FORMATION
CAS CLINIQUE
médecin médiateur, Hôpitaux Universitaires Paris Nord Val de Seine
Le décès subit de M. X. interroge les membres de sa famille, qui souhaitent éclaircir plusieurs éléments avec l’équipe hospitalière. Une médiation est alors mise en place.
→ M. X. est un patient régulièrement suivi à l’hôpital en cardiologie, en pneumologie, en ORL et en réanimation médicale pour des épisodes de décompensation respiratoire.
Ses antécédents médicaux : une BPCO(1) post-tabagique non sevrée, stade 2 ; une hypertension artérielle ; une dysplasie de haut grade des cordes vocales suivie en ORL ; un tabagisme actif.
Ses antécédents chirurgicaux : un carcinome adénoïde kystique de la lèvre supérieure droite traité à deux reprises par exérèse ; un cancer du larynx.
→ Le 27 novembre, M. X. est hospitalisé au service d’accueil des urgences pour dyspnée sévère depuis quelques jours. Un transfert en réanimation médicale est justifié. Une endoscopie des voies aériennes est pratiquée et objective une lésion de la corde vocale droite ainsi qu’une immobilité de la corde vocale gauche. Au décours de l’examen, pratiqué avec anesthésie générale, une dyspnée persistante a conduit à la réalisation d’une trachéotomie. Un transfert en ORL est décidé. Les résultats des biopsies pratiquées confirment le diagnostic de cancer. Une consultation d’annonce a lieu le 30 novembre.
→ Le 2 février, M. X. subit une laryngectomie et un curage ganglionnaire bilatéral. Après un séjour de quelques heures en SSPI(2), le patient rejoint sa chambre à 21 h.
→ J1 postopératoire : l’électrocardiogramme (ECG) met en évidence des troubles de la repolarisation. Un avis cardiologique demandé conclut à l’absence du syndrome coronarien aigu. Des ECG de contrôle confirmeront l’absence de pathologie coronarienne.
→ J6 : M. X. présente une fièvre à 38,7 °C associée à des marbrures des membres inférieurs. La saturation en oxygène est à 97 %. Devant la possibilité d’un événement septique, le médecin urgentiste débute une antibiothérapie associée à une expansion volumique de 1 500 ml de NaCl(3).
→ J7 à J11 : les suites opératoires sont considérées comme normales pour ce type de chirurgie.
→ J12, 6 h : M. X. présente un arrêt cardio-respiratoire. Malgré la prise en charge par l’équipe médicale de réanimation chirurgicale, le décès survient. Des soins de canule trachéale (aspiration, soins de chemise) avaient été réalisés à 5 h 15 par l’IDE. M. X. « allait bien ». C’est lors de son passage à 6 h qu’il est retrouvé en arrêt cardio-respiratoire.
→ Après le décès de M. X., sa femme et sa fille adressent une lettre de réclamation dans laquelle elles relatent leurs observations sur la prise en charge.
Au vu du ressenti de la famille, exprimé dans un courrier adressé à la chargée de relations avec les usagers (CRU), il est proposé à Mme X., ainsi qu’à sa fille, un entretien avec le médecin médiateur.
La première rencontre va durer une heure. Le dossier médical a au préalable été analysé après accord de Mme X., ce qui est notre habitude. Cela semble apporter un gain lors de la première rencontre de médiation : « le médecin médiateur est au courant ». Il est convenu que le compte-rendu de l’entretien, adressé par courriel, ne serait diffusé auprès de la commission des usagers (CDU) qu’après relecture par Mme X.
En préalable, il est rappelé le rôle du médecin médiateur et ce que l’on peut attendre de lui. On explique qu’il n’a pas vocation à défendre l’équipe chargée du patient ni à défendre l’hôpital, qu’il est là pour renouer la confiance entre une équipe de soins et la famille ou le patient. On précise également que si des dysfonctionnements sont notés, des actions correctives seront mises en place. Autre point : le médecin médiateur n’est pas là pour faire une expertise médicale de l’événement. De même qu’il n’est pas habilité à proposer une indemnisation pour le préjudice réel ou ressenti par la famille. Aussi, en fin d’entretien suite à la question de Mlle X. sur une possible indemnisation de Mme X., il lui sera proposé les différentes possibilités de recours (lire p. 43). À ce stade, Mme X. veut s’assurer que des actions correctives seront mises en place pour éviter la récurrence d’une telle prise en charge qui, pour elle, est peut-être à l’origine du décès de M. X.
