La nuit, les IDE assurent des soins où le relationnel tient une grande place. En effectif restreint, elles comptent sur les soignants qui les entourent pour garantir aux patients une prise en charge de qualité.
Difficile, pour qui n’y travaille pas, de se représenter la vie d’un hôpital la nuit. On imagine une ruche en veille, des pas feutrés, des moments d’agitation intense, d’autres de calme plat… À cause de cette méconnaissance, les infirmières, puéricultrices et aides-soignantes dont c’est le terrain professionnel, sont des figures de l’ombre. Pourtant, leur travail est essentiel dans la prise en charge des patients. En effectif réduit, souvent sans hiérarchie présente, elles jonglent entre fatigue, angoisses des patients et protocoles de soin pour dessiner des méthodes de travail propres à ces heures où le monde tourne au ralenti.
« La nuit, je peux réaliser un soin avec un bébé sans être interrompue, discuter avec les mamans, faire des consultations d’allaitement », apprécie Marion(1), puéricultrice au CHU de Bordeaux (33). En effet, après 20 h, le téléphone sonne moins, il n’y a pas de rendez-vous à prendre, plus de médecin en tournée. Dans les couloirs, le personnel se fait plus rare. Certains services, comme les urgences ou la réanimation, ont des médecins sur place. Dans d’autres, il y a des internes de garde ou des praticiens hospitaliers d’astreinte. Les cadres de proximité comme l’encadrement supérieur sont absents, laissant parfois la place à des cadres de nuit en charge de plusieurs pôles. Il n’est pas rare qu’il n’y ait pas d’encadrement du tout. « Finalement, on peut travailler avec plus de douceur la nuit, sans avoir plein de monde dans les pattes. On va à l’essentiel », renchérit Nadège, IDE en réanimation en Normandie.
Le soir, les patients expriment davantage leurs angoisses, qui ressurgissent bien souvent à ce moment-là. « Les soins relationnels représentent une bonne partie du travail des infirmières de nuit. Les patients attendent d’elles une plus grande disponibilité », explique Anne-Cécile Petit, cadre en rééducation neurologique à l’Institut de réadaptation de Lay-Saint-Christophe (54). En psychiatrie, l’attention portée aux patients est encore plus grande. « On les accompagne pour la dernière cigarette du soir pour faire un petit point informel, relate Marjorie, IDE dans un hôpital psychiatrique. La nuit, on fait beaucoup d’entretiens. Les patients savent qu’on a le temps de les écouter. » Entre les passages réguliers dans les chambres, toutes les deux heures au minimum, le bureau infirmier reste ouvert pour les victimes d’insomnie. En pédiatrie, le début de la garde de nuit correspond au moment où les parents doivent regagner leur domicile. « On entoure les enfants qui pleurent », témoigne Aurélie, puéricultrice en Alsace. Au CHU de Bordeaux, c’est l’heure des Dormeuses, des bénévoles qui viennent passer du temps avec les enfants lors de cette période de transition. « Leur présence est précieuse en néonatalogie et en soins intensifs, elles peuvent câliner nos bébés sujets aux pleurs du soir quand nous sommes prises par les transmissions », apprécie Marion.
Ces soins relationnels se font aussi par téléphone. Aux urgences pédiatriques, les parents inquiets appellent souvent en soirée, alors que les parents des bébés en néonatalogie sont plus angoissés au milieu de la nuit. « Les mamans qui sont rentrées de la maternité sans leur bébé ont souvent besoin d’avoir des nouvelles entre 2 h et 4 h du matin », explique Aurélie. En psychiatrie, les patients connaissent également le numéro du service. « Ici, les patients font des séjours réguliers, nous devenons des personnes ressources pour eux, alors ils nous appellent quand ils ont des insomnies et des pics d’angoisse », raconte Marjorie.
