L'infirmière Magazine n° 392 du 01/04/2018

 

FORMATION

CAS CLINIQUE

Face à un patient atteint d’un cancer incurable et aux symptômes réfractaires, l’équipe soignante décide, encouragée par ses propos désespérés et l’accord de son épouse, de le placer sous sédation. Une décision hâtive qui n’a pas respecté les règles de base.

CAS CLINIQUE

→ M. M., 61 ans, est hospitalisé en court séjour pour dyspnée et douleurs. Il est atteint d’un cancer hépatique métastatique au niveau osseux, en progression sous chimiothérapie. À ce jour, M. M. présente une ascite importante (dernière ponction évacuatrice il y a quinze jours) et une faiblesse musculaire avec douleurs dorsales intenses limitant les déplacements. Il signale des nausées lors des prises alimentaires et des éveils nocturnes avec fatigue diurne.

→ Jour 1 : une ponction d’ascite améliorant le confort respiratoire est réalisée. Prescription d’antalgiques de palier II et d’interdoses si besoin.

→ J 2 : le médecin annonce à M. M. et son épouse l’arrêt de la chimiothérapie, inefficace. Il n’a pas d’autre traitement à proposer.

→ J 3 à J 8 : face à ses douleurs mal soulagées, M. M. ne demande pas d’antalgique supplémentaire. Il limite ses mouvements, a tendance à rester au lit. Il mange peu, a la bouche sèche et a soif. Boire lui donne la nausée. L’équipe de nuit signale qu’il dort mal. Le volume abdominal augmente de jour en jour. Aux soignants, M. M. dit : « J’en ai marre, il faut que ça s’arrête. Il n’y a plus rien à faire. C’est pas une vie d’être comme ça, je suis un poids pour ma famille. » Son épouse évoque son épuisement : « Je sais bien que ce n’est pas de sa faute, mais je n’en peux plus. »

→ Nuit du 8e au 9e jour : M. M. est dyspnéique avec début d’encombrement. Il est agité : « Faites-moi une piqûre pour que ça s’arrête, je n’en peux plus. »

Son épouse : « C’est intolérable de le voir souffrir comme ça, faites quelque chose. »

→ J 10 : les infirmières de l’EMSP(1) présentes dans le service pour une autre situation entendent une discussion entre soignants à propos de M. M. : « Pour son bien et celui de sa famille, il fallait le sédater. Avec ces maladies, on sait bien comment ça finit. Il souffrait trop ! » L’aide-soignante venant de réaliser la toilette exprime sa gêne : « Il grimace pendant les mobilisations. Sa femme pleure. » Les infirmières de l’EMSP questionnent le médecin du service : il a informé l’épouse de la possibilité d’endormir son mari pour qu’il meure sans souffrir, ce qu’elle a accepté. Il a prescrit du Midazolam à 50 mg/24 h en seringue auto-pulsée par voie intraveineuse et l’arrêt des autres traitements : « Le patient dort, il ne souffre plus. » L’hydratation est toutefois maintenue à 500 ml/24 h. L’épouse est informée d’un décès imminent : « La famille est au clair. » Il n’a pas besoin de l’EMSP pour la situation.

→ J 14 : la famille présente 24 h/24 est épuisée : « Ce n’est pas humain de le laisser comme ça. Il devait mourir vite. Est-ce qu’on a pris la bonne décision ? »

Le Midazolam a été augmenté de 5 mg tous les jours. M. M. grimace toujours durant la toilette. Il est encombré et semble gêné pour respirer malgré l’augmentation de l’oxygène. Pour le confort du patient, le médecin envisage d’augmenter la dose de Midazolam. Il demande à l’EMSP de soutenir la famille.

→ J 15 : décès de M. M.

ANALYSE

Ce cas clinique suggère une demarche en plusieurs étapes, qui commence avant une possible sédation.

Avant la prise en charge palliative

→ Se poser la question de l’objectif des traitements dans un contexte de maladie grave et évolutive permet de repérer les situations auxquelles il faut porter une attention globale particulière. Prenons l’exemple de la pathologie cancéreuse : dans certaines situations, le cancer n’est pas curable et les traitements spécifiques anticancéreux mis en œuvre peuvent avoir d’autres objectifs que la guérison : contenir ou ralentir la progression des cellules cancéreuses et permettre d’augmenter l’espérance de vie, limiter la survenue de complications en lien avec les localisations tumorales… Quel est l’objectif recherché de la chimiothérapie pour M. M. ? Se poser la question en termes d’objectifs des traitements spécifiques permet d’identifier les patients relevant d’une prise en charge palliative, en amont de la phase terminale de la maladie.

