Après l’étonnement, itinéraire de deux projets de recherche - L'Infirmière Magazine n° 394 du 01/06/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 394 du 01/06/2018

 

FORMATION

MISE EN ŒUVRE

Anne MEYER-Dario*   Emma Martel**  


*Puéricultrice, Unité d’alternatives à l’hospitalisation, Hôpital des enfants du CHU de Bordeaux
**infirmière, unité d’hospitalisation conventionnelle et unité protégée, CHU BORDEAUX

À partir d’observations de terrain, Anne Meyer-Dario et Emma Martel se sont lancées dans un projet de recherche. Elles détaillent le cheminement de leur réflexion, la méthodologie et les retombées attendues.

Les deux recherches présentées ci-après ont pris naissance dans la filière oncohématologie. Tout d’abord dans un hôpital de jour, qui reçoit quotidiennement une quinzaine d’enfants en relais de l’unité d’hospitalisation d’oncohématologie, ainsi que des enfants atteints de maladies rhumatologiques, de déficits immunitaires et de drépanocytose, pour une courte durée d’hospitalisation impliquant des soins efficaces et rapides. Puis, dans deux unités (une conventionnelle de seize lits et une protégée de cinq lits), dans le centre de référence de la région Nouvelle-Aquitaine et du Sud de la Charente. La notion de centre de référence implique la prise en charge de tous les patients de la région lors de la découverte de la maladie ou d’une rechute ; pour les phases spécifiques des protocoles et lors des greffes de cellules souches hématopoïétiques.

Des situations négatives sans réponse

Le point commun entre ces unités est la maladie grave et chronique. Ceci suppose alors une prise en charge de longue durée pour l’enfant, avec des soins invasifs et répétés nécessitant l’écoute, l’observation, l’accompagnement et l’adaptation pour le bon déroulement de la thérapie et un meilleur vécu du jeune patient. Les équipes médicale et paramédicale s’attachent à faire face aux problématiques individuelles et collectives mais, parfois, certaines situations négatives restent sans réponse. Face à une équipe démunie et insatisfaite par une pratique, le désir de changement a déclenché le processus de recherche. Le cheminement de la recherche s’est déroulé avec le même enthousiasme pour les deux soignantes, malgré la différence de génération, l’une ayant été diplômée infirmière en 2014 et l’autre en 1985.

SOINS DOULOUREUX

« Comment amener les soignants à utiliser la position assise lors des ponctions veineuses chez l’enfant âgé de 15 mois à 2 ans ? »

De l’observation à la question de recherche

Comme évoqué auparavant (lire p. 38), la recherche que j’ai effectuée concerne la ponction veineuse périphérique auprès de jeunes enfants. Ce soin, très fréquent en milieu hospitalier, suscite beaucoup de stress chez les enfants et leurs parents. Parfois compliqué techniquement, il peut amener les soignants à recourir à la contention physique. Cette dernière, selon sa durée et son intensité, peut être traumatisante pour l’enfant et ses parents. Dans l’hôpital de jour du CHU de Bordeaux, qui reçoit de nombreux enfants de tout âge, la ponction veineuse périphérique est pratiquée quotidiennement. C’est dans ce service que j’ai initié cette recherche. Dans un premier temps, elle est restée informelle, donnant lieu à des observations successives.

→ La première observation, menée durant trois mois sur un groupe de 20 enfants, a été effectuée en 2012, pour détailler l’utilisation et le degré de la contention (voir l’échelle de contention p. 52) lors des ponctions veineuses chez les enfants âgés de 15 mois à 2 ans. Cela a permis de reconnaître que les gestes réalisés étaient parfois traumatisants. Dans les mois qui ont suivi, l’équipe a été incitée à trouver des solutions. En effet, la distraction, l’hypnose et le massage – déjà en place dans l’unité pour améliorer la prise en charge de la douleur lors des soins – ne palliaient pas toutes les difficultés et la contention persistait. C’est durant cette phase d’observation qu’avec une auxiliaire de puériculture, nous avons été « étonnées » de constater l’apaisement provoqué par l’installation de l’enfant en position assise. Celle-ci a, dès lors, été de plus en plus utilisée par l’équipe.

