Occitanie (ex-Cicat-LR) ont été interpellées par un cas particulier de prise en charge d’un hématome chez une personne âgée sous anticoagulants. Elles décident alors de l’analyser à distance en recourant à la méthode Alarm (Association of litigation and risk management), recommandée par la Haute Autorité de santé (HAS)(1). Pour rappel, cette méthode consiste à analyser un événement indésirable (EI) a posteriori. Il s’agit notamment de dépasser les simples causes immédiates pour rechercher les facteurs latents, organisationnels, de l’EI. La démarche a consisté à découper, dans un premier temps, les faits de manière chronologique, puis, dans un second temps, à identifier les facteurs contributifs aux différents problèmes rencontrés.

Une certaine méconnaissance de la physiologie de ces hématomes et de leur prise en charge a pu être mise en évidence. À partir de ce constat, des sous-groupes de travail ont été constitués, avec pour objectifs d’effectuer une recherche bibliographique et de mener des réflexions sur les différents axes dégagés. De ce travail est née une proposition d’arbre décisionnel de l’hématome selon son évolutivité (voir p. 51). Sylvie Palmier et Cécile Humbert, IDE consultantes et formatrices Plaies et cicatrisation au CHU Montpellier, et Marjorie Cabrol, IDE coordinatrice au sein du réseau ville-hôpital Cicat-Occitanie, témoignent de cette expérience.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Qu’est-ce qui a motivé votre démarche ?

MARJORIE CABROL : Je suis coordinatrice au sein du réseau ville-hôpital Cicat-Occitanie depuis plus de six ans. Une de mes missions consiste à participer à la montée en compétence de l’équipe des IDE expertes qui assurent les téléconsultations que nous organisons dans le cadre des journées trimestrielles (quatre fois par an). Ces dernières regroupent l’ensemble des acteurs en plaies et cicatrisation entre la ville et l’hôpital. Le but est de se connaître et d’harmoniser nos pratiques.

En tant que coordinatrice, j’ai été sollicitée pour organiser et coordonner la prise en charge d’un cas d’hématome rencontré dans un hôpital local, avec les collègues du CHU. Durant cette intervention, j’ai pu identifier une série de difficultés liées à la complexité de cette situation (qui, heureusement, s’est bien terminée pour la patiente), et j’ai également eu le sentiment d’un retard de la prise en charge de cet hématome. D’où le besoin d’échanger avec mes consœurs hospitalières.

SYLVIE PALMIER ET CÉCILE HUMBERT : Pour nous, en tant que correspondantes du réseau, le point de départ a été la sollicitation de notre collègue coordinatrice. Réfléchir ensemble sur la situation consistait déjà à prendre du recul pour observer et analyser ce qui s’était réellement passé. Il fallait ancrer notre réflexion à la fois dans la réalité des faits, mais également dans un processus, pour pouvoir analyser nos pratiques et celles de nos collègues dans un esprit éthique et réflexif. Conduire un tel échange dans notre groupe est apparu d’emblée comme très porteur pour nous. Nous avons alors proposé de traiter, dans un premier temps, la situation de cet hématome par la méthode Alarm et de la proposer comme thème de travail lors des rencontres trimestrielles.

L’I.M. : En pratique, comment avez-vous organisé ce travail de groupe ?

M.C. : Pour cette réflexion menée a posteriori au sein de l’équipe réseau, c’est l’infirmière de l’hôpital local qui a été invitée à présenter la situation de départ de la patiente. Ensuite, cinq sous-groupes, de cinq à six personnes, ont été constitués pour travailler sur les cinq étapes de l’histoire, avec pour consigne d’analyser la situation :

– en identifiant les éventuels problèmes de prise en charge et les risques au temps T ;

– en recherchant les facteurs contributifs à ces problèmes (les causes) ;

– en imaginant des actions correctives.

Nous avons pris le parti de mélanger, au sein de chaque groupe, des infirmiers et médecins d’établissement, et des infirmiers et médecins du réseau, afin de confronter tous les points de vue.

Les cinq étapes étaient les suivantes :

– Étape 1 : traumatisme de la jambe au sein de l’Ehpad du patient, départ pour les urgences du CHU.

– Étape 2 : prise en charge aux urgences.

– Étape 3 : retour du patient dans son Ehpad et appel quelques jours plus tard par l’IDE correspondante de l’Ehpad pour avoir l’avis du Cicat-Occitanie face à l’aggravation de l’hématome ;

– Étape 4 : depuis l’avis du réseau jusqu’à l’hospitalisation dans l’unité plaie pour geste chirurgical ;

– Étape 5 : retour à l’Ehpad du patient et suivi de la plaie.

Un résumé de ce qui s’était passé a été énoncé à chaque groupe. Des photocopies de documents tels que des courriers, des résultats d’examens ou des fiches de liaison ont été donnés. Chaque groupe devait documenter un tableau :

La synthèse des groupes a permis d’échanger et de décider ensemble d’un plan d’action possible après cette analyse de situation.

S.P. : Parmi les actions correctives envisagées – les autres actions portaient davantage sur les procédures de coordination des différentes équipes –, il a été décidé de rédiger un protocole de prise en charge de l’hématome, qui reprendrait la surveillance, les conduites à tenir ainsi que les critères de gravité biologiques et cliniques.

Les personnes se sont portées volontaires pour se répartir les tâches, certains travaillant sur la bibliographie et d’autres sur les pratiques des différentes équipes, les conduisant à effectuer des recherches sur les prises en charge chirurgicales et non chirurgicales. Lors d’une deuxième rencontre, le travail de chaque groupe a fait l’objet d’une présentation. Il a été décidé de mettre en forme l’ensemble des différents recueils et de les soumettre à validation de l’équipe médico-chirurgicale du Cicat-Occitanie. La dernière rencontre a consisté à travailler en groupe à l’élaboration du poster. Après un rappel sur la méthodologie de rédaction, le groupe a pu réaliser une première maquette, qui a été mise en format informatique les jours suivants.

L’I.M. : Qu’est-ce qui a été selon vous le plus fastidieux, et inversement le plus facile, dans ce travail ?

S.P. : La question de la disponibilité des différents acteurs reste, pour le management de ce type de projet, le plus grand frein (précisons ici que la première rencontre date de juin 2016…). Il est impératif que les coordinateurs gardent le cap ! Mais l’investissement donné par chacun d’entre nous dans cette démarche et le résultat obtenu, notamment avec la diffusion de ce poster, marquent un véritable sentiment de pouvoir et de vouloir agir ensemble sur des situations de travail. Nous avons pu mesurer ensemble le plaisir de créer un outil en partant d’une situation très compliquée au demeurant.

M.C. : Au final, on peut surtout relever que le partage de cette situation a été possible car nous avons tous une grande confiance les uns envers les autres, ce qui nous a permis de « critiquer » objectivement ce parcours de patient. Ce travail s’est fait dans le respect des territoires de chacun mais autour d’une vision commune : améliorer notre fonctionnement et enrichir notre pratique professionnelle.

L’I.M. : Justement, comment envisagez-vous la diffusion de votre outil ?

Dans l’esprit de continuer ce projet en collaboration avec tous les acteurs, nous aborderons ce point lors de notre prochaine journée de rencontre trimestrielle, en mars 2018. La parution dans votre revue est un des moyens de partager notre travail. Par ailleurs, soumettre notre poster, qui a été retenu pour la communication du congrès national de janvier 2018, au regard critique d’autres professionnels reste le seul moyen de donner vie à cet outil.

1- Voir fiche 23 de la HAS, consultable sur : bit.ly/2pdiIdh