Pour les cadres aussi, la gestion des inquiétudes représente une partie importante du travail nocturne. « Ce n’est pas aux soignants de faire des rappels de règlement… Quand il y a trop de personnes dans une chambre, quand des parents s’impatientent aux urgences, j’interviens pour ramener le calme et trouver des solutions », détaille Caroline-Annie Martin, cadre de santé puéricultrice de nuit en pédiatrie et obstétrique-reproduction-gynécologie au CHU de Bordeaux.
Mais les tâches des IDE ne se limitent pas aux soins relationnels. Elles assurent aussi la continuité des soins, accomplissent les gestes prescrits par les médecins et ont le même rôle de vigilance que leurs homologues de jour. « On peut décaler certains examens non vitaux pour préserver le repos des patients, mais pour le reste, on a une charge en soins équivalente à celle de la journée », confirme Caroline, ancienne IDE en réanimation. À la différence près que ces soins s’effectuent sans médecin dans le service, avec moins de collègues et dans le plus grand respect du sommeil des patients. « On baisse le son des alarmes, on travaille avec une lumière tamisée… Mais s’il faut poser une perfusion ou donner une dose d’antibiotiques, on le fait », résume Aurélie. Dans les chambres doubles, les équipes couplent les soins autant que possible, pour limiter les passages.
Elles s’organisent aussi en s’appuyant les unes sur les autres. « La nuit, l’entraide prend un autre sens », souligne Corinne Monteverdi, cadre de nuit en soins généraux au CH de Troyes (10). « Au lieu d’avoir nos patients attitrés, nous travaillions vraiment en équipe. Nous devions bien connaître tous les cas », se remémore Caroline. « Il y a une vraie culture de la nuit, plus chaleureuse, plus solidaire, même entre les services. Il n’est pas rare de demander de l’aide à un autre étage », plussoie Anne Perraut-Soliveres, ancienne cadre de nuit(2). Cette orchestration incombe en partie à l’encadrement. « Il m’arrive de demander à une IDE expérimentée d’accompagner une jeune diplômée sur certains gestes, même si elle est dans un autre service. Il faut donc que je connaisse bien les équipes et que je sache apprécier leur charge de travail », détaille Corinne Monteverdi.
Et l’une des forces du collectif, c’est d’être un appui à la prise de décision. « Avant d’appeler le médecin de garde, on discute toujours entre nous », explique Nadège. Les soignantes de nuit doivent en effet faire preuve d’une capacité d’analyse et de recul. « Il m’a fallu six mois pour être à l’aise avec cette responsabilité », se souvient-elle.
Même quand il y a une cadre pour les épauler, les IDE doivent souvent élaborer de réelles démarches de soins. « Il n’y a pas le choix : il faut faire face à l’imprévu. On développe un savoir-faire particulier, qui n’est pas transcrit dans le cadre réglementaire », regrette Anne Perraut-Soliveres. En effet, les IDE de nuit ne disposent pas d’autorisation supplémentaire. « Pour assurer la sécurité des soins, il faut parfois que j’insiste auprès des médecins pour qu’ils se déplacent et ne délèguent pas certains gestes », remarque Corinne Monteverdi. Pour les soins prescrits par téléphone, les IDE veillent à ce qu’ils soient systématiquement confirmés par écrit, quitte à se déplacer aux urgences pour trouver le médecin.
« L’autre absence de reconnaissance vient des équipes de jour, qui ont parfois du mépris pour les soignantes de nuit », constate Anne Perraut-Soliveres. Quand les postes de nuit sont fixes, sans alternance avec le jour, les personnels qui les occupent sont souvent invisibles. Absentes des réunions d’unités, des groupes de travail, voire des formations, les IDE doivent insister pour que leur travail soit reconnu à sa juste valeur. « En pédiatrie, les cadres de nuit participent aux réunions de pôle et assurent la représentation des équipes dans plusieurs instances », explique Caroline-Anne Martin. Quand l’encadrement de nuit n’est pas prévu, des moyens de communication peuvent être mis en place, comme des messageries internes ou des carnets de liaison. « Mais les collègues de jour nous renvoient souvent une image négative, elles ont l’impression qu’on travaille moins qu’elles », regrette Nadège.