→ Différents élément vont orienter vers une prise en charge palliative dans la situation de M. M. :

- le fait qu’il s’agisse d’une pathologie cancéreuse évolutive sous chimiothérapie, d’où la décision d’arrêt des traitements spécifiques anticancéreux ;

- les symptômes physiologiques générant un inconfort : douleurs, production d’ascite ayant un impact sur la respiration, bouche sèche et sensation de soif, nausées, apparition d’un encombrement bronchique, impact sur la vie quotidienne, limitation des mouvements, alitement prolongé, perturbation de l’alimentation, troubles du sommeil…

- la souffrance psychique exprimée par le patient : « J’en ai marre, il faut que ça s’arrête », la perte de sens (spiritualité), le sentiment d’être une charge pour sa famille.

La liaison avec une équipe ressource en soins palliatifs

→ La complexité des situations palliatives nécessite une collaboration entre équipe référente et équipes ressources concernées par le(s) problématique(s) : EMSP, assistantes sociales, diététiciennes, etc. Travailler en pluridisciplinarité en amont de la phase terminale permet une connaissance plus large de la situation physique, psychique, spirituelle, familiale, sociale et culturelle, et l’élaboration d’un projet de soins individualisé. L’anticipation de problématiques qui pourraient survenir s’en trouve facilitée.

Le regard extérieur des EMSP vise à compléter la prise en charge de l’équipe référente par des conseils (thérapeutiques, éthiques et législatifs, notamment), un soutien au patient, ses proches et aux soignants.

→ Les notions d’anticipation et d’interdisciplinarité sont inexistantes dans la situation de M. M.. Aucune équipe ressource n’a été sollicitée. Des temps de réflexion et d’échanges sur le projet de soins du patient auraient favorisé une meilleure compréhension des objectifs de soins par chacun, facilitant l’accompagnement du patient et sa famille. La charge en soins dans les services complique la prise de temps spontanée par les soignants pour se mettre dans une posture réflexive. Le questionnement d’un tiers vient permettre cette posture.

→ L’intervention d’une EMSP aurait toute sa place dans cette situation qui se complexifie un peu plus chaque jour : symptômes gênants physiques et psychiques non contrôlés entraînant une demande de mort par le patient, souffrance des proches dans l’accompagnement et difficultés des soignants. L’EMSP n’est sollicitée qu’aux derniers instants de vie de M. M., alors qu’il est déjà sédaté. Il est trop tard pour une réflexion avec l’équipe. La construction d’un lien de confiance avec le patient et ses proches n’est plus possible, compte tenu des actions mises en œuvre. Il est probable qu’une inclusion, en amont, d’une équipe ressource de soins palliatifs aurait pu aider. D’autres pistes de réflexion et d’action auraient pu être travaillées avant d’envisager la mise en œuvre d’une sédation profonde et continue, notamment la gestion des symptômes physiques.

L’élaboration d’un projet de soins axé sur le confort

Pour élaborer un projet de soins dont le but est de soulager l’inconfort du patient, la démarche clinique est une approche intéressante. En effet, trouver la meilleure solution à un problème demande de la méthode. Voici les différents questionnements à avoir face à un symptôme gênant :

→ Les symptômes d’inconfort de M. M., selon les éléments de la situation clinique, semblent en lien avec la maladie et témoignent de sa progression.

• La douleur dorsale est probablement due à l’atteinte osseuse (l’imagerie ayant révélé les localisations osseuses pourrait le confirmer). Le traitement antalgique (molécule, dose, administration) aurait pu être adapté grâce à une meilleure connaissance de la nature de la douleur : son type (nociceptive, neuropathique, mixte), son mode (spontanée, provoquée), sa fréquence (permanence, pics), son intensité… Un antalgique de palier III aurait peut-être eu un intérêt en remplacement du traitement par palier II. L’utilisation d’autres molécules pour potentialiser l’effet de la morphine (paracétamol) ou agir en co-analgésie (anti-inflammatoire) est souvent nécessaire. Il faut noter que M. M. ne demande pas spontanément d’interdoses (pourquoi ? par peur de déranger ? peur d’effets secondaires indésirables ? savait-il qu’il pouvait en demander ? pensait-il que rien ne le soulagerait ?), et adapter la surveillance soignante pour évaluer la douleur et l’efficacité des traitements. Une douleur soulagée aurait pu permettre à M. M. de reprendre, a minima, une posture favorisant la vie sociale, avec un effet positif probable sur son moral.

