L'infirmière Magazine n° 392 du 01/04/2018

 

ANOREXIE MENTALE

SUR LE TERRAIN

TRANSMISSIONS

Anne-Gaëlle Moulun  

Depuis 2016, le service des troubles du comportement alimentaire du CH Sainte-Anne, à Paris, utilise un logiciel de « morphing » pour prendre en charge les problèmes du schéma corporel dans l’anorexie mentale. Un outil qui mise, notamment, sur un vrai rôle infirmier.

Cette phase de la prise en charge commence généralement à partir d’un IMC aux environs de 16 », indique Émilie Rouet-Goral, infirmière dans le service des troubles du comportement alimentaire au CH Sainte-Anne, à Paris. Des activités de kinésithérapie (balnéothérapie, yoga et renforcement musculaire) et d’art-thérapie (danse, théâtre…) sont proposées en parallèle d’une prise en charge infirmière. Chaque patiente(1) a deux référentes infirmières, qui l’accompagnent durant son hospitalisation. « Nous avons, au minimum, un entretien hebdomadaire dédié au bilan de la semaine, auquel on ajoute un second rendez-vous, uniquement centré sur l’image corporelle, note Émilie Rouet-Goral. En général, on fixe cette entrevue à l’avance, afin que les patientes soient préparées. Au début, elles pensent souvent qu’elles ne sont pas jolies, qu’elles sont trop grosses. Mais, au fur et à mesure des séances, elles arrivent au rendez-vous maquillées, coiffées, apprêtées. »

Des kilos imaginaires

Lors de la première séance, les infirmières utilisent un logiciel de morphing, qui permet de travailler sur l’image du corps. Julie est invitée à enfiler une combinaison moulante gris ardoise. Elle est ensuite prise en photo de face puis placée devant un miroir pendant une minute. Le programme analyse la photo et la déforme de façon aléatoire. Julie doit alors la retravailler jusqu’à ce qu’elle corresponde à l’image qu’elle a vue dans le miroir.

Dans un deuxième temps, elle doit montrer comment elle voudrait être dans l’idéal. Pour finir, les trois photos – idéale, réelle et photo miroir – sont placées côte à côte et analysées. « Le logiciel a une visée évaluative, souligne Émilie Rouet-Goral. Les patientes sont souvent très dysmorphophobiques. Elles évaluent mal la réalité et s’ajoutent souvent des dizaines de kilos. Nous utilisons également le logiciel vers le milieu de la prise en charge, puis à la fin, pour vérifier si leur perception d’elles-mêmes est meilleure ou pas. »

Lors de cette première séance, Julie se trouve plus grosse qu’elle n’est. En revanche, son poids idéal est un poids normal, ce qui est plutôt encourageant. « À l’inverse, certaines patientes ont un idéal très maigre, avec un IMC de 12 ou 14. Quand l’idéal n’est pas un poids normal, la prise en charge peut s’avérer plus compliquée », reconnaît l’IDE. La semaine d’après, lors de la deuxième séance d’image corporelle, Julie est invitée à travailler avec le miroir, dans des tenues différentes. « C’est la seule fois où les patientes se voient de la tête aux pieds car elles n’ont pas de miroir en pied dans leur chambre. Le vestiaire contient des tenues variées, aussi bien des vêtements amples que de jolies robes de soirée avec des chaussures, décrit Émilie Rouet-Goral. Quand les patientes font face au miroir, elles voient la différence entre mettre un pantalon et un pull larges, et une robe moulante. Nous avons un panel de tailles. Si elles ont un IMC de 16, elles rentrent facilement dans du 34 ou du 36. Elles réalisent qu’elles n’ont même pas besoin d’essayer les tailles comme du 40, qu’elles redoutaient car elles les pensaient trop grandes, car ce n’est tout simplement pas leur taille. »

Pendant les séances suivantes, l’infirmière propose à Julie de travailler avec le miroir ou avec des photos et vidéos. « Nous lui demandons d’apporter un cliché d’avant la maladie, quand elle avait un poids normal. Nous prenons également des photos d’elle et nous les regardons ensemble. Les images antérieures à la maladie peuvent évoquer de bons souvenirs. Les vidéos permettent de travailler le mouvement. Sur les photos et les vidéos, c’est parfois plus facile qu’avec le miroir, car les patientes perçoivent une réalité plus objective. Parfois, elles se rendent compte que leurs jambes sont très maigres alors qu’elles les trouvaient énormes dans la glace. »

Des outils adaptés

Autre outil possible : le dessin. « On peut demander aux patientes de se dessiner quand elles étaient à un poids plus bas, dans leur état actuel, avec un IMC dans la normale et dans leur état idéal. Souvent, elles dessinent un squelette pour représenter leur arrivée à l’hôpital. Mais il arrive que certaines dessinent une silhouette normale et nous travaillons alors autour de cette représentation. Souvent, elles redoutent les formes féminines : ventre, cuisses, fesses, joues. Certaines ont débuté un régime car elles trouvaient qu’elles avaient de grosses joues ! »

