PSYCHIATRIE
SUR LE TERRAIN
TRANSMISSIONS
Yvan Hacherez* Florent Bluteau**
*référent pratiques psychocorporelles
**référent sport adapté
Associés dans un même temps de prise en charge groupale, le sport adapté et la relaxation sont proposés aux patients de psychiatrie générale. Une combinaison originale qui prend en compte tant l’action que le repos, et étoffe le lien corps-esprit.
Jouer est une thérapie en soi »(1), disait le psychanalyste Donald Woods Winnicott. Et comme « le jeu induit une simplification radicale du monde du joueur »(2), le patient peut évoluer dans un environnement balisé et contenant. Les stimulations extérieures au jeu et les préoccupations habituelles de chacun sont ainsi laissées au vestiaire. Cette libération donne au joueur une forme de disponibilité sur un mode d’économie psychique.
Le projet « Foot-relax », qui combine activité physique adaptée (APA) et relaxation, a été mis en place au centre psychothérapique de l’Orne (61), en 2014. Il est proposé, une fois par semaine, pendant des séances d’une heure et demie, à des patients identifiés en amont par le psychiatre référent – la prescription médicale peut parfois être doublée par celle d’un médecin généraliste – et qui souffrent, pour un bon nombre, de troubles psychotiques. Des recherches récentes démontrent que, pour certains patients dépressifs, les bénéfices du sport seraient supérieurs à ceux des médicaments(3).
L’idée d’associer APA et relaxation est née après des observations de terrain et en réponse à un besoin institutionnel. Le vécu contraignant de l’hospitalisation est souvent récurrent chez les patients psychotiques. Aux angoisses et émotions négatives (tristesse, peur et colère) fréquemment présentes s’ajoute, la plupart du temps, un déséquilibre manifeste des capacités d’ouverture (relationnelles) et d’introspection (retour sur soi), ce qui peut conduire à des passages à l’acte.
Initialement, Julien est orienté vers une prise en charge individuelle usant du yoga et de la relaxation comme support de soin. Mais, petit à petit, il ressent la nécessité d’une implication physique suffisante pour que la relaxation devienne ensuite plus confortable. Après validation médicale, nous lui proposons la combinaison « Foot-Relax ».
Lors de l’écriture du projet, nous avons opté pour le football et fait le choix d’un jeu collectif dont le contenu est davantage axé sur l’aspect ludique que sur la compétition. Comme pré-requis à la mise en place d’une APA collective, il nous a paru indispensable que chaque personne intègre et s’approprie une règle du jeu commune à tous, afin de favoriser l’émergence d’un climat bienveillant lors des échanges et des confrontations physiques entre les joueurs des deux équipes. La règle du jeu n’est pourtant figée ni dans le temps ni dans l’espace : il est possible de l’adapter, voire de la modifier, sous condition d’un consensus (vote à main levée par l’ensemble des joueurs soignants et patients). Ce qui renforce l’alliance thérapeutique et instaure un climat sécurisant et bienveillant.
Une pratique régulière d’une APA présente de nombreux bénéfices :
→ Physiques : développement des capacités du système cardiovasculaire, respiratoires et locomotrices, hygiène de vie, autonomie et lutte contre la sédentarité.
→ Cognitifs : aide à la représentation du schéma corporel, amélioration de la coordination et de la précision des gestes, estime de soi, anxiété, humeur, concentration et mémoire.
→ Sociaux : communication, respect des règles et sociabilisation.
La relaxation est ici conjuguée comme médiation corporelle. Son usage en psychiatrie remonte à la deuxième partie du XXe siècle. Les indications sont vastes : stress et anxiété, migraine, hypertension, contrôle de la douleur, insomnie, qualité de vie face au cancer, asthme et eczéma. Les méthodes, elles, sont souvent aménagées pour être au plus près des besoins du patient.
Dès les premières séances, Julien trouve ses marques dans l’ensemble de la proposition, mais nous le tempérons pour lui permettre de mieux gérer ses capacités respiratoires, mises à mal par de nombreuses années de tabagisme. L’essoufflement rapide et sa perception des limites physiologiques quant à l’effort en cours nécessitent notre attention pour éviter tout risque de malaise.
Chez les patients psychotiques, des angoisses s’ajoutent aux difficultés relationnelles. Ces capacités de lien à l’autre et à soi sont complémentaires et se déclinent aussi comme agir/s’arrêter ou faire/observer. Elles s’illustrent également dans les approches potentiellement antagonistes entre APA et relaxation. D’ailleurs, les patients ont souvent une prescription (APA ou relaxation) mais rarement en simultané.