• La gêne respiratoire et l’encombrement peuvent être mis en lien avec la présence d’ascite, résultant de l’atteinte hépatique. Le volume d’ascite modifie la capacité à respirer efficacement : M. M. est arrivé dyspnéique, la ponction évacuatrice réalisée a permis d’améliorer son confort. L’augmentation du volume abdominal pouvait amener à penser que la gêne respiratoire allait réapparaître et qu’un encombrement bronchique était possible. Il y avait là matière à anticiper la conduite à tenir le cas échéant, en discutant des options possibles : faire une nouvelle ponction évacuatrice ou traiter uniquement la dyspnée en proposant une prise en charge visant à rendre le patient le plus confortable possible, pouvant aller jusqu’à une sédation.

La relation établie avec le patient est alors essentielle : le médecin, après avoir donné les informations (claires et loyales) au patient sur les problèmes de santé actuels, témoignant de l’évolution de la maladie, peut discuter avec lui des options thérapeutiques. Le patient éclairé par les informations reçues peut alors exprimer son avis et donner son consentement, ou refuser les traitements proposés. Cette démarche relationnelle permet de construire un projet de soins auquel le patient est intégré, dans la mesure de ses capacités. L’anticipation sur la conduite à tenir peut alors aboutir à des prescriptions anticipées au cas où une dyspnée réapparaîtrait.

• La perte d’appétit et les nausées peuvent avoir plusieurs causes : l’asthénie ; un transit ralenti - l’ascite exerce une pression mécanique - entraînant une pesanteur gastrique et/ou abdominale ; une modification du goût rendant les aliments « mauvais » ; l’anxiété ; une bouche altérée (sèche, mycosique, ulcérée, douloureuse), qui rend la prise alimentaire difficile… Suivant la cause identifiée, un traitement sera nécessaire. Des soins de bouche seront proposés (lire p. 46), ainsi qu’une adaptation de la nature, la texture et la température des aliments, afin de favoriser et faciliter l’alimentation. Si le patient n’a pas faim, les apports alimentaires auront pour objectif le plaisir et non de couvrir les besoins nutritionnels.

• Les troubles du sommeil nécessitent d’être décrits pour en repérer la cause. S’ils sont en lien avec un autre symptôme gênant (douleur, dyspnée), c’est par l’amélioration de ce dernier que le sommeil pourra être meilleur. Si c’est la surveillance réalisée par les soignants de nuit (bruit, lumière…) qui provoque des réveils, alors c’est sur les modalités de cette surveillance qu’il faudra réfléchir. Si c’est une anxiété qui est en cause, alors, outre la proposition de soins visant la détente et le confort (toucher-massage, relaxation, lumière en veilleuse…), en fonction des possibilités du service, un traitement à visée anxiolytique pourra être envisagé. Si le service le permet, la présence la nuit d’un proche peut être apaisante.

• La souffrance psychique exprimée (« J’en ai marre, il faut que ça s’arrête. ») nécessite une écoute, un soutien et un accompagnement. Elle fait appel à une compétence en soin relationnel. Comme pour les autres compétences, les soignants acquièrent des connaissances et de l’expérience dans leur exercice professionnel. Cependant, une formation spécifique complémentaire s’avère souvent nécessaire, d’autant plus que la maladie grave et la fin de la vie peuvent générer de la souffrance chez les soignants. Le recours à un professionnel ayant des compétences dans ce domaine doit être envisagé. Un psychologue ou une équipe mobile de soins palliatifs et d’accompagnement (Emspa) peuvent être sollicités.

La demande de « piqûre pour que ça s’arrête », dans ce contexte d’inconfort majeur, est à entendre comme l’appel à un soulagement rapide. La mort peut être envisagée comme le seul moyen pour ne plus souffrir. Soulager le patient peut voir la demande se modifier, voire disparaître. Ce type de demande est à prendre en considération. La démarche clinique de gestion des symptômes d’inconfort nécessite la contribution de tous : patient, proches, soignants, médecins… La pluridisciplinarité permet un regard global et une analyse plus précise afin de trouver ensemble les meilleures solutions.

Le recours à la sédation

La sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès est un moyen thérapeutique pour répondre aux situations de souffrance intolérable pour le patient. L’objectif est de supprimer la souffrance ressentie. Ce n’est pas un moyen de première intention. La législation (lire p. 42) le précise bien en donnant des critères à respecter pour la mettre en œuvre :

- affection grave et incurable ;

- pronostic vital engagé à court terme ;

-souffrance réfractaire.

