Sur les hauteurs de Toulon, à La-Valette-du-Var (83), l’Ehpad Colonel-Picot, adepte de la méthode Montessori, accueille les membres vieillissants de la fondation des Gueules cassées ainsi que le grand public. Un lieu où l’autonomie est au cœur du projet d’établissement, dans le respect et la dignité des aînés.
Les résidents gravissent une légère pente entre les oliviers et les plantes grasses, dans ce parc de cinq hectares, pour atteindre le bâtiment principal de l’Ehpad Colonel-Picot, dit des « Gueules cassées ». Il surplombe le village de La-Valette-du-Var, et plus loin s’étendent Toulon et la côte méditerranéenne. Derrière ce nouveau bâtiment de 113 lits ouvert en 2015, le mont Coudon s’offre à eux depuis les terrasses des chambres et des jardins.
Dans la salle des infirmières, on peut lire les valeurs de l’établissement, inspirées de la méthode Montessori : « Chaque chose que vous faites à ma place est une chose que vous m’enlevez », « Aidez-moi à garder ma dignité », ainsi que des principes comme : offrir le choix, inviter à participer à une activité, aller du plus simple au plus complexe, ralentir pour être au rythme de la personne… Des mots écrits comme s’ils étaient susurrés aux oreilles des soignants à chaque instant.
Cet établissement de pointe, financé par la fondation des Gueules cassées (voir encadré p. 28), accueille les adhérents de cette dernière – composés d’anciens combattants – mais également le grand public. L’Ehpad a su s’adapter au profil vieillissant des membres des Gueules cassées. « Nous avons de la chance, les actionnaires n’ont pas lésiné sur les moyens en construisant le bâtiment, s’enorgueillit Philippe Taze, directeur, au coin bar de l’Ehpad où les familles peuvent retrouver leurs proches. Nous recevons environ 25 % de personnes du monde combattant, des anciens blessés de guerre. Pour ceux-ci, il arrive que la fondation des Gueules cassées intervienne dans la prise en charge. » Le séjour revient à 2 800 € par mois par résident, tandis que le prix médian français est de 1 949 €(1).
À l’Ehpad Colonel-Picot, des moyens en suffisance permettent aux soignants de prendre leur temps avec chaque résident. a méthode créée par la médecin italienne Maria Montessori s’applique à tout moment. « Nous considérons nos patients comme des personnes comme les autres et prenons en compte leur avis. Cela peut parfois compliquer le soin. Par exemple, nous attendons que le résident se réveille et choisisse de prendre le petit-déjeuner ou de faire sa toilette… qu’il entreprendra seul, s’il le peut, donc plus lentement », explique Jacqueline Lave, infirmière arrivée à l’Ehpad des Gueules cassées en 2015, après avoir travaillé dans d’autres structures qu’elle a fini par quitter, outrée du manque de respect et de temps à consacrer aux personnes. « Nous serons comme eux plus tard, il faut les écouter. Ici, la charte des personnes âgées(2), on la respecte et on l’a même dépassée ! » se réjouit-elle.
L’Agence régionale de santé (ARS) octroie davantage de soignants à certains établissements – dont celui-ci – qui, à titre expérimental, développent des thérapies non médicamenteuses. « Une vingtaine d’établissements sur 630 dans la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur bénéficient de financements supplémentaires », explique le Dr Jean-Marie Pingeon, médecin inspecteur de santé publique à l’ARS Paca. Cette enveloppe a par la suite été complétée par des fonds de la fondation pour permettre d’autres investissements en personnel, lequel est ensuite formé aux méthodes non médicamenteuses et sans contention physique.
Avec plus de 70 ETP – un soignant pour huit résidents –, le personnel se sait privilégié d’évoluer dans un tel cadre et mobilise cette énergie pour le bien-être des 111 résidents permanents. « Le fait d’être un établissement sans contention nous a amenés à prévoir un mobilier modulable dans toutes les chambres », explique Laurence Salvini, responsable qualité. Celles-ci sont composées de blocs d’éléments où s’emboîtent, par exemple, tables de chevet, luminaires, fiches électriques… Le lit, lui, est rehaussable et peut être entouré de matelas en cas de chute. Pour mettre en place cet établissement sans contention, il a fallu former les soignants durant deux ans et demi. Ici, on ne trouve ni barrière de lit ni ceinture de maintien… « Les familles sont informées dès l’admission de leur proche du projet de l’établissement, élaboré autour de la possibilité pour les patients de déambuler, de faire leurs propres choix et où la contention n’a pas lieu. Mais quand il y a une chute, ils doivent aussi l’accepter », précise Geneviève Haggai Driguez, médecin coordonnatrice de l’Ehpad.
Vers 10 h 30, il y a beaucoup de monde dans les couloirs. Les uns regardent la télévision, les autres prennent un café auprès des aides-soignantes. Nous sommes dans l’une des trois unités protégées, lieux de vie des personnes touchées par la maladie d’Alzheimer. « Chacun se promène librement, sans avoir l’impression d’être contraint à quoi que ce soit », explique Laurence Salvini en croisant une résidente qui lui demande quel jour nous sommes. L’endroit est sécurisé par des digicodes ou des blocs-portes invisibles aux résidents, réduisant la sensation d’enfermement. Dans leur chambre, aucune clé mais des placards pouvant être fermés par les soignants par un mécanisme invisible. Le personnel, lui, a accès aux dossiers « parcours de vie » des résidents à différents endroits de l’établissement.
