L'infirmière Magazine n° 392 du 01/04/2018

 

CARRIÈRE

GUIDE

Caroline Coq-Chodorge  

Depuis 2003, le législateur cherche à faire évoluer les compétences infirmières. Le point sur les protocoles de coopération et les pratiques avancées, en cours de discussion, qui dessinent un nouveau métier.

Comment faire évoluer le métier infirmier pour répondre aux nouveaux besoins en santé, aux nouvelles techniques et pratiques ? Le législateur s’y attelle depuis quinze ans, depuis la parution, en octobre 2003, du rapport d’Yvon Berland sur « la coopération des professions de santé : le transfert de tâches et de compétences ». L’impératif est d’emblée posé : vu la « diminution sensible des médecins », « il est proposé que des professions de santé assument des activités qui auraient justifié la seule intervention des médecins il y a vingt ou trente ans mais, les compétences évoluant, ne la nécessitent plus actuellement ».

Délégations ciblées

• En 2009, un cadre légal encadre ces transferts de compétence : l’article 51 de la loi HPST(1) autorise les coopérations entre professionnels de santé. Il leur permet « d’opérer des transferts d’activités ou d’actes de soins, ou de réorganiser leurs modes d’intervention auprès du patient ». Un dispositif d’autorisation des protocoles est mis sur pied : une équipe de soins élabore un protocole, le soumet à l’Agence régionale de santé (ARS) qui contrôle la réalité du besoin en santé puis le transmet à la Haute autorité de santé (HAS), qui s’assure de la qualité et la sécurité des soins.

• Pour être validé, un protocole de coopération doit répondre à des exigences précises. Il s’agit, entre autres, de détailler les professions des délégués et délégants, la liste des actes dérogatoires, les caractéristiques du lieu d’exercice conditionnant la mise en œuvre du protocole, les critères d’inclusion et d’exclusion des patients, ainsi que leurs caractéristiques, les résultats attendus en termes de qualité de la prise en charge et d’optimisation de la dépense de santé.

• Le protocole précise aussi la formation des professionnels qui réaliseront les actes de soins ou activités dérogatoires, en l’occurrence les infirmières, ainsi que les compétences pré-requises (savoir réaliser un acte d’échographie, savoir prescrire des examens complémentaires, etc.). La formation est spécifique aux actes ou activités dérogatoires. Dans un document, la HAS donne un exemple de contenu de formation par compagnonnage dans le cadre de chimiothérapie orale : « avoir réalisé dix consultations supervisées par un médecin avec prescriptions de traitements des effets indésirables des anticancéreux et d’examens (biologiques, radiologiques) ».

• L’expérience minimale nécessaire à l’adhésion d’un professionnel de santé doit être renseignée : nombre d’années d’expérience requises et lieu d’exercice précédent recommandé. En clair, il ne s’agit pas d’une délégation en général mais bien d’une délégation d’acte à une IDE qui a une formation spécifique avec transfert de responsabilité. Si cette IDE devait être remplacée, les actes et activités ne pourraient donc pas être délégués à une autre personne.

• Certains protocoles sont étendus par la HAS à tout le territoire national. Ils peuvent alors être répliqués plus facilement par un simple arrêté de l’ARS. La loi prévoit même que ces protocoles soient intégrés à la formation initiale ou au développement professionnel continu (DPC) des professionnels de santé, selon des modalités définies par voie réglementaire.

• Plus récemment, neuf nouvelles priorités nationales ont été fixées par un arrêté du 30 janvier 2018 : prévention et suivi des pathologies cardio-neurovasculaires et du diabète ; prévention et suivi des pathologies respiratoires ; prévention et suivi des cancers ; prévention de l’hospitalisation et maintien à domicile des patients âgés ; prévention et suivi des pathologies ophtalmologiques ; prévention et suivi des pathologies gynécologiques et obstétricales ; prévention et suivi des pathologies bucco-dentaires ; prévention des pathologies et suivi du développement des enfants ; prévention et suivi des pathologies en santé mentale. Le gouvernement a donc de l’ambition pour ce dispositif non exempt de critiques.

• Au 1er janvier 2018, 51 protocoles ont reçu un avis favorable de la HAS. Mais celle-ci ne sait pas combien sont réellement mis en œuvre sur le territoire ! En novembre 2015, elle livrait un « bilan du dispositif » assez sévère : certes, « l’application de l’article 51 de la loi HPST a démontré son utilité pour certaines pratiques favorisant la délégation de tâches », mais « le bilan est mitigé. […] Globalement, les protocoles de coopération ont du mal à s’implanter dans le paysage sanitaire. Le dispositif reste lourd et chronophage, ce qui ne permet pas aux professionnels de se l’approprier facilement. » Néanmoins, l’AP-HP, qui totalise onze protocoles de coopération actifs au 1er mars 2018 concernant 45 paramédicaux, est ambitieuse. Son objectif : arriver à 1 000 paramédicaux impliqués dans un protocole en 2019, soit une hausse de 2 000 % en un an !