Au vu des éléments de la réclamation exprimés dans le courrier (voir ci-contre) - mettant en cause l’hygiène dans le service, la communication avec les médecins et les soins infirmiers -, il est décidé de commencer par tenter de trouver des réponses aux questionnements de Mme X. et de sa fille. Pour cela, il a fallu interpeller plusieurs services de l’hôpital afin de proposer une nouvelle rencontre où des réponses à la famille seront apportées.
L’Unité d’hygiène et de lutte contre les infections nosocomiales (Uhlin) devra vérifier les pratiques professionnelles en matière d’hygiène hospitalière. La direction des prestations logistiques examinera si le ménage est effectué selon le cahier des charges de la société prestataire et, si nécessaire, une mise à niveau sera effectuée. Enfin, la cadre expert s’assurera des pratiques professionnelles des IDE et des AS, en particulier la gestion du défunt avant le transfert en chambre mortuaire.
La deuxième rencontre a lieu un mois plus tard. Outre la famille et le médecin médiateur ont été conviés le directeur adjoint chargé de la direction logistique, le médecin hygiéniste responsable de l’Uhlin, la direction des soins et la cadre paramédicale de pôle (CPP). Le but est que chacun explique ce qu’il a constaté et les actions correctives entreprises.
→ Le ménage : la direction logistique explique que sa mission est la réalisation du ménage des sols et des sanitaires. Les réclamations ont été notifiées au prestataire de ménage, la société Z. Après vérification, il est noté que le service n’a pas fait de réclamations sur ses prestations. Les contrôles sont décrits (seize contrôles inopinés par mois). Il existe un protocole entre l’établissement hospitalier et la société Z qui définit les missions. S’agissant d’une zone 3, zone à haut risque et accueillant des patients de façon permanente, le ménage est réalisé une fois par jour, le matin. La direction logistique propose à Mme X. les documents afférents aux obligations de la société Z. Après le constat de la direction des travaux sur l’état des murs, laissant apparaître des traces malgré le nettoyage, une modification de leur revêtement est également prévue (lire p. 39). À noter, le service ORL vient d’être transféré dans des locaux auparavant dédiés à l’urologie.
→ Activité soignante : la CPP organise un Crex (comité de retour d’expérience) à partir de la réclamation de Mme X. Une réunion avec les IDE a déjà eu lieu, reprenant chaque point de la réclamation afin d’y apporter des correctifs. La CPP présente les tableaux de service, qui confirment que les effectifs étaient au complet. Le jour du décès de M. X. étaient présents quatre IDE et trois AS, (effectif requis pour une unité ORL de 27 lits). Mlle X. réitère ses réclamations aux représentants de la direction des soins infirmiers. La CPP regrette que Mlle X. ne l’ait pas contactée au moment des faits. Elle remet à Mme X une note reprenant la prise en charge infirmière des opérés du larynx. Ceci a permis d’expliquer que les soins aux laryngectomisés sont codifiés : auto-aspiration, gestion de la fixation de la canule de trachéostomie, surveillance du pansement. L’accueil des familles et la présentation du défunt seront revus avec les équipes soignantes, la CPP s’étant aperçue lors de l’entretien avec la famille qu’il existait des insuffisances de prise en charge du patient décédé.
→ Hygiène hospitalière : le document d’enquête réalisé par l’équipe de l’Uhlin a été remis à Mme X.
→ Au total, deux points demandent encore des éclaircissements pour Mme X. : l’attitude inacceptable d’une aide-soignante au chevet de M. X., la surveillance de 5 h où M. X. est décrit comme « allant bien » et la découverte du décès à 6 h, où est noté par l’équipe de réanimation un patient en hypothermie. La CPP et la direction des soins vont recevoir les deux personnels, un retour sera fait vers Mme X..
La CPP fait un point sur les travaux en cours réalisés dans le service d’ORL à la suite de la réclamation. Trois chambres sont actuellement en travaux, les autres seront rénovées prochainement.
La CPP et la direction des soins infirmiers ont rencontré les équipes d’IDE et d’AS. Une enquête approfondie a permis de vérifier que les pratiques profes- sionnelles étaient respectées. Avant de débuter l’entretien avec l’IDE en charge de M. X. la nuit de son décès (lire p. 39), la CPP lui a expliqué l’importance de la précision des questions et du détail des réponses. Cet échange doit permettre de comprendre les faits survenus. La CPP détaille les questions posées et les réponses apportées par l’IDE.
