L’expertise en renfort - L'Infirmière Magazine n° 392 du 01/04/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 392 du 01/04/2018

 

FORMATEUR OCCASIONNEL

CARRIÈRE

PARCOURS

Magali Clausener  

La formation occasionnelle des pairs ou des étudiants permet de partager son savoir-faire et son expertise, tout en continuant d’exercer sur le terrain. Une initiative enrichissante, mais qui requiert également une bonne organisation.

Je suis infirmière depuis 1984. J’ai eu différents postes avant d’être en libéral, j’ai aussi obtenu un DU de plaies et cicatrisation et suivi un DU de psychologie. Je me suis lancée dans la formation il y a cinq ans, pour transmettre mes connaissances acquises en vingt-cinq ans d’exercice », explique Véronique Laufer, installée dans l’Est de la France. Cette volonté de transmission - à ses pairs, aux futurs IDE et AS - est la première motivation des infirmières qui interviennent en tant que formatrices extérieures. Mais cette fonction ne s’improvise pas.

Être un bon professionnel, quel que soit son type d’exercice, n’est pas suffisant. Les Ifsi(1), publics ou privés, les organismes de formation privés ou les universités, recherchent des infirmiers avec une valeur ajoutée. « Les Ifsi fonctionnent avec une équipe pédagogique mais ce n’est pas suffisant pour tous les cours, remarque Martine Sommelette, présidente du Cefiec(2). Nous devons avoir des intervenants extérieurs - médecins, infirmières, diététiciens, etc. - qui apportent une expertise ou un éclairage dans un domaine particulier. Par exemple, nous recherchons des infirmières avec une expertise dans les soins palliatifs, la qualité des soins, l’éthique, les plaies et cicatrisation, l’hémovigilance, la sophrologie, ainsi que dans des milieux différents : hôpital, libéral, Ssiad(3) ou encore, milieu carcéral. »

DES COMPÉTENCES À EXPLOITER

Christian Trianneau, infirmier cadre de santé à l’Ifsi de Poitiers (86), a commencé comme formateur extérieur, en 1985, grâce à son expertise dans la surveillance de respirateurs acquise par son poste en réanimation et son expérience en ventilation artificielle. Isabelle Guyard, infirmière libérale et formatrice au sein d’Orion, a suivi un DU de plaies et cicatrisation, qui l’a fait s’orienter vers la formation. Sarah Bonenfant, infirmière-puéricultrice libérale, a suivi un master 1 de sciences cliniques infirmières à l’EHESP(4) en 2011-2012. « Je voulais proposer aux professionnels libéraux des tutoriels et outils de formation aux pratiques avancées. Mais le DPC(5)s’est déployé et je suis devenue formatrice à Orion santé, fin 2013 », explique-t-elle.

Aurélien Guion, infirmier depuis 2004, a obtenu un DU de prise en charge de la douleur en soins infirmiers à l’université Paris-V Descartes et s’est spécialisé dans les massages. Après des formations complémentaires, il a mis en pratique ses connaissances à l’hôpital, en Ehpad et, depuis janvier 2016, comme infirmier libéral. Il enseigne également dans deux DU, celui qu’il a obtenu et le DU de pratiques psychocorporelles et santé intégrative de l’université Paris-XI, ainsi que dans des Ifsi, des établissements de soins et des Ehpad.

Nicolas Sanchez, infirmier à la polyclinique Bordeaux-Nord-Aquitaine, a acquis une expertise en surveillance clinique. « J’ai travaillé ce sujet avec une infirmière québécoise et me suis interrogé sur ma propre pratique, relate Nicolas Sanchez. Je me suis “reformé” complètement avec un médecin de Paris-Descartes et des infirmières. J’ai ensuite monté un module de formation sur la surveillance clinique avec une infirmière cadre formateur dans un Ifsi à partir du référentiel de 2009 et suis intervenu comme formateur extérieur dans plusieurs Ifsi. »

COMMENT DEVENIR FORMATEUR ?

Ces différents exemples montrent qu’outre l’expertise, un DU et/ou un master sont également recommandés et sont souvent un pré-requis pour les organismes de formation. En revanche, ne pas être cadre de santé n’est pas un obstacle pour être intervenant extérieur dans un Ifsi, alors que ce statut est obligatoire pour devenir formateur à temps plein.

Pour autant, la valeur ajoutée qu’apporte un diplôme universitaire n’est pas une garantie pour devenir formateur. En général, le recrutement d’intervenants extérieurs dans les Ifsi (ou Ifas) se fait par cooptation. « Il faut se faire remarquer par les formateurs de l’Ifsi », préconise Christian Trianneau. Comment ? En devenant tuteur de stage des étudiants infirmiers ou en participant au jury de correction du mémoire de fin d’étude. « On repère les soignants qui ont des choses pertinentes à dire quand nous venons dans l’établissement lors du stage », précise Christian Trianneau. Il faut également montrer son intérêt pour la formation auprès de sa hiérarchie. « Pour trouver des intervenants, nous faisons appel aux directeurs de soins, aux cadres de santé, aux directeurs d’établissement, voire aux anciens étudiants qui reviennent nous voir. Nous mobilisons toutes les ressources », relate Martine Sommelette.

