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Depuis 2016, les mobilisations sociales, locales et nationales, se multiplient, sans beaucoup de succès, sinon quelques petites avancées. Est-ce aujourd’hui la seule solution ? Comment faire aboutir des revendications légitimes ?
« Le milieu syndical hospitalier a, en réalité, peu de militants »
La recette est très mystérieuse ! Et qu’est-ce qu’une mobilisation réussie ? Par exemple, la mobilisation contre la loi Travail n’est pas parvenue à faire plier le gouvernement de Manuel Valls. Mais elle a pesé sur l’opinion de gauche, qui s’est détournée du Parti socialiste à l’élection présidentielle. On ne sait pas ce qui déclenche une action collective. Souvent, celle-ci part d’une provocation des responsables politiques. Depuis un an, le niveau de la mobilisation à l’hôpital s’est élevé. Le gouvernement s’en soucie d’ailleurs, puisqu’il a immédiatement débloqué des fonds pour les Ehpad. Il y a du mouvement dans les hôpitaux, les prisons et les universités. Il y a donc une certaine crainte d’une détérioration du climat social, par contagion.
On assiste à une multiplication de mouvements locaux, qui aboutissent parfois à de petites victoires : versements de primes, augmentations d’effectifs, comme à l’Ehpad de Foucherans, dans le Jura (39). Les tentatives de mouvement national sont plus bureaucratiques. Et ce n’est jamais facile d’organiser une grève générale sectorielle, a fortiori dans les hôpitaux, où il y a des assignations pour assurer le continuité du service public, et surtout un tabou moral à transgresser. Voir des blouses blanches en masse dans la rue, c’est rare. C’est arrivé en 1988, quand les infirmières sont descendues quasi spontanément dans la rue, et ce, indépendamment des syndicats. Une coordination nationale infirmière (CNI) a alors été créée, pour organiser le mouvement. Transformée en syndicat, celle-ci n’a pas réussi à véritablement s’implanter.
La réalité des grèves hospitalières ordinaires et des journées d’action syndicale, c’est surtout des cortèges limités, avec des délégations d’hôpitaux assez restreintes. Car le milieu syndical hospitalier a, en réalité, peu de militants.
Les syndicats catégoriels infirmiers n’ont pas percé en France. C’est une spécificité, si l’on compare avec d’autres pays. Car, dans l’Hexagone, le syndicalisme catégoriel est assimilé au corporatisme et les infirmières françaises ne sont pas très corporatistes : leur identité professionnelle varie selon les services, les équipes, etc. Si elles représentent le gros des salariés de l’hôpital, elles sont peu syndiquées et elles votent moins aux élections professionnelles que les non-soignants. Dans les grandes confédérations, elles sont sous-représentées par rapport aux personnels techniques et administratifs. Les personnels qui sont plus proches du mouvement ouvrier ont une plus grande culture syndicale. Les infirmières sont dans un entre-deux : certaines s’identifient à l’ensemble des salariés hospitaliers, voire à une culture ouvrière, d’autres se sentent plus proches du monde médical. Mais, au mieux, les médecins les encouragent de loin. Si elles sont populaires dans l’opinion, les soignantes à l’hôpital manquent d’alliés naturels dans leur combat.
« La mobilisation n’est jamais inutile, mais elle exige de l’engagement »
Il y avait, comme aujourd’hui, un terreau de revendications sur les salaires, les conditions de travail, très dégradées, et la formation. Et il y a eu une goutte d’eau : un décret qui, en ouvrant l’accès aux formations infirmières aux non-bacheliers, niait nos compétences. Ce fut un mouvement très spontané. Il y a eu, tout de suite, beaucoup d’infirmières dans la rue, jusqu’à 150 000. On a campé pendant plusieurs semaines devant le ministère. Il y a eu des opérations « zéro infirmière » dans les hôpitaux, parce que le mouvement était soutenu par les cadres, par une partie du corps médical et, surtout, par l’opinion publique. La mobilisation a duré plusieurs années, jusqu’en 1991. Les infirmières ont obtenu, notamment, une augmentation de salaire de plus de 1 000 francs, la refonte de la formation autour des Ifsi ainsi que la création de conseils de service, où elles ont trouvé leur place et ont pu s’exprimer.