→ L’entretien avec l’IDE, puis avec l’AS a permis de préciser certains points. Les tours de soins ont été vérifiés, le passage de l’IDE à 5 h 15 a été expliqué. Il s’agit d’un passage exceptionnel, ne supprimant pas le tour de soins de 6 h. Il a également permis de vérifier que les voies aériennes avaient été immédiatement aspirées, afin d’éliminer la possibilité de la présence d’un bouchon muqueux dès la prise en charge du patient en arrêt cardio-respiratoire. Ceci est une pratique obligatoire dans la surveillance des patients ayant une canule de trachéostomie. Il a été rappelé aux AS que le respect du patient était essentiel, la familiarité ne devant pas faire partie des habitudes de soins. Le document anonymisé de l’entretien sera transmis à Mme X. par la CPP.
→ Des points d’amélioration ont été faits sur les transmissions écrites, l’accompagnement lors du décès, le ménage dans le service d’hospitalisation ORL. La famille a été informée des résultats de ces entretiens menés par la CPP. Les médecins sont impliqués dans le suivi des actions correctives. Au terme de la médiation, Mme X. reste déçue de ne pas connaître l’origine précise du décès de M. X. : il est expliqué qu’en l’absence d’autopsie, il ne faut pas regretter que seules des hypothèses puissent être avancées. Pour Mme X., des doutes persistent également quant aux réponses apportées par l’infirmière en charge de M. X..
Au terme de l’entretien, le médecin médiateur a expliqué à Mme X. que la médiation arrivait à son terme et que l’on ne pouvait pas aller plus en avant.
1- Broncho-pneumopathie chronique obstructive.
2- Salle de surveillance post-interventionnelle.
3- Chlorure de sodium.
→ « Le manque d’hygiène est flagrant dans le service de soins. » « Les infections nosocomiales ne doivent pas parler à grand monde. » Sécrétions trachéales sur la télévision, sur le mur. Solution hydro-alcoolique non disponible pendant plusieurs jours. Sol de la salle de bain collant. Lavabo maculé de sécrétions. La psychologue du service aurait déjà alerté les soignants sur l’hygiène du service.
→ Problèmes de communication et d’information : non-présentation des personnels. Lors de l’appel de l’urgentiste à J6, il aurait été dit à la famille que tout allait bien alors qu’un traitement antibiotique était institué. Le jour de la chirurgie : appel de Mlle X. dans le service vers 21 h pour prise de nouvelles. « Il n’est pas remonté. S’il y a un problème, on vous appellera. »
→ Problèmes de soins infirmiers dès J1 : M. X. n’est pas aspiré, le système mis à disposition est tombé au sol, pas de sonnette à portée. La perfusion diffuse, une étudiante infirmière est chargée de retirer la perfusion, elle aurait failli le faire sans utilisation préalable de soluté hydro-alcoolique. Mlle X. reproche aux IDE d’être peu présentes et que la prise en charge de M. X. soit assurée par des étudiants infirmiers.
M. X. a présenté une décanulation et avait du mal à respirer. L’IDE répond : « C’est normal, il a dû tousser. » Mlle X. estime que si le cordon avait été correctement positionné, cette décanulation ne serait pas survenue.
→ Mlle X. s’étonne que l’infirmière, qui est passée à 5 h 15 (M. X. « allait bien ») soit revenue à 6 h. M. X. a-t-il sonné ? Mais le décès était déjà réel. « Pourquoi le corps était-il déjà froid ? Sachant que l’on perd un degré par heure après un arrêt cardio-respiratoire. »
→ Lors de l’arrivée de la famille le matin, personne ne la reçoit ni ne l’accompagne dans la chambre. M. X. est en attente de transfert vers la chambre mortuaire, non habillé. La trachéostomie est béante sans pansement. La chambre est nettoyée. Un personnel de la société de ménage est entré dans la chambre pour compléter le ménage, visiblement non prévenu par l’équipe soignante qu’il y avait un patient décédé, cette personne aurait été choquée.
→ Au total : Mlle X. considère qu’il y a un problème majeur au niveau de l’équipe soignante. Elle évoque un défaut de surveillance (défaut d’aspiration, décanulation, perfusion non vérifiée, infantilisation du patient par l’AS). Pourquoi l’IDE présente l’a-t-elle vu à deux reprises si M. X. allait bien, il était à J12 postopératoire. Pourquoi aucune surveillance dans le dossier infirmier depuis J10, à 7 h ? Pas de détails sur l’appel à la réanimation, sur les manœuvres entreprises. « M. X. a-t-il été scopé ? »
→ Un bio nettoyage de la chambre du patient sortant est réalisé par la société de nettoyage : sol, mur, sanitaires. Un sol collant est souvent le signe d’un surdosage de produit (un rappel a été fait auprès de la société de ménage.)