Les personnes psychotiques concernées par une prescription d’APA sont régulièrement mues par une recherche d’agir. Dans le cadre du soin, cet « agir » fournit une contenance structurante et rassurante. Mais la fin de séance est rarement suivie d’une verbalisation autre que superficielle et factuelle.
Quant aux personnes concernées par une prescription de relaxation, elles sont invitées au retour sur soi, où il est question d’identifier, de susciter l’expression et de relier les sensations corporelles et les émotions, puis de les mettre en lien avec l’entourage. La relaxation est une médiation difficile d’accès pour bon nombre de patients psychotiques. Au-delà de la demande implicite « d’adaptation des patients », c’est souvent d’un défaut de lien sécurisant dont souffre le sujet, ce qui entraîne de façon symptomatique une « inadaptation ».
C’est ainsi que les deux supports thérapeutiques se complètent. L’expérience de l’APA prolongée par la relaxation est un continuum logique : notre existence entière est constituée de mouvements et de pauses, d’actions et d’observation, de réalisations et de réflexion, de dépenses et de récupération… L’articulation APA/relaxation propose un déroulé qui dynamise puis sécurise le sujet. D’autant que l’exercice physique produit à la fois des sensations de relâchement et de bien-être.
Ainsi, toute séance s’organise en plusieurs temps :
→ accueil des participants : un temps d’échange rapide pour évaluer les conditions physiques et l’état d’esprit de chacun ;
→ échauffement sous la forme de jeux ;
→ jeu collectif en équipe (football) ;
→ pause hydratation ;
→ étirements pouvant se conjuguer sous forme de postures de yoga ;
→ relaxation ;
→ verbalisation des éléments rencontrés, ce qui clôt la séance.
Au bout de huit séances, Julien constate une meilleure endurance pour le foot ainsi qu’un temps de récupération plus court. Les temps de relaxation sont mentionnés comme « une détente rassurante ». En partant de paramètres physiologiques objectivables (ses respirations sont sonores lors du foot et de la relaxation), Julien exprime une satisfaction à voir ses capacités se restaurer, ce qui lui est confirmé par le groupe. C’est un plus pour l’image de soi. Il se sert de la structuration de la séance pour mieux gérer son tonus musculaire et lui amener ainsi plus de confort.
À la reprise, il s’exprime plus distinctement, avec le sourire et une expression du visage concordante et animée. Vu les améliorations constatées, nous explorerons avec Julien, lors du prochain bilan, comment ses séances hebdomadaires pourront se relier à son quotidien.
Dans sa volonté d’étoffer le lien corps-esprit, la médiation « Foot-relax » est un outil prometteur pour réduire ce sentiment de pénibilité. Par sa structuration dynamique, le sport adapté, sous forme de jeu collectif prolongé d’un temps de relaxation, permet au sujet de mieux vivre son hospitalisation dans une relation plus apaisée, à lui-même et aux autres.
1- Jeu et réalité, l’espace potentiel, Éd. Gallimard, 1971.
2- Le cerveau attentif, contrôle, maîtrise et lâcher-prise, Jean-Philippe Lachaux, Éd. Odile Jacob, 2011.
3- « Guérir par le sport », Ferris Jabr et David Da Fonseca, Cerveau et psycho, n° 86, mars 2017.
Julien, patient de 40 ans, est un grand fumeur solitaire. Dans sa relation à l’autre, son regard se fait souvent absent, son attitude posturale laisse transparaître un repli, et ses propos, bien que régulièrement cohérents, sont peu audibles. Son parcours de vie est jalonné d’hospitalisations psychiatriques généralement longues pour cause de schizophrénie paranoïde.
C’est par la volonté institutionnelle d’avoir formé du personnel et attribué des postes spécifiques qu’est né, en 2014, le projet « Foot-relax ». Douze patients, d’une moyenne d’âge de 31 ans, en ont bénéficié sur une durée moyenne de dix-huit mois de prise en charge…
À la lumière des trois ans d’existence de cette médiation, nous avons noté l’enthousiasme des participants, associé à une augmentation progressive et objectivable de l’amplitude des rythmes cardio-respiratoires.
Les bénéfices d’adaptation recensés sont à la fois psychologiques (et notamment relationnels) et physiologiques. Une ouverture à la constitution d’autres groupes pour d’autres publics pourrait être accompagnée par une évaluation et une réflexion pluridisciplinaire plus approfondie.