Le recrutement d’intervenants dans les DU passe aussi beaucoup par la cooptation. « Le CV et le fait d’avoir publié des articles ou co-écrit des travaux de recherche jouent également un rôle », nuance Pascale Thibault, infirmière puéricultrice, responsable pédagogique et co-gérante d’Amae santé. Les relations sont, dans tous les cas, importantes. C’est, par exemple, après avoir suivi des formations en hypnose que Nadine Franck a été sollicitée par une amie afin d’intervenir dans le DU prise en charge de la douleur dans les soins infirmiers, à Cochin. « On m’a ensuite demandé d’intervenir dans des conférences ou des formations », confie-t-elle. Se créer un réseau est également une bonne façon d’approcher des formateurs et de faire connaître son envie de transmettre ses compétences.

Les candidatures spontanées ne sont cependant pas à exclure. En ce cas, CV et lettre de motivation doivent mettre en avant les expériences professionnelles, l’expertise acquise et ce que l’infirmier veut transmettre aux étudiants. Un conseil qui vaut pour les organismes de formation privés, même si la démarche peut s’avérer plus difficile. Mais des opportunités peuvent se présenter. Sarah Bonenfant s’est ainsi tournée vers Orion santé tout simplement car elle avait été démarchée par l’organisme pour suivre une formation !

Enfin, les infirmiers peuvent intervenir dans le cadre de la formation continue au sein de leur propre établissement, en proposant une session à la DRH. Là encore, il faut mettre en avant son expertise et la pertinence de telle ou telle formation. Muriel Perriot, infirmière clinicienne à la consultation pluridisciplinaire de la douleur au centre hospitalier de Châteauroux (36), réalise ainsi des formations sur le thème de la douleur en « intra ». Ce qui lui a d’ailleurs permis d’être sollicitée pour des formations à l’extérieur de l’hôpital.

ET LA PÉDAGOGIE ?

Si une première intervention se profile à l’horizon, une question se pose : la transposition didactique de sa pratique et ses compétences. « Souvent, une formation pédagogique ne se justifie pas mais elle est un point important, souligne Thierry Joutard, ex-directeur d’un Ifsi de la Croix-Rouge française. Le futur intervenant peut se faire aider par des formateurs expérimentés pour construire son cours. La première fois, il peut aussi intervenir en binôme avec un collègue plus rodé. Parler devant une centaine d’étudiants peut être impressionnant. Un débriefing post-intervention permet de s’améliorer : par exemple, de parler plus fort ou moins vite. »

Certains organismes forment leurs animateurs à la pédagogie. « Le public adulte est exigeant, remarque Sarah Bonenfant. Il ne faut pas lire son cours ou avoir des séquences différentes, c’est-à-dire des parties théoriques et des parties pratiques. Il faut savoir gérer un groupe, avec ceux qui prennent trop souvent la parole et ceux qui sont en retrait. » Ce qui implique une bonne préparation. L’organisation est un élément-clé. « La formation est chronophage, entre la préparation, l’actualisation des connaissances et des recommandations de la HAS, et les déplacements », constate Véronique Laufer. C’est pourquoi Aurélien Guion, libéral, a voulu travailler une semaine sur deux. « Quand j’étais infirmier dans un hôpital, je faisais de la formation sur mon temps libre, mais c’était compliqué », explique-t-il. Mais si l’emploi du temps est chargé, aucun de ces infirmiers ne regrette son choix. « C’est enrichissant, y compris pour sa propre pratique », résume Isabelle Guyard.

  • 1 - Instituts de formation aux soins infirmiers.

  • 2 - Comité d’entente des formations infirmières et cadres.

  • 3 - Service de soins infirmiers à domicile.

  • 4 - École des hautes études en santé publique.

  • 5 - Développement professionnel continu.

EN PRATIQUE

Être au clair avec son employeur

→ Les infirmiers de la fonction publique peuvent intervenir dans des formations au sein d’un Ifsi, soit sur leur temps de travail avec l’accord de leur hiérarchie, soit en dehors. Dans le premier cas, ils sont payés par l’établissement et dans le second, par l’institut. Si c’est en dehors du temps de travail, ils doivent demander à leur employeur une autorisation écrite de cumul d’activités à titre accessoire. L’avis préalable de la commission administrative paritaire est requis. Cela vaut également pour une activité dans un organisme privé.

→ Les infirmiers d’établissements privés doivent respecter la durée légale de travail et l’employeur doit être informé. Les infirmiers, sauf les agents hospitaliers à temps plein, peuvent, à cette fin, créer une auto-entreprise. Quant aux rémunérations dans les organismes de formation, elles ne sont pas élevées (environ 300 €/jour), mais se négocient.