INTERVIEW : JEAN-MARIE DELARUE membre du Comité consultatif national d’éthique (CCNE)
DOSSIER
En octobre 2017, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) publiait le rapport « Santé des migrants et exigence éthique (1).
Un document précieux pour comprendre les enjeux de l’accompagnement des migrants, notamment en matière de santé publique.
JEAN-MARIE DELARUE : En France, beaucoup d’initiatives d’aide aux migrants sont venues du personnel soignant sans forcément de soutien de la hiérarchie. Ils ont pris le risque de sortir des murs de l’hôpital pour soigner, comme les autres patients, ces gens à l’abandon – je pense notamment aux actions d’une infirmière de Calais – tandis que certains hôpitaux du littoral n’ont pas eu de réaction appropriée. La prise de conscience personnelle à l’origine de ces actions est la même que celle à l’origine des grandes associations de médecins ou de soignants qui se sont créées.
J. M. D. : Cette invisibilisation est le point de départ de notre réflexion. Quand nous sommes malades, nous nous rapprochons de l’hôpital. Or, les personnes en situation irrégulière raisonnent à l’inverse, car c’est un lieu où elles peuvent être identifiées.
En conséquence, elles n’y vont pas, leurs maladies s’aggravent, les pathologies s’accentuent. Il existe un risque grave pour elles et leurs proches. Par ailleurs, la non-prise en charge de la santé mentale des migrants et des traumatismes liés à leurs déplacements est un autre drame réel.
J. M. D. : Il y a une volonté de régler les questions migratoires sans prendre garde à la question sanitaire. Nous pensons qu’elle doit être sanctuarisée. Il faut rétablir une relation de confiance envers les soignants et rassurer ces personnes afin qu’elles distinguent le soin de leur identification à la préfecture. Il faut aussi compter sur l’intermédiaire des associations qui les connaissent bien pour les convaincre d’aller à l’hôpital.
Nous n’avons pas constaté de dénonciations de migrants par des soignants mais, si la police aux frontières venait à entrer dans l’hôpital, ce serait un manquement à l’éthique du soin, ce qui représente un risque pour le soignant, le patient et la santé publique. Imaginez si une personne atteinte d’Ebola refusait le soin, ce serait une catastrophe(2).
J. M. D. : Pour le savoir, il faut analyser le coût de l’Aide médicale d’État (AME). Lorsque l’état du patient le nécessite, elle permet que l’hôpital apporte les soins nécessaires au nom de « l’égal accès de tous aux soins ». Ce dispositif concerne majoritairement des personnes en situation irrégulière. En 2015, le coût des soins couverts par l’AME correspondait à 0,16 % des dépenses de santé. Cela reste donc très marginal. Il le restera, même s’il ne faut pas exclure une hausse possible, liée à l’augmentation du flot migratoire, dans les décennies à venir.
J. M. D. : Dire que « mieux on traite ces personnes, plus il y en aura » en France, est très cynique. Cette théorie n’est pas fondée. Quand on est au fond de l’Érythrée, on ne se demande pas si on aura une couverture sociale en fuyant.
L’argument a été avancé pendant la campagne présidentielle pour justifier la suppression de l’AME. Cela aurait de graves conséquences sur l’état de santé des migrants et sur la santé publique. C’est donc aussi une mauvaise chose pour la population française. Il faut relativiser la situation. L’Europe ne reçoit pas toute la misère du monde. Seuls 6 % des migrants la rejoignent. Elle n’est pas envahie comme on voudrait le faire croire.
J. M. D. : L’espoir doit être dans l’éthique et dans leur capacité à soigner des personnes pour leur mieux-être. Je n’ai d’autres souhaits que les infirmières conservent cette déontologie. Nous avons noté dans notre rapport que le pôle soignant avait été un pôle de résistance bienfaisant. Cela doit perdurer.
1- À consulter ici : bit.ly/2FvMYU2
2- NDLR : récemment, l’ARS de la région Paca a publié une note demandant aux hôpitaux psychiatriques d’informer la police de la présence de personnes en situation irrégulière dans leurs murs.
Après un tollé général, la note a été retirée.