→ Afin de confirmer ce constat, des observations ont été menées, durant l’année 2013, sur deux groupes d’enfants âgés de 15 à 24 mois lors des ponctions veineuses : cinq assis et cinq allongés. Le procédé était le suivant : crème anesthésiante posée une à deux heures avant le geste et enlevée quinze minutes avant le soin en dehors de la salle de soin, présence systématique d’un parent et distraction adaptée à l’enfant. En 2015, une autre étude du même type a été effectuée pour évaluer l’utilisation de la position assise par les soignants de l’équipe.

Les résultats de cette première étude comparative ont mis en évidence l’intérêt de la position assise en tant que réponse au stress de l’enfant. Son comportement plus calme a eu pour effet la diminution des niveaux de contention et, peu à peu, la réduction de la contention elle-même.

→ Parallèlement à ce cheminement d’équipe, le groupe Recherche en soins infirmiers du CHU de Bordeaux a été contacté par la cadre de l’unité et m’a guidée vers la construction d’une question de départ : « La position assise et le contact physique d’un parent améliorent-ils la réalisation d’une ponction veineuse chez un enfant âgé de 15 à 24 mois, comparativement à la contention ? » Avec le soutien de la cadre de l’unité, j’ai pu accéder au DU recherche en soins infirmiers et poursuivre ma recherche avec une méthodologie et l’accompagnement d’experts (lire p. 49).

Les étapes de la recherche

La justification de la recherche s’est faite à partir de cette question de départ ainsi que des ressources pertinentes (publications, articles, ouvrages), qui ont conduit à la question de recherche proprement dite.

→ La recherche bibliographique a permis de retrouver les références de documents et ainsi cibler le travail lors de la première étape. Plusieurs bases de données ont été consultées : Cairn, Science direct, Scopus, Pubmed, la revue Recherche en soins infirmiers (RSI), etc. La consultation de Pubmed a permis la découverte d’un article américain traitant du même sujet(1). En 2007, des médecins américains de l’hôpital Saint-Louis (Missouri) ont réalisé une étude comparative auprès de deux groupes de jeunes enfants, les uns installés en position assise, les autres en position allongée, dans les mêmes conditions que l’étude faite dans notre unité (distraction, présence des parents et crème anesthésiante au préalable). Le résultat révèle que 86 % des jeunes enfants et leurs parents préfèrent la position assise car moins stressante.

→ La vérification de l’hypothèse : la lecture bibliographique des différents articles a également permis de justifier, avec des éléments et des recommandations, les hypothèses sur le traumatisme occasionné par la contention et sur l’agitation de l’enfant en position allongée. Par ailleurs, au travers de cette lecture, le contexte environnemental du soin a pu être argumenté : présence des parents, distraction et ap ? plication de la crème anesthésiante locale. La documentation sur le développement psychomoteur permet d’expliquer le comportement de l’enfant et ses réactions à l’âge ciblé. La position assise est en effet rassurante car la verticalisation d’une partie du corps du jeune enfant lui permet de mieux regarder l’environnement, d’être au niveau du regard de l’adulte et de mieux jouer. Ce qui diminue l’agitation et donc, la contention. Un entretien avec une psychomotricienne rattachée à l’unité a pu étayer cette lecture bibliographique.

→ Les objectifs précisent la finalité poursuivie :

– diminuer, voire supprimer, la contention lors des prélèvements sanguins chez l’enfant pour améliorer le vécu du soin et éviter le traumatisme émotionnel ;

– faire évoluer les pratiques soignantes par la prise de conscience des actes infirmiers “agressifs” ;

– développer une philosophie de soin fondée sur la recherche constante du « mieux-être » et la diminution de la douleur de l’enfant.

→ Les retombées attendues ont été décrites au départ et ont été confirmées :

– diminution du stress, de la douleur de l’enfant et meilleur vécu du soin ;

– diminution du stress des parents et des soignants ;

– évolution des pratiques soignantes.

