L'infirmière Magazine n° 391 du 01/03/2018

 

CARRIÈRE

GUIDE

MARIE LUGINSLAND  

Il y a dix-huit mois, les commissions des usagers (CDU) se sont substituées aux CRUQPC(1). Au-delà des noms, ce changement signe l’ancrage des patients dans le discours et les pratiques de l’établissement.

Année zéro : 2018. Pour la première fois, les commissions des usagers (CDU) rempliront un questionnaire concernant leur activité de 2017 (voir document). Selon l’article L. 1112-3 du code de santé publique (CSP), il devra être adressé à la Conférence régionale de la santé et de l’autonomie (CRSA) et à l’Agence régionale de santé (ARS). Ces documents centralisés serviront de base à la rédaction d’une synthèse régionale des rapports d’activité.

Dans la continuité

• Toutefois, les CDU ne s’inscrivent pas sur une page blanche. Créées par un décret du 1er juin 2016 dans le cadre de la loi de modernisation du système de santé, et mises en place au plus tard le 3 décembre 2016, ces instances succèdent aux CRUQPC (commissions des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge). Celles-ci avaient été instaurées dans chaque établissement de santé public ou privé en application de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé. Mais les CDU ne se contentent pas de simplifier l’acronyme. En transformant les CRUQPC en CDU, le législateur a mis en place une instance de relation plus aboutie entre établissements et usagers.

La continuité est assurée puisque les CDU reposent dans les grandes lignes sur les mêmes principes que les CRUQPC. Le passage d’une instance à l’autre a donc eu lieu sans heurts dans les établissements. « Cela se fait dans la logique d’une prise en considération plus importante de la part accordée aux usagers. Par exemple, quand nous lançons un projet d’amélioration au sein de l’établissement. Beaucoup de choses ne se voient pas toujours et l’éclairage des patients permet de faire avancer la prise en charge, en partant de leur point de vue, et de porter un regard interne sur notre fonctionnement », estime Marjorie Modolo, cadre de santé et médiatrice au sein de la CDU de l’hôpital Léon-Bérard de Hyères (Var).

Des compétences élargies

• La composition des CDU prévoit, comme précédemment, que soient membres, dotés d’une voix délibérative, les représentants d’associations d’usagers (deux titulaires et un suppléant), désignés par le directeur général de l’ARS parmi les personnes proposées par les associations agréées ; le directeur de l’établissement ou son représentant désigné ; le médiateur médical et son suppléant ; le médiateur non médical et son suppléant, désignés par le représentant légal de l’établissement.

Grande nouveauté, les représentants des usagers peuvent désormais être élus président ou vice-président des CDU, un droit jusqu’alors réservé aux membres de l’établissement dans les CRUQPC. Seule restriction : l’article R. 1112-81-1 du CSP dispose que le vice-président est issu d’une autre catégorie de membres que celle du président.

• Avec l’instauration des CDU, la maturation des droits des usagers est bien palpable puisque la nouvelle instance confirme leur position mais leur confère aussi plus de pouvoirs, en modifiant la composition et le fonctionnement de la CDU. « Indiscutablement, le passage de la CRUQPC à la CDU a donné plus de poids aux représentants des usagers. Nous sommes mieux intégrés à la vie des établissements et présents dans plusieurs commissions, au Comité de lutte contre les infections nosocomiales, au Comité de lutte contre la douleur, au Comité de coordination des vigilances et des risques, à la sous-commission CMU et au comité de pilotage de la structure », apprécie Yves Denis, vice-président de la CDU de l’hôpital des Quinze-Vingts (Paris). Dans cet établissement où les représentants des usagers avaient déjà une place importante, mais de manière informelle, la CDU a formalisé leur position. C’est ainsi que, relais incontournable des patients qu’il rencontre, le vice-président est convié à toutes les manifestations organisées dans l’hôpital (semaine de sensibilisation, vœux du personnel, etc.). À noter que la composition de la CDU et les coordonnées de ses membres figurent au livret d’accueil remis aux patients.

Des missions élargies

• La CDU a vu ses missions confortées, sinon élargies. Elle a en charge de « veiller au respect des droits des usagers et et de contribuer à l’amélioration de la qualité de l’accueil des personnes malades et de leurs proches, et de la prise en charge ». Elle les aide dans leurs démarches. Elle participe plus largement à l’élaboration de la politique de l’établissement en matière d’accueil et d’information des usagers sur leur prise en charge et leurs droits. Elle est associée à l’organisation des parcours de soins ainsi qu’à la politique qualité et gestion des risques élaborée par la commission médicale d’établissement. Elle est encore chargée de proposer un projet des usagers en concertation avec l’ensemble des représentants et des associations ayant passé une convention avec l’établissement. La CDU recueille les observations des associations de bénévoles. Dans le même chapitre, elle peut se saisir de tout sujet portant sur la politique de la qualité et de la sécurité, faire des propositions et être informée des suites données.

• Mais surtout, la CDU est désormais informée par le biais de ses médiateurs, médicaux et non médicaux, des événements indésirables graves (EIG) et des actions correctives mises en place. Après chaque plainte ou réclamation instruite par un médiateur médical ou non médical, le compte-rendu est transmis dans les huit jours au président et aux membres de la CDU. Ces derniers, astreints au secret professionnel dans les conditions définies aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal, peuvent avoir accès aux données médicales relatives à ces plaintes ou à ces réclamations, sous réserve de l’obtention préalable de l’accord écrit de la personne concernée ou de ses ayants droit si elle est décédée.