Au troisième étage, hors de l’unité protégée, Raymond Leroux, 89 ans, surfe sur Internet sur le bureau installé à la fenêtre de sa chambre, après avoir fait un brin de causette avec ses voisines de couloir. Laurence Salvini l’étreint amicalement, comme elle le fait avec chacun des résidents dont elle connaît le parcours de vie. « C’est une valeur importante de l’établissement. Nous adaptons les activités et la journée des résidents selon leur passé et leurs passions. » C’est l’un des grands principes de la méthode Montessori, qui a largement le vent en poupe dans les établissements se situant dans la logique de la TNMP (thérapie non médicamenteuse personnalisée). Ancien prisonnier des camps, loquace et enjoué malgré des blessures au corps et au cœur, M. Leroux s’encourage. « J’essaye de faire tout ce que je peux moi-même et de participer à toutes les activités proposées. »
Gymnastique douce, musicothérapie, anniversaires des résidents une fois par mois, lecture quotidienne (ou presque) du journal… « Nous les occupons pour ne pas qu’ils pensent à ce qui ne va pas », explique la responsable qualité. « On suggère le plus possible pour créer un engagement du résident, complète la médecin coordonnatrice Geneviève Haggai-Driguez. Alors, ils n’ont pas le temps d’être tristes. C’est notre façon de prendre en charge un trouble du comportement. »
Tout le monde est calme en attendant le déjeuner. Des résidents en fauteuil arrivent, poussés par les plus valides, dans le grand restaurant aux couleurs chaudes et lumières douces. Jacqueline Lave salue les résidents. « C’est une activité de prendre le temps de l’écoute, en dehors des soins. Une relation de confiance s’installe quand on connaît bien les résidents. Cela permet d’observer les corps sans forcément discuter », explique l’IDE, après sa t1ournée entre les tables. La veille, la salle s’était transformée en piste de danse pour accueillir un atelier tango. Des musiciens, danseurs et chercheurs de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) tentent de démontrer les bienfaits de la danse, et notamment du tango, sur les malades d’Alzheimer. Une étude sera publiée à l’issue de l’expérimentation.
Autre ambiance au Pasa, le pôle d’activités et de soins adaptés. Frigo vintage vert amande, horloge ancienne, photographies sépia aux murs… Ce lieu hors du temps accueille les personnes ayant des troubles du comportement légers et modérés. Ils sont une vingtaine à y avoir accès pour des activités adaptées, jeux de cartes, psychomotricité, ateliers cuisine ou sieste en fauteuil massant… accompagnés d’une ergothérapeute, d’un psychologue, d’un assistant en gérontologie ou d’une aide-soignante. Un Pasa de nuit est également à l’essai. « Nous y accompagnons des patients qui ont des troubles du comportement la nuit », poursuit le Dr Haggai Driguez. Tous les résidents peuvent venir y passer une nuit, lorsque cela s’avère utile. Avant l’endormissement, les soignants les apaisent par une lecture, un massage ou lancent un film. « Des choses simples pour ne pas les garder en éveil. » Depuis son installation, il y a moins de sonnettes la nuit car les angoisses sont anticipées. « Les soignants sont apaisés et ne sont plus tiraillés entre prise en charge des soins et troubles nocturnes », selon Geneviève Haggai-Driguez. Là encore, c’est le choix d’une prise en charge personnalisée et non médicamenteuse qui a été retenue, pour garantir à chacun, soignants comme résidents, un soin effectué dans le calme, en prenant son temps.
1- Analyse des tarifs en Ehpad en 2016, publiée par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). Analyse statistique n° 4, juin 2017.
2- La « charte des droits et libertés de la personne âgée en situation de handicap et de dépendance » a été rédigée par la Fondation nationale de gérontologie. Disponible ici : http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/charte_2007_affiche-2.pdf
Les “Gueules cassées” désignent plus de 500 000 soldats blessés lors de la Première Guerre mondiale, dont 15 000 restèrent gravement mutilés.
L’Union des blessés de la face et de la tête fut créée pour apporter un soutien « fraternel, moral et matériel » aux camarades défigurés, à une période où le code des pensions militaires d’invalidité né prévoyait pas d’indemnisation aux soldats blessés au visage. Cette France encore rurale pensait alors : il leur reste des bras et des jambes pour travailler ! Dès 1930, ces Gueules cassées vont organiserdes tombolas qui rencontrent un vif succès, et l’État s’en inspire pour créer la Française des jeux. Plus tard, en 1975, les Gueules cassées proposent un nouveau jeu : le Loto.
Aujourd’hui, l’association est actionnaire de la Française des jeux à hauteur de 9,23 %. Les dividendes et intérêts, d’une valeur approximative de huit à dix millions d’euros par an, financent des moyens humains aux blessés de guerre et leur famille, des missions sociales, la recherche scientifique autour des traumatismes cranio-faciaux, le soutien d’hôpitaux militaires… Alors que le dernier Poilu est mort en 2008, les mutilés du visage et du cou de l’armée française en opérations extérieures, les pompiers et les policiers, peuvent recevoir le soutien des Gueules cassées. Une fondation a été créée en 2002.