L'infirmière Magazine n° 390 du 01/02/2018

 

INTERVIEW : JULIEN ROSSIGNOL directeur d’hôpital en poste aux centres hospitaliers de la Côte Basque et de Saint-Palais

DOSSIER

Julien Rossignol, co-auteur d’un ouvrage sorti à l’automne dernier sur la gestion des ressources humaines dans le cadre des GHT(1), estime que, loin d’être génératrice d’inquiétude pour les infirmières, la réforme créera pour elles de belles opportunités de carrière.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Les GHT ont-ils pour objectif de faire des économies sur le dos du personnel, comme le craignent les organisations syndicales ?

JULIEN ROSSIGNOL : Non, la réforme n’est pas faite pour cela. On ne peut pas nier que des efforts de mutualisation seront à faire demain, mais cela n’est pas synonyme de suppression de postes. On pourra faire des économies, mais sur les achats, sur la formation, pas sur le personnel. S’il était question de fermer des hôpitaux, oui, on supprimerait des postes. Mais il s’agit, au contraire, d’aller vers la population, pour offrir le meilleur soin au meilleur moment.

L’I.M. : Que vont changer alors les GHT pour les infirmières ?

J.R. : Ils vont déplacer le curseur de la compétence en l’orientant sur la notion de territoire.

Aujourd’hui, une infirmière travaille dans un hôpital A. Demain, elle pourra travailler aussi dans l’hôpital B, soit en s’y déplaçant, soit dans le cadre de la télémédecine. On ne travaillera plus dans un hôpital, mais dans un GHT. Le quotidien en sera affecté.

L’I.M. : Pensez-vous que les infirmières accepteront facilement de travailler un jour à un endroit, et un autre jour cinquante kilomètres plus loin ?

J.R. : Il faut bien réaliser qu’il n’y a pas qu’un modèle de GHT, mais 135. Il n’y aura pas forcément de déplacements, mais s’il y en a, il faudra bien entendu prendre en considération l’humain. Si on veut obliger les gens à travailler dans une logique de territoire, on n’y arrivera pas. Il faudra que chacun y voie son intérêt : ces mobilités ne pourront s’inscrire que dans le cadre d’une évolution professionnelle.

L’I.M. : Justement, quelles sont les évolutions professionnelles que les infirmières peuvent espérer ?

J.R. : On peut, par exemple, imaginer que certains GHT mettent davantage l’accent sur la santé publique, et que certaines infirmières puissent accéder à des formations spécialisées pour réorienter leur carrière.

De nouveaux métiers vont apparaître, et ce seront des métiers territorialisés. Prenons l’exemple de l’infirmière hygiéniste : il n’y en a pas dans tous les petits hôpitaux, et il faudra imaginer le métier d’infirmière hygiéniste de territoire. Néanmoins, les GHT auront probablement moins d’impact pour celles qui travaillent dans les « établissements support », ceux qui concentrent le plateau technique et la haute spécialisation. Dans les autres, il y aura un véritable travail de conduite du changement et de réadaptation des compétences.

L’I.M. : Comment ce travail pourra-t-il être effectué alors que les ressources humaines ne font pas partie des fonctions mutualisées ?

J.R. : Il y a au moins un aspect de la gestion des ressources humaines qui fait partie des fonctions mutualisées : la formation professionnelle. Il y aura demain, dans chaque GHT, un plan de formation commun, ce qui n’est pas anodin. Et ce n’est pas parce que la loi ne dit pas que l’on peut mutualiser d’autres aspects qu’on ne doit pas le faire. Elle est incomplète, mais offre des opportunités de transformation et de mobilité.

L’I.M. : Ces transformations ne risquent-elles pas de se traduire par une harmonisation par le bas, notamment en termes d’accords sur le temps de travail ?

J.R. : Aujourd’hui, nous n’avons pas encore enclenché l’harmonisation souhaitable des accords locaux. Mais on devra se pencher sur cette question. Si le personnel bouge, on ne pourra pas avoir des semaines de 37 h 45 dans un hôpital, et de 38 h dans un autre. L’harmonisation devra de toute façon permettre à chaque établissement de conserver sa spécificité, notamment pour fidéliser le personnel dans les établissements les moins attractifs.

On devra donc conserver des particularismes locaux.

L’I.M. : L’aboutissement naturel des GHT est-il la fusion des établissements ?

J.R. : Non, c’est une chimère. En revanche, la coopération peut guider les établissements qui ne l’ont pas encore fait vers des directions communes. Il n’y a rien de plus insupportable de voir qu’à trente kilomètres de distance, la politique de salaires, de temps de travail, de recrutement peut être différente. Une DRH de territoire permettrait de simplifier le fonctionnement et de le rendre plus équitable.

1- Jean-Marie Barbot et Julien Rossignol, GHT et GRH, Mettre en œuvre une GRH médicale et non médicale de territoire, LEH Édition, septembre 2017.

1- Jean-Marie Barbot et Julien Rossignol, GHT et GRH, Mettre en œuvre une GRH médicale et non médicale de territoire, LEH Édition, septembre 2017.