Si la nuit peut effectivement sembler plus calme, on ne peut faire abstraction de la fatigue, surtout quand elle s’installe durablement. « Ce n’est pas évident de se reposer en journée et de changer en permanence de rythme de vie », reconnaît Caroline. D’autres parlent d’incapacité à récupérer, d’épuisement chronique, même en repos. « J’ai dû repasser de jour car je n’arrivais plus à dormir. Cela fait deux ans et je n’ai toujours pas retrouvé un sommeil de qualité », détaille Camille. L’encadrement, voire la médecine du travail, peut donner des astuces pour se maintenir en forme : penser à boire, profiter du calme pour s’asseoir, manger pour avoir de l’énergie. « Moi, c’est le calme de la nuit qui me permet de tenir dans la durée. Je ne pourrais pas travailler à ces horaires dans une agitation comme en plein jour », conclut Marion.
1- Par souci d’anonymat, seuls les prénoms de nos interlocutrices ont été conservés.
2- Qui a soutenu une thèse de doctorat sur les infirmières de nuit.
1- Xia Yuan, Chenjing Zhu, Manni Wang, Fei Mo, Wei Du and Xuelei Ma, « Night shift work increases the risks of multiple primary cancers in women », janvier 2018. À consulter ici : bit.ly/2mirnqS
Bouleverser le rythme biologique en travaillant à un moment où le corps est censé dormir n’est pas sans conséquence. Une étude parue en janvier dans Cancer, epidemiology, biomarkers and prevention(1), analyse les données de 61 recherches et pointe du doigt un risque accru de cancer, notamment chez les femmes.
« Pour cinq ans de travail de nuit, le risque du cancer du sein augmente de 3,3 % », notent les auteurs.
L’étude fournit aussi des données spécifiques pour les infirmières de nuit « à long terme ».
Le risque de cancer du sein augmente de 56 %, de cancer digestif de 35 %, et de cancer du poumon de 28 %.
Cette étude confirme le lien établi, notamment par l’Agence nationale sécurité sanitaire alimentaire (Anses) en 2016, entre travail de nuit et risques pour la santé à long terme.
Les perturbations du rythme circadien – et donc de la production d’hormones –, le manque de sommeil et de mauvaises habitudes alimentaires composent un cocktail dangereux.
→ Infirmières, le savoir de la nuit, Anne Perraut Soliveres, PUF, 2001.
→ « Pouvoir se reposer au cours du poste de nuit : un atout pour le travail ? », Ghislaine Tirilly, Béatrice Barthe et Catherine Gentil, in Pistes 17-2, Regards d’ergonomes sur le travail, 2015.
→ « L’expérience du travail de nuit chez des infirmières de pneumologie », Cathy Toupin, in La vie professionnelle – Âge, expérience et santé à l’épreuve des conditions de travail, Octarès, 2012.
→ « Le travail de nuit des salariés en 2009 », Dares analyses, 2011.
En mai 2017, le gouvernement a accordé une augmentation de la prime de nuit aux infirmières de la fonction publique hospitalière, dont le montant a scandalisé professionnels et syndicats. Pour les personnels « des services d’urgences ou de soins critiques alternant des horaires de jour et de nuit », cette prime est passée de 1,07 € à 1,26 € brut par heure. Pour tous les autres, le montant de 1,07 € a été conservé. Les syndicats parlent de « coup de massue » et de mesure « insultante ». « On a l’impression qu’on nous accorde un pourboire mais que les difficultés inhérentes au travail de nuit ne sont pas valorisées », abonde Marjorie, IDE en psychiatrie, qui alterne jours et nuits au sein de son service.