→ Dans le cas de M. M. :

• Le premier critère de gravité de l’affection et d’incurabilité est avéré.

• Le deuxième critère de pronostic vital engagé à court terme est difficilement objectivable (comment affirmer que l’espérance de vie est de quelques heures à quelques jours ?). Cependant, compte tenu des éléments connus, en l’absence de ponction d’ascite et de gestion de l’encombrement bronchique sur un cancer hépatique évolutif, le pronostic vital peut être engagé à court terme.

• Quant au troisième critère, en l’absence d’adaptation des traitements et soins pour améliorer les symptômes d’inconfort au cours du séjour, il n’est pas possible de savoir si ces derniers étaient réfractaires. Un symptôme est réfractaire s’il ne répond pas aux traitements proposés et/ou mis en œuvre.

→ Une sédation non conforme : dans la situation de M. M., une administration de Midazolam pour l’« endormir » a été réalisée en réponse à une dyspnée avec encombrement sur ascite associée à une agitation, et l’expression par le patient d’un vécu si difficile qu’il demandait « une piqûre pour que ça s’arrête ». Il était urgent d’apporter un soulagement à M. M. au regard du caractère intolérable de ce qu’il vivait. La sédation réalisée, si elle était le moyen de supprimer la souffrance, n’a cependant pas respecté les étapes imposées par le législateur ni les recommandations de bonnes pratiques validées par la Haute Autorité de santé (HAS). M. M. ne semble pas avoir été informé de la possibilité de cette sédation de diminuer sa vigilance, jusqu’à la perte de conscience, dans l’objectif qu’il ne ressente plus sa souffrance et ce, jusqu’à son décès. Il n’a pas reçu une information loyale et n’a pas pu donner son consentement éclairé.

Le médecin a demandé le consentement à l’épouse de M. M. mais un membre de la famille, aussi proche soit-il, n’a pas à décider pour le patient. En revanche, une concertation avec l’équipe soignante et un autre médecin aurait dû être réalisée pour vérifier que les critères de mise en œuvre d’une sédation profonde et continue étaient respectés. Une sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès impose la poursuite du traitement à visée antalgique, et l’arrêt de tout traitement de suppléance vitale (la perfusion d’hydratation et l’oxygène).

1 - Équipe mobile de soins palliatifs.

Démarche clinique

→ Rechercher et évaluer les symptômes gênants

→ Pouvoir les décrire précisément

→ Chercher la cause

→ Prendre en compte le ressenti du patient

→ Inclure le regard des proches dans notre évaluation

GÊNANT

• Ce qui incommode, envahit

• Il peut être d’intensité variable

• Gênant pour qui ? Où ? Quand ? Comment ? Combien ? Depuis quand ?

• Facteurs diminuant le symptôme ?

• Facteurs majorant le symptôme ?

• Efficacité des traitements antérieurs ?

• Retentissement du symptôme sur la vie quotidienne ?

SYMPTÔME

• Phénomène physiologique qui révèle un état pathologique

• C’est un indice, un signe

ÉTUDIANTS EN IFSI

Les UE en lien avec le dossier

Références d’unités d’enseignement et extraits :

→ UE 1.3.S.4 : « Législation, éthique, déontologie » : appliquer les principes éthiques dans des situations de soins posant un dilemme, utiliser une démarche de questionnement éthique (compétence 7) ;

→ UE 2.3.S.2 : « Santé, maladie, handicap, accidents de la vie » (compétence 1) ;

→ UE 2.11.S.1, UE 2.11.S.3, UE 2.11.S.5 : « Pharmacologie et thérapeutiques » (compétence 4) ;

→ UE 3.1.S.2 : « Raisonnement et démarche clinique infirmière » : recueil de données cliniques, transmissions (compétence 1) ;

→ UE 3.2.S.2 : « Projet de soins infirmiers » (compétence 2) et UE 3.2.S.2 : la traçabilité des soins, dossier de soins, transmissions.

→ UE 4.1.S.1 : « Soins de confort et de bien-être » (compétence 3) ;

→ UE 4.2.S2 : « Soins relationnels » : les concepts (relation, communication, négociation, médiation), le toucher dans les soins (compétence 6), UE 4.2.S.3 : la relation adaptée à des situations spécifiques (détresse, deuil…) et UE 4.2.S.5 ;

→ UE 4.7.S.5 : « Soins palliatifs et de fin de vie » : la douleur et son évaluation, la souffrance, l’accompagnement de la personne, et de sa famille, les traitements palliatifs (compétence 4).