→ La réponse à la question de recherche, trouvée dans l’article américain, a donc mené à une autre question : « Comment amener les soignants à utiliser la position assise pour les enfants âgés de 15 à 24 mois lors d’une ponction veineuse périphérique afin de ne pas utiliser la contention forte ? », qui a conduit à l’étude Papove (Position assise pour les ponctions veineuses).

La méthode et les résultats

→ L’état des lieux : afin de mettre en évidence les freins à l’utilisation de la position assise pour les jeunes enfants, j’ai procédé, dans un premier temps, à un état des lieux au sein des CHU de France. Accompagnée par un biostatisticien de l’université de Bordeaux, j’ai réalisé, via Excel 2010 (fonction « Alea »), un tirage aléatoire sans remise de seize CHU français sur trente-deux. Les résultats ont été analysés avec l’aide de quatre étudiants de l’université (master sciences, technologie, santé). Ces derniers ont utilisé cette enquête pour leur projet tutoré en santé publique. Ce travail commun s’est déroulé de janvier à mars 2015, en cinq réunions.

→ Les questionnaires (voir ci-contre) ont été testés au préalable par les infirmières et puéricultrices de l’unité d’alternatives à l’hospitalisation (hôpital de jour) du CHU de Bordeaux, afin de vérifier la compréhension et d’éviter les biais. La distribution des questionnaires s’est faite par mail et la récupération soit par mail, soit par courrier postal. Ce travail fut long et fastidieux. Il a été nécessaire de demander des autorisations aux cadres des hôpitaux pour leur diffusion. La plupart d’entre eux sont revenus correctement remplis. L’analyse a donc pu confirmer mon hypothèse : 24 % des soignants seulement utilisent la position assise pour le jeune enfant lors des ponctions veineuses. L’étape suivante consistait donc à étudier spécifiquement les facteurs limitant l’utilisation des données issues de la recherche dans la pratique soignante.

→ Repérage des freins à l’utilisation des recommandations. Pour ce faire, un questionnaire également testé au préalable par les soignants de l’unité a été distribué en 2015 dans toutes les unités du secteur pédiatrique du CHU de Bordeaux, hormis la réanimation (unités de soin où la majorité des enfants restent en permanence allongés). Ils ont été mis à disposition directement dans les unités. La récupération s’est faite par courrier interne, facilitée par le fait que le projet avait été présenté lors d’une réunion de cadres. Les limites de cette enquête résident dans le fait qu’elle ne concerne qu’un CHU. Toutefois, des freins ont pu être identifiés (voir schéma p. 43) :

• La pratique individuelle : certaines infirmières puéricultrices ont appris le geste technique en allongeant l’enfant. L’habitude est ancrée, rassurante et fonctionne bien sur le plan technique. Il est plus aisé de pratiquer ce geste sur l’enfant allongé, la position assise demande plus de dextérité, plus d’expérience.

• La méconnaissance : les aides-soignantes et les infirmières travaillant en pédiatrie n’ont pas forcément la connaissance du développement psychomoteur et des besoins psychologiques du jeune enfant. Certains soignants ignorent les décrets, les recommandations ou l’éthique, par manque de formation.

• Influence réciproque entre l’auxiliaire et l’infirmière puéricultrice. Selon l’expérience, l’une des deux décide d’installer l’enfant dans la position qu’elle a choisie et l’impose à l’autre.

• Représentations : certains soignants pensent que la contention sécurise physiquement le patient et est donc légitime. Pour certains, la douleur et la contention sont inhérentes aux soins invasifs.

• Pratique collective : la majorité de l’équipe pratique la position allongée avec contention, cette pratique est alors perçue comme normale.

Diffusion des bonnes pratiques

Après la rédaction du mémoire vient la diffusion des résultats. L’information sur la position assise s’est développée progressivement, d’abord dans l’unité d’hospitalisation elle-même. L’équipe, convaincue grâce à son implication dans le projet, a adopté ce moyen simple et efficace. Elle est d’emblée proposée à l’enfant, sans l’imposer, et est associée à la présence des parents, à la distraction et à la crème anesthésiante. Cette pratique est devenue une pratique collective évidente.

