ENTRETIEN AVEC AGNÈS BUZYN
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Dans un entretien exclusif réalisé fin février à son bureau, avenue Duquesne à Paris, la ministre des Solidarités et de la Santé a partagé sa vision du rôle de l’infirmière et de ses évolutions. Notamment à travers un élargissement du métier socle.
Je comprends ce mal-être car les soignants sont soumis à une forte pression à l’activité depuis quelques années. De plus, on a progressivement déstructuré les équipes. Or, dans le monde hospitalier, la présence d’équipes soudées favorise la qualité des soins et la qualité de vie au travail, mais aussi les échanges et l’écoute. Il y a également eu un éloignement des cadres de proximité qui jouent un rôle manifeste sur le terrain. Mais il faut aussi noter que les patients sont de plus en plus exigeants. La pression vient donc aujourd’hui de toute part.
Certes, nous avons baissé les tarifs mais dans une moindre mesure que les années précédentes. Nous avons, en particulier, fait un effort pour préserver le secteur de la psychiatrie, dont les tarifs sont augmentés de 1 % car c’est un secteur en grande difficulté que nous devons impérativement soutenir. Je sais que cette baisse des tarifs désespère le monde hospitalier mais je pense que travailler uniquement avec une tarification à l’activité (T2A) est aussi néfaste pour le moral des soignants. On doit parvenir à compenser une partie de la tarification des hôpitaux par une tarification qui prenne en compte la qualité et la pertinence des soins, la valeur ajoutée ou le service rendu. Techniquement, ce n’est pas simple mais c’est nécessaire, car cela va redonner du sens à l’exercice des soignants. Qu’on soit rémunéré pour la qualité du service qu’on rend et non la quantité des soins.
C’est un besoin urgent. La T2A fait que les établissements de santé sont en concurrence les uns avec les autres, notamment sur les activités les plus rentables, et souvent au détriment de l’hôpital public. Ce n’est pas normal. Je veux que les hôpitaux s’organisent pour coopérer entre eux et organiser des filières de soins sur les territoires. Qu’on se parle entre soignants pour prendre en charge, le mieux possible, un patient dans son parcours de soins.
Au sein des GHT(1), les établissements vont s’organiser entre centres de recours et centres de proximité. Certains pourront être centre de recours pour une pathologie et centre de référence pour une autre. On pourra ainsi faire des économies d’échelle pour investir davantage sur les plateaux techniques.
Ces parcours intègreront les soins de ville, voire ceux qui seront réalisés complètement en ville pour certaines pathologies. On peut imaginer mettre en place une tarification annuelle forfaitaire pour chaque partie prenante du parcours, après avoir défini les examens et les actes dont le patient a besoin pour son suivi. Aujourd’hui, nous ne savons pas encore construire ce modèle. C’est au professionnel de santé de l’imaginer et de nous proposer des solutions.
Oui, la révision du métier socle des infirmières est bien prévue, notamment dans le champ des vaccinations. La Haute Autorité de santé a d’ailleurs été saisie pour donner un avis en ce sens (le 20 février, NDLR). De nouveaux protocoles de coopération sont encouragés par l’art. 51 de la loi de financement de la Sécurité sociale 2018. En fonction des avancées résultant de ces protocoles et des retours de terrain, nous pourrons envisager l’élargissement du métier socle. Mais ce qui me semble aussi important, c’est la reconnaissance pleine et entière de l’infirmière en pratiques avancées au grade de master. Celle-ci va faire sensiblement évoluer le champ des activités de la profession dans le domaine des pathologies chroniques.
En instaurant l’universitarisation de ces professions, nous les rapprochons de la recherche et permettons une nouvelle amélioration de la qualité des soins. Ce rapprochement avec l’université doit effectivement s’accompagner d’une réingénierie de la formation pour redéfinir les compétences de chacun. Je voudrais que les référentiels de toutes les professions de santé concernées soient revus d’ici 2019.
Il faut identifier quelques modules communs avec les autres formations et permettre la mutualisation des enseignements afin de favoriser un travail en équipe interprofessionnelle. Ce rapprochement doit aussi renforcer la place qu’occupe l’université dans la délivrance des diplômes : les diplômes d’État des paramédicaux doivent être délivrés par les universités, comme c’est le cas des médecins. Les premières formations de pratiques avancées seront dispensées dès la rentrée 2018 par les universités et permettront aux paramédicaux d’accéder au grade de master. Une réforme qui se fera, évidemment, en bonne intelligence avec le ministère de l’Enseignement supérieur. Et qui amènera, nous l’espérons, une véritable montée en compétences par la formation initiale et continue des professionnels.
On constate une légère augmentation des effectifs sur les cinq dernières années. Mais cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas avoir une réflexion globale sur l’attractivité du métier. Certaines recommandations ont déjà été mises en œuvre avec la réforme statutaire de 2012 et il y a eu des revalorisations. Cette question fait partie du chantier que nous allons lancer sur les ressources humaines et sur la formation.
La vaccination est un enjeu collectif et un enjeu déontologique, dont les ordres professionnels doivent s’emparer. Quand on soigne des nouveau-nés qui n’ont pas encore été vaccinés, des personnes âgées ou fragiles dont le système immunitaire est plus faible ou chez qui la réponse aux vaccins est moins bonne, il faut être vacciné.
On ne peut pas soutenir l’argument de la liberté individuelle quand on risque de mettre en danger les autres. C’est antinomique avec la posture de soignant.
1- Groupements hospitaliers de territoire.
2- D’après une enquête menée auprès de 3 000 professionnels de santé, les infirmières comptent parmi les plus réticentes à se faire vacciner contre la grippe saisonnière.
À lire sur espaceinfirmier.fr : bit.ly/2I6oRgL
1- Le rapport n’est pas paru à l’heure où nous publions.
Cette interview, extraite de notre rencontre d’une heure – réduite à quarante-cinq minutes en raison de contraintes d’emploi du temps de la ministre – a fait l’objet d’une relecture.
Le rapport du Dr Donata Marra sur la qualité de vie au travail des étudiants en santé doit être rendu bientôt(1). Comment abordez-vous ce dossier ?
Le harcèlement moral etle harcèlement sexuel à l’hôpital relèvent du droit commun. Mais il y a aussi une forme de pression mise sur les étudiants qui n’est pas à proprement parler du harcèlement : c’est le manque de valorisation dans leurs apprentissages.
C’est pourquoi nous devons travailler sur la formation des enseignants. En outre, les étudiants peuvent avoir besoin d’une prise en charge psychologique. Il y a déjà quelques expériences intéressantes pour repérer et orienter ceux en difficulté. Pour soigner, il faut être soi-même en bonne santé.
Est-ce que la nouvelle réforme de la santé du gouvernement se saisit de la question de la politique d’accueil en stage ?
Nous avons voulu que cette réforme soit globale, complète, profonde. Toutes les structures de soins sont concernées, et dans toutes leurs prérogatives. Nous allons lancer une consultation auprès des établissements et des professionnels de santé pour recenser les problèmes, les points de vigilance et d’amélioration. Si on estime que l’encadrement des stages doit en faire partie, nous l’inclurons dans la réforme.
Le service sanitaire sera-t-il rémunéré ?
Le rapport du Pr Vaillant ne le prévoit pas car il fera partie du cursus. Mais s’il se positionne au moment des stages rémunérés, il le sera comme n’importe quel stage. En revanche, les étudiants seront défrayés, notamment pour leurs déplacements.