→ Un lessivage total des murs et une désinfection totale sont réalisés si le patient est porteur de bactéries multi-résistantes dès la sortie du patient.
→ Les meubles, appareillages et lit sont à la charge des AS.
Hygiène des mains
La fille de M. X. notait que le distributeur de solution hydro-alcoolique (SHA) de la chambre n’a pas été alimenté pendant quatre jours et qu’une friction par SHA n’avait pas été réalisée lors de soins infirmiers vus par Mlle X.
→ En réponse, il faut noter que les consommations de SHA dans le service d’ORL sont dans la bonne moyenne des services de l’hôpital. Bien sûr, cet indicateur de consommation est global et ne prend pas en compte le respect de l’hygiène des mains au cas par cas par le personnel soignant. Les audits réguliers sur la mise à disposition de SHA dans chaque chambre ont montré que les distributeurs étaient approvisionnés dans la très grande majorité des cas, (toujours supérieurs à 90 %), mais il est tout à fait possible qu’une situation de ce type survienne de temps en temps.
→ L’équipe opérationnelle en hygiène de l’hôpital a fait de l’hygiène des mains une priorité depuis plus de quinze ans : elle mène des formations régulières sur le sujet et reste très active pour sa promotion dans l’hôpital, notamment par des Journées hygiène des mains, la mise à l’honneur de services forts consommateurs (dont l’ORL sur les données 2014), et la diffusion large des consommations par service, qui permettent de situer chaque service par rapport aux autres. Cette action volontariste sur l’hygiène des mains et les SHA est aussi relayée à l’AP-HP, et le service d’ORL de Bichat est le mieux placé des services d’ORL de l’AP-HP sur cet indicateur.
Infections du site opératoire
→ En réponse au commentaire sur le sentiment que les infections nosocomiales sont peu considérées dans le service d’ORL : le service réalise depuis maintenant vingt ans une surveillance du site opératoire en chirurgie carcinologique lourde.
→ À noter que M. X. n’avait pas été identifié comme ayant une ISO dans les suites de la chirurgie. Les documents de surveillance sont bien sûr à la disposition du public.
Des questions précises ont été posées.
→ Quelles sont les heures des tours de soins de nuit dans le service d’ORL ? « À 19 h 30 après la prise des transmissions, un premier tour a lieu avec les IDE, puis un second tour a lieu IDE et AS à 21 h 30. Suivant les soins, fin du tour entre 23 h et 1 h du matin. Un tour a lieu à 2 h, puis à 4 h, puis à 6 h, et enfin un suivi personnalisé suivant les prescriptions et les retours de bloc est effectué. M. X. a été aspiré à 5 h, soin spontané de l’infirmière qui l’a entendu sécréter. La porte a été laissée ouverte pour une surveillance rapprochée. »
→ Comment le patient allait-il lors du dernier tour ? « À 5 h, patient calme, alité, sans agitation, les yeux ouverts. Pas d’échange verbal de la part du patient lorsque l’IDE lui explique le soin (aspiration trachéale des sécrétions). Le patient est vivant. »
→ À quelle heure précise a été trouvé le patient décédé ? « À 6 h, le patient est retrouvé en arrêt cardio-respiratoire par l’AS qui appelle l’IDE qui vient immédiatement. Constat de l’absence de réactivité du patient, pas de ventilation, pas de pouls carotidien, début de massage cardiaque et, pendant ce temps, aide apportée par la seconde IDE (deux IDE et deux AS sont au chevet de M. X.). Le chariot d’urgence est approché, le réanimateur appelé par une aide-soignante. Il se présente en cinq minutes à peine. Massage cardiaque, injection d’adrénaline, vérification de la perméabilité trachéale par le réanimateur (absence de bouchon muqueux). Ventilation de 6 h à 6 h 10. Arrêt de la réanimation par le réanimateur après l’examen du patient qui est hypotherme, rigide, ce qui laisse supposer un arrêt cardiaque de plus de trente minutes.
→ Le patient a-t-il sonné ? « Non, le patient n’a pas sonné. »
→ Pourquoi être revenue voir le patient à 6 h ? « Pour le tour habituel et pour le surveiller de plus près compte tenu de son état de santé. »
→ À quelle heure ont commencé les manœuvres de réanimation ? « Dès le constat des critères d’arrêt cardio-respiratoire. »
→ Les voies aériennes ont-elles été désobstruées comme préconisé ? « Oui, à 5 h, puis nouveau contrôle des voies respiratoires à 6 h, pas de bouchon, puis contrôle par le réanimateur à 6 h 10. »