L'infirmière Magazine n° 390 du 01/02/2018

 

EXPRESSION LIBRE

Ludovic Bellocchio  

Infirmier en service de médecine cardio-vasculaire et hypertension, Nouvel Hôpital civil, CHU Strasbourg

Je me souviens de ce stage où les soignants pensaient et agissaient tous de la même façon. J’avais été frappé de leur posture, si peu ouverte au dialogue avec le patient. Et moi qui arrivais parmi ces clones avec ma singularité, je m’interrogeais.Fallait-il faire comme tout le monde ? Se laisser absorber par l’équipe pour ne pas en être exclu ? Pouvait-on garder son originalité et sa manière de penser

Un service de soins hospitaliers est une sorte de mini société constituée de personnes qui forment une équipe et travaillent ensemble, unies par le même dessein. D’un point de vue sociologique(1), nos actions et notre façon de penser seraient implicitement guidées par elles. À l’hôpital, nos actions seraient modelées par la généralité de ce qui se fait dans l’équipe. Ainsi, nos collègues infirmières qui ne salueraient pas les patients en leur tendant la main au moment de l’admission pourraient influencer notre propre manière d’accueillir les personnes soignées. D’où la notion de normes comportementales, communément adoptées et admises par le service, et qui s’imposent à nous car « tout le monde fait comme ça ». Les transgresser signerait l’exclusion du groupe. Alors, comment ne pas être tenté de faire comme les autres, pour être accepté plus facilement ? Le choix est crucial : soit préserver un esprit d’équipe et être dans le groupe, soit travailler en fonction de ses convictions, au risque de se trouver à la marge du groupe. Choix difficile pour un nouvel arrivant ou stagiaire…

À l’inverse, on a tous déjà remarqué des personnalités qui émergent au sein de l’équipe et qui ont le pouvoir d’influencer celle-ci. C’est parfois le rôle de l’infirmière « experte », donnant des conseils pertinents et que nous, « novices », sommes prompts à suivre. Ces personnes ont une sorte de charisme et sont perçues comme des individualités auxquelles on attache une importance du fait de leur expérience et de la plus-value qu’elles peuvent apporter à l’équipe. Le novice va agir et se comporter comme elles par mimétisme. Cet effet va se propager entre les différents soignants, entraînant une modification du milieu, en positif si le leader est positif, mais aussi malheureusement en négatif si le leader est toxique. Cependant, nul besoin de se laisser phagocyter par l’héritage de l’ancien, il est tout aussi préférable de laisser son originalité s’exprimer au cours des soins. La touche individuelle, la manière de faire propre, même dans un soin protocolaire, est une marque de la personnalité de l’infirmier. Tout reste question de sens.

Tout l’enjeu du travail en équipe est de composer avec les différentes personnalités. On apprend à travailler ensemble, à trouver un consensus pour faire avancer nos pratiques. Chacun de nous est influençable mais à nous de développer notre capacité à nous affirmer, à nous de conserver notre esprit critique et notre libre arbitre pour nous permettre de cheminer en adoptant des règles simples, de bon sens, impliquant des notions d’éthique et de valeurs communes infirmières.

1- Émile Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, Paris, Flammarion, 2010, p. 333.