La CNI est toujours là, trente ans après. Mais le taux de syndicalisation des infirmières reste très faible – moins de 4 % dans la fonction publique hospitalière – c’est assez désespérant. Elles sont peu revendicatives, car leur fonction est de prendre soin : de leurs patients, puis de leur famille. Elles n’ont pas été formées à prendre soin d’elles et méconnaissent leurs droits. Mais nous pouvons nous mobiliser. En 2007, les négociations avec le gouvernement sur la reconnaissance du niveau licence n’avançaient pas. Nous avons manifesté, monté un groupe de réflexion avec d’autres syndicats, des associations d’infirmières, et nous l’avons obtenue. Ce mouvement a aussi débouché sur le passage en catégorie A, donc une avancée salariale. Mais il y a eu un chantage infâme : notre pénibilité a été niée.
L’été 2016, secoué par de nombreux suicides d’IDE, marque le début d’une nouvelle vague de mobilisation, qui a aussi eu lieu sur les réseaux sociaux, avec des mouvements comme « ni bonnes ni nonnes ni pigeonnes » sur Facebook, #soigneettaistoi et #balancetonhosto sur Twitter. Les médias nous suivent. Mais les directions bloquent l’accès des hôpitaux aux caméras. Pourtant, les chefs d’établissement admettent, hors caméra, que l’action est importante.
Les manifestations nationales du 8 novembre 2016 et du 24 janvier 2017 ont débouché sur des avancées pour les étudiants. Sur les conditions de travail, le gouvernement nous a fait miroiter des choses, mais nous n’avons rien obtenu. Aujourd’hui, la mobilisation se poursuit dans les Ehpad et les établissements de soins où les personnels sont en détresse. Il y a actuellement une telle souffrance professionnelle en raison de l’inadéquation entre nos valeurs professionnelles et les moyens que l’on nous donne. La mobilisation n’est jamais inutile, mais elle peut être longue, elle exige de l’engagement.
Professeur de sociologie, Université des sciences et technologies de Lille
→ 2000-2009 : réalisation de sept enquêtes sociologiques sur les hôpitaux publics et privés
→ 2007 : « L’hôpital et ses acteurs. Appartenance et égalité », Éd. Belin
Infirmière et présidente de la coordination nationale infirmière
→ 1993 : diplôme d’État
→ 2002 : création de la CNI de Belfort-Montbéliard
→ 2007 : participation au mouvement social des infirmières pour l’universitarisation
→ 2006-2008 : vice-présidente du bureau national de la CNI
→ Depuis 2008 : présidente de la CNI
→ En 1988 débutaient les grandes grèves infirmières. Ce mouvement historique spontané, qui a donné naissance à la Coordination nationale infirmière, a été long. Les actions se sont multipliées jusqu’en 1991 : manifestations, opérations « zéro infirmière » dans les hôpitaux, camping devant le ministère, etc. Il a abouti sur des avancées majeures pour les IDE : hausse de salaire, création des Ifsi, des conseils de service, etc.
→ À partir de 2007, une nouvelle vague de mobilisation débouche sur la reconnaissance au niveau licence de la formation infirmière, et sur le passage en catégorie A de la fonction publique.
→ Été 2016, de nombreux suicides d’infirmières dans les hôpitaux déclenchent une nouvelle vague de mobilisation, pour l’amélioration des conditions de travail.
→ Malgré la force du nombre, les infirmières pâtissent d’une faible syndicalisation. Elles votent peu aux élections professionnelles et sont donc mal représentées dans les grandes confédérations syndicales.