L'infirmière Magazine n° 391 du 01/03/2018

 

SOIGNANT-SOIGNÉ

SUR LE TERRAIN

MON QUOTIDIEN

Aurélie Vion*   Bruno Py**  

Un patient qui passe son temps dénudé, des mains baladeuses, des blagues vulgaires voire des demandes de masturbation durant un soin… Face à ce type de comportements déviants, il n’y a pas de mode d’emploi. Chacun réagira en fonction de son tempérament et de son expérience, mais aussi selon le profil du patient. « Sur le plan juridique, ce sont les mêmes règles qui s’appliquent sur les lieux de soins et dans la rue. À la question “un patient peut-il être poursuivi pour délit sexuel ?”, la réponse est “oui” », rappelle Bruno Py, professeur de droit privé à l’université de Lorraine(1). Sans aller jusqu’au délit, les manifestations débordantes de la sexualité des patients ne sont pas rares, qu’elles soient volontaires ou non. Des traitements médicamenteux ou certaines pathologies peuvent être à l’origine de comportements exhibitionnistes. La nudité explique aussi la dimension érotique qui peut naître dans la relation soignant-soigné, en particulier lors de certains actes comme la toilette, le rasage des poils pubiens ou la pose d’un étui pénien provoquant une érection réflexe.

Comment gérer son propre malaise tout en restant à l’écoute du patient, qui peut parfois être aussi gêné par la situation ? Une pointe d’humour ou un recadrage pour se recentrer sur le soin peuvent suffire pour ôter tout caractère érotique à la scène. Quand le problème persiste et que l’on n’arrive pas à s’en sortir seule, il faut en parler à ses collègues. Bruno Py se souvient d’un résident d’Ehpad : « Un vieil homme un peu libidineux qui demandait aux soignantes de montrer leurs seins contre de l’argent. L’équipe et la directrice lui ont parlé mais, compte tenu de ses pulsions et pour éviter toute ambiguïté, il a été décidé que les professionnels devaient intervenir à deux. »

1- Auteur de La pudeur et le soin, Presses universitaires de Nancy, 2011 (une nouvelle édition est prévue courant 2018).

LES BONS RÉFLEXES

→ Recadrer en demandant au patient de cesser le comportement qui dérange, affirmer sa désapprobation et, si besoin, sortir de la chambre.

→ En parler à ses collègues et sa hiérarchie pour savoir si le comportement vise un professionnel en particulier et/ou se produit dans une situation précise. Essayer de comprendre ce qui se joue dans de tels comportements. Réfléchir en équipe aux solutions possibles.

→ Ne pas se retrouver seul (e) face à un patient « déviant », préférer si cela est possible une intervention en binôme.

→ Demander à un (e) collègue de prendre le relais.

→ Faire attention aux mots employés : dire par exemple à un résident d’Ehpad « On se déshabille et on va au lit » n’est pas la même chose que « Je vais vous aider à vous déshabiller ». La première formulation pourrait être interprétée comme une avance sexuelle.

→ Dédramatiser par l’humour.

Question plutôt taboue

→ Sujet délicat, la pudeur dans le soin est, le plus souvent, abordée sous l’angle des patients. Malaise de se retrouver nu face à un professionnel de santé, gêne de devoir porter la fameuse blouse d’hôpital laissant entrevoir une partie de son anatomie, partage parfois embarrassant de la chambre avec un autre patient… Le droit à l’intimité est pourtant inscrit dans la loi du 4 mars 2002 sur le droit des malades(1), il figure également dans la charte de la personne hospitalisée. Mais il existe très peu d’écrits et de réflexions sur la pudeur vue du côté des soignants. Alain Giami, directeur de recherche à l’Inserm, a réalisé l’une des rares études sur le sujet. Intitulée « La place de la sexualité dans le travail infirmier, l’érotisation de la relation de soin », elle donnait la parole à une soixantaine de soignantes. À travers une multitude d’anecdotes, on mesurait à quel point le fantasme sexuel de l’infirmière perdurait, mettant à mal les soignantes très peu formées sur ces questions. Il semblerait que les choses n’aient guère évolué.

1- bit.ly/2kTBN0K

Et si on parle d’amour ?

→ Peut-on avoir des relations intimes avec un patient ? « À partir du moment où il s’agit d’adultes consentants, cela ne pose pas de problème sur le plan juridique », explique Bruno Py. Si le consentement constitue le socle juridique en France, ce n’est pas le cas des pays anglo-saxons, où les relations intimes sont généralement considérées comme répréhensibles sur les lieux de travail et, a fortiori, entre les soignants et les patients. « Au Canada, par exemple, le code des professions qui s’applique notamment aux infirmier (e) s, interdit les rapports amoureux entre les professionnels et l’usager », pointe Bruno Py. Le code déontologie de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec le spécifie clairement : « L’infirmier ne peut établir de liens d’amitié, intimes, amoureux ou sexuels avec le client. » Peu importe que le patient y ait consenti ou non.