Pratiques avancées

Une voie supplémentaire existe pour les infirmières souhaitant gagner en compétence et en autonomie. Elles peuvent désormais « exercer en pratique avancée au sein d’une équipe de soins primaires coordonnée par le médecin traitant ou au sein d’une équipe de soins en établissements de santé ou en établissements médico-sociaux coordonnée par un médecin ou, enfin, en assistance d’un médecin spécialiste, hors soins primaires, en pratique ambulatoire », selon l’article 119 de la loi du 26 janvier 2016.

La profession est dans l’attente de la parution du décret qui va préciser les compétences des infirmières en pratique avancée (IPA), leur formation et leur rémunération. Florence Ambrosino, qui participe aux discussions en tant que membre du comité de pilotage du Réseau de la pratique avancée en soins infirmiers GIC Repasi, dévoile l’avancée des discussions : « Les compétences de l’IPA sont le raisonnement clinique, le leadership et la recherche. Nous n’avons pas obtenu que figure dans le décret le terme de consultation, en raison de l’opposition des médecins. Le terme retenu est celui d’“entretien infirmier”. L’IPA pourra prescrire tous les produits non soumis à prescription médicale, des examens paracliniques (IRM, bilan sanguin, etc.), renouveler des ordonnances… Leur formation sera un master en pratique avancée, qui comportera toujours une option : gérontologie, oncologie, diabétologie, etc. Et elles seront responsables de leurs actes. » Le projet de décret dispose aussi que l’IPA exercera notamment au sein d’une équipe de soins primaires et définit préciséments les domaines d’intervention (pathologies chroniques, oncologie, transplantation rénale, santé mentale et psychiatrie). Le président de l’Ordre national infirmier, Patrick Chamboredon, commente : « C’est un nouveau métier qui se dessine. »

1 - Hôpital, patients, santé et territoires.

Entre médecin et infirmière

Les trois protocoles étendus médecin-infirmière les plus diffusés :

SAVOIR PLUS

→ Article 51 de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 (HPST).

→ Le guide méthodologique des protocoles de coopération entre professionnels de santé est en ligne sur le site de la HAS (bit.ly/2HvtxMd).

→ Décret n° 2010-1204 du 11 octobre 2010 relatif aux modalités d’intégration des protocoles de coopération étendus dans le DPC et la formation initiale des professionnels de santé.

→ Arrêté du 30 janvier 2018 fixant les priorités nationales en matière de protocoles de coopération.

TERRAIN

Le succès du protocole Asalée

Paradoxalement, c’est le seul protocole développé en ville, Asalée (Action de santé libérale en équipe), qui a eu du succès : « Aujourd’hui, 500 infirmières en France sont impliquées aux côtés de 2 000 médecins », explique Christelle Fourneau, infirmière déléguée à la santé publique dans l’association Asalée. Avec des patients diabétiques, atteints de troubles cognitifs ou avec des risques cardiovasculaires, ces infirmières « font une consultation qui dure de 45 minutes à une heure. Nous évoquons leurs conditions de vie, l’évolution de leur maladie, l’observance des traitements. Nous renouvelons les ordonnances, prescrivons des bilans sanguins, des examens… » Asalée est le seul protocole où les transferts de tâches ont été valorisés : « Nous nous sommes battus pour une prime. Et notre formation est reconnue par un diplôme. »

INTERVIEW

GILLES DEVERS Avocat au barreau de LYON

Délégation, glissement de tâches : pouvez-vous préciser ces termes ?

• Dans la pratique, la notion de délégation de tâches est souvent utilisée de manière inappropriée. Elle est souvent confondue avec la collaboration, par exemple entre l’aide-soignante qui prend en charge un patient, et l’infirmière qui l’encadre. Collaborer, c’est travailler ensemble, avec souplesse. Mais ce n’est en aucun travailler à la place d’un autre. Si une infirmière venait à déléguer la responsabilité des soins, qui est son rôle propre, ce serait un glissement de tâches, et c’est clairement illégal.

Les protocoles de coopération autorisent des transferts d’activités ou d’actes de soins. Pourquoi avoir eu recours à ce dispositif dérogatoire ?

• C’est une manœuvre de contournement de la loi. Il y a eu plusieurs tentatives pour sortir de la liste des 42 actes infirmiers, qui est absurde : pour pouvoir évoluer, une profession se définit par une fonction, un cœur de métier. Mais toutes ces tentatives ont buté sur le conservatisme médical et infirmier. Avec les protocoles étendus au niveau national, plus faciles à répliquer, peut-être va-t-on enfin réussir à détricoter cette liste d’actes ?

Les négociations actuelles sur le décret encadrant les pratiques avancées butent sur la notion de consultation infirmière : les médecins refusent le terme, lui préférant celui d’entretien…

• Depuis 1980, les articles R 4311-1 et R 4 311-3 du code de la santé publique reconnaissent le diagnostic infirmier, l’analyse de situation, les objectifs de soins. Comment faire sans réaliser une consultation ? Elle existe bien, elle a même une cotation en libéral : AIS 4, c’est la surveillance clinique infirmière et de prévention, d’une durée de trente minutes. Les infirmières doivent sortir de la culture de la soumission, la loi leur permet déjà de s’imposer, inutile de s’encombrer d’artifices. Les pratiques avancées ne vont concerner qu’un pourcent de la profession, c’est de l’enfumage.

Propos recueillis par Caroline Coq-Chodorge