• Le fonctionnement prévoit que la CDU se réunisse quatre fois par an au moins, plus si besoin, afin de procéder à l’étude des plaintes et réclamations qui lui sont transmises. Ces litiges peuvent porter sur l’accueil et l’administration, la prise en charge médicale ou non, la vie quotidienne et l’environnement, ainsi que le respect de la personne.

Objectif : satisfaire le patient

• Les CDU ont accès au questionnaire remis à toute personne, avant sa sortie, « destiné à recueillir ses appréciations et ses observations » (article R. 1112-67 du CSP) et peuvent l’étudier. Ce document, qui permet de mesurer la satisfaction du patient, leur fournit des éléments importants pour la politique en matière d’accueil et de prise en charge. Par exemple, Galatée Cosset-Desplanques, directrice du centre de rééducation fonctionnelle Ellen-Poidatz à Saint-Fargeau-Ponthierry (78), a adapté ce questionnaire de sortie aux patients de son établissement de santé pédiatrique. « Nous avons conçu, en concertation avec la CDU et l’ensemble des cadres et des chefs de service, ce document qui s’adresse avant tout aux enfants. Les items sont restés identiques aux questionnaires des adultes (convocation, arrivée, déroulement du séjour, préparation de la sortie…). Cependant, la mise en page, les couleurs, le format et la méthodologie d’évaluation par smileys sont adaptés aux enfants, de sorte qu’ils peuvent y répondre seuls ou avec leurs parents », décrit Galatée Cosset-Desplanques, selon qui les questionnaires étaient jusqu’à présent biaisés parce qu’ils étaient remplis par les parents. Résultat : après avoir mis en place ce questionnaire le 1er avril 2017, l’établissement reçoit 20 à 30 % de retours de plus. Pour la CDU qui a contribué à son élaboration - il a été testé sur des enfants -, ce questionnaire, inédit en établissement sanitaire, est considéré comme un outil précieux au service des usagers.

1 - Commissions des relations avec les usagers et de la qualité de la prise en charge.

Le rapport d’activité annuel

Extrait du questionnaire rempli par les commissions des usagers, à destination des ARS (ici, ARS Île-de-France).

SAVOIR PLUS

→ Décret n° 2016-726 du 1er juin 2016 relatif à la commission des usagers (CDU) des établissements de santé. Articles L. 1112-3, L. 1114-1, R. 1112-79, R. 1112-81, R. 1112-82, R. 1112-83, R. 1112-88, R. 1112-94, du code de santé publique.

→ Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé.

→ Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé.

INTERVIEW

ANDRÉ LIENHART(1) ANESTHÉSISTE-RÉANIMATEUR, MÉDIATEUR MÉDICAL À L’HÔPITAL SAINT-ANTOINE (PARIS)

Selon vous, les CDU sont-elles un aboutissement dans la prise en compte des droits des usagers ?

• L’évolution n’est pas tant caractérisée par la CDU en tant qu’élément symbolique de la participation des usagers que par la montée en charge de la prise de parole de ceux-ci et de la prise en compte de leur discours au sein des établissements.

Pouvoir décrypter les situations et désarmorcer les tensions au sein des CDU est-il un rempart contre la défiance croissante des usagers, voire la procédurisation, comme lors des affaires du valproate, du Lévothyrox ou des vaccins ?

• Je ne le pense pas. La prise de position de l’ANSM, tout comme le discours des professionnels de santé, ont été rassurants pour le Lévothyrox, et la question de la sécurité n’est pas en cause. En revanche, les usagers reprochent aux pouvoirs médicaux et administratifs une prise en compte insuffisante de leurs questions, notamment au travers des réseaux sociaux. En cela, la prise de parole croissante des usagers au sein des CDU est une manifestation visant à rééquilibrer le discours et à se réapproprier une certaine légitimité ontologique dans les établissements, où le discours était jusqu’à présent capté par les soignants et par l’administration.

Cette « montée en charge » des usagers peut-elle créer un déséquilibre, voire remettre en question la pratique professionnelle à l’hôpital ?

• Jusqu’à présent, il ne s’agit que d’acteurs émergents et les usagers n’ont en aucun cas l’intention de se substituer aux soignants ni de prendre la place du directeur de l’hôpital ! Je constate que les usagers veulent davantage participer aux discussions, et les CDU leur en donnent la possibilité. Cela nous amène à prendre en considération ces changements du monde actuel et à nous poser de nouvelles questions telles que « Que vont en penser les usagers ? » Le simple fait que la CDU doive apporter des réponses constitue, en soi, une évolution dans la pratique. Pour l’heure, cette prise de conscience n’influe pas sur les stratégies. Infléchira-t-elle, à terme, nos décisions ?

PROPOS RECUEILLIS PAR MARIE LUGINSLAND

1 - Membre de la CruQPC puis de la Cdu depuis cinq ans, ancien président du comité de vigilance et des risques de l’AP-HP. Actuellement chef du service d’anesthésie-réanimation du CH national d’ophtalmologie des Quinze-Vingts (Paris).