Au fil des séances, la prise en charge est basée sur différents outils en alternance : miroir, photo et vidéo notamment. « Nous choisissons l’outil qui s’adapte le mieux au profil de la patiente. Certaines patientes ne peuvent pas supporter de se voir en photo et d’autres pleurent à chaque séance avec le miroir, raconte Émilie Rouet-Goral. Nous utilisons tous les outils au moins une fois mais, ensuite, nous choisissons de développer celui qui semble le plus pertinent. La prise en charge dure en moyenne sept semaines et comprend au moins sept séances d’image corporelle pendant la deuxième phase, quand la patiente est encore hospitalisée à temps plein. Elles s’ajoutent à d’autres séances, durant la troisième phase, qui comprend des permissions à l’extérieur de plus en plus longues. »

D’une durée de trois à quatre semaines en moyenne, cette troisième phase intervient lorsque la patiente atteint un IMC de 20. Elle lui permet de confronter son image corporelle avec le monde extérieur, ce qui peut être à double tranchant. « Selon ce que disent les gens, l’image corporelle s’améliore ou s’aggrave, constate l’IDE. Des remarques telles que “Tu as bien repris” ou “Tu as de bonnes joues” ont une influence importante sur les patientes. Il suffit parfois d’une réflexion malencontreuse pour ruiner six semaines de travail positif ! »

L’épreuve du shopping

Quand Julie arrive à un poids normal (entre 51 et 53 kg), Émilie Rouet-Goral lui propose une séance de shopping dans les boutiques. « Souvent, les patientes ne connaissent pas trop leur taille. On les laisse essayer ce qu’elles veulent et les tailles qu’elles souhaitent. Neuf fois sur dix, la cabine d’essayage est synonyme de grosses larmes. Souvent, elles ont choisi des vêtements qui ne leur vont pas. Soit elles ont pris une taille 40 et flottent dedans, soit elles ont pris une taille 32 et ne rentrent pas dedans. Donc elles se trouvent grosses. » L’infirmière a alors un rôle important pour rassurer les patientes. « Il faut dédramatiser et les aider à changer l’interprétation erronée qu’elles ont sur le moment. Nous passons à peu près deux heures ensemble dans les magasins et nous réussissons toujours à trouver quelque chose qui leur va. »

À l’issue de leur hospitalisation, les patientes restent suivies en consultation par un psychiatre spécialisé en troubles alimentaires, soit tous les quinze jours si elles sont fragiles, soit une fois par mois.

1- L’Inserm note que l’anorexie mentale est un trouble majoritairement féminin. Elle « se déclenche le plus souvent entre 14 et 17 ans, avec un pic de prévalence maximale à 16 ans. Elle peut néanmoins survenir plus tôt, à partir de 8 ans, ou plus tard, après 18 ans. » Source : bit.ly/2CAkcA1

CAS DE DÉPART

Julie, jeune patiente anorexique de 22 ans, pèse 48 kg pour 1,60 m. Hospitalisée depuis six semaines, elle pesait 44 kg à son arrivée au service des troubles du comportement alimentaire. La première phase de son hospitalisation, qui s’étale en moyenne sur six à douze semaines, s’est uniquement concentrée sur la reprise de poids et la rééducation alimentaire. Une fois son IMC stabilisé autour de 16, Julie peut démarrer la seconde phase : le travail sur l’aspect psychologique de son trouble alimentaire.

HISTORIQUE DU PROJET

→ Décembre 2011 à avril 2015 : Étude menée sur 100 patientes pour tester l’efficacité du logiciel de morphing sur les troubles du schéma corporel dans l’anorexie mentale.

L’investigateur principal était le Dr Pham-Scottez et Cécile Bergot, cadre de santé, en était la responsable scientifique.

→ Depuis 2016 : Utilisation du logiciel de morphing en soins courants.

→ 2016-2018 : Inclusions terminées, communication et publication en cours.

OUTIL

Le toucher thérapeutique

« Pour pratiquer le toucher thérapeutique, il faut avoir le diplôme d’infirmière clinicienne, rappelle Émilie Rouet-Goral. Il s’agit d’apposer ses mains sur le corps de la patiente, en délimitant tous les contours, en fonction de ce qu’elle accepte. Cela lui permet de se rendre compte de ses formes réelles. Une patiente avait, par exemple, un blocage au niveau de ses hanches qu’elle trouvait trop grosses. Grâce au toucher thérapeutique, elle a réalisé que les mains de l’IDE, placées de part et d’autre de ses hanches, n’étaient pas si éloignées que cela. Donc que ses hanches n’étaient pas si grosses. Mais il a fallu une dizaine de séances pour qu’elle accepte qu’on lui touche les hanches. »