D’autres actions ont été entreprises comme la réalisation d’un poster pour présenter l’étude Papove, utilisé comme support d’information auprès de collègues, des étudiants en Ifsi ou lors de colloques. Un film a été réalisé fin 2017 auquel toute l’équipe soignante, enfants et parents, tous volontaires, ont participé (lire p. 47).

Conclusion

Ce travail de recherche a permis de réfléchir sur les pratiques soignantes et de les modifier pour améliorer le vécu du jeune enfant lors des soins invasifs. D’une situation dérangeante, un étonnement est apparu pour amener une réflexion, des observations et des réponses au travers des différentes étapes de la recherche. La diffusion de l’information permet d’ancrer le résultat, de lever les freins et de faire évoluer les pratiques. Aujourd’hui, dans l’unité de l’hôpital de jour, la position assise est adoptée pour la majorité des soins invasifs effectués chez le jeune enfant.

SECTEUR PROTÉGÉ

« La mise en place d’une approche sensori-motrice des soins de soutien au développement a-t-elle un impact sur la prévention des troubles de l’oralité du nourrisson atteint de leucémie aiguë hospitalisé en secteur protégé ? »

Rare avant 1 an, la leucémie aiguë (LA) représente une minorité des cancers de cette tranche d’âge. Elle entraîne une rupture du nourisson avec l’environnement familial et social dès la naissance. Les enfants de moins de 1 an ont un pronostic péjoratif, surtout en cas d’anomalies chromosomiques de la région 11q23, très fréquentes durant la première année de vie. Cet élément implique une prise en charge médicamenteuse lourde, mettant à mal un développement psychomoteur optimal.

À ce stade de la vie, la prise en charge médicamenteuse de la LA peut impliquer des thérapies plus intenses, avec des effets secondaires accrus. Cette population fragile nécessite des précautions spécifiques, surtout lors des périodes d’aplasie où l’hospitalisation en unité protégée est préconisée. Malgré des règles relatives à la protection des patients immuno-déprimés en constante évolution, ce type d’hospitalisation implique un isolement majeur.

Point de départ

Cette étude a pour origine plusieurs observations de terrain concernant les conditions d’hospitalisation : des soins invasifs répétés peu adaptés au rythme du nourrisson ; un environnement sonore et lumineux agressif ; des contraintes d’hygiène rigoureuses. Autant d’éléments qui ont un impact indéniable sur le développement psychomoteur de l’enfant.

À cela, il faut ajouter des retards dans les acquisitions, constatés de manière systématique par l’équipe paramédicale de l’unité d’hospitalisation, qui, en l’absence de supports matériels et humains, se trouve démunie face à ce genre de situation. Alors même que le nourrisson a des besoins fondamentaux aussi importants à l’hôpital qu’à la maison. De ces constats, plusieurs questionnements sont alors apparus sans réponse évidente : comment favoriser un développement psychomoteur optimal dans ce contexte ? Comment reproduire un cadre sécurisant malgré les contraintes engendrées par la maladie et les traitements ?

État des lieux : une enquête élargie à plusieurs hôpitaux

Au CHU de Bordeaux, l’agencement du secteur protégé répond à un fonctionnement régi par des règles rigoureuses de protection pour les patients, notamment celle de l’impossibilité pour les parents de dormir auprès de leur enfant. Ayant cet exemple unique, il semblait nécessaire de s’intéresser au fonctionnement des principaux hôpitaux disposant de ce type de secteur. Ceci afin que la recherche soit la plus objective possible.

→ Sept personnes (cadres ou IDE coordinatrices) d’établissements différents, disposant chacun d’une unité protégée, ont alors été contactées pour répondre à un questionnaire conducteur ciblé sur les nourrissons âgés de 0 à 23 mois. Essentiellement constitué de questions fermées, il avait pour objectif d’orienter le répondant mais aussi d’avoir des réponses précises, nécessaires à l’avancée et à l’orientation du projet.

• Une partie des questions a concerné l’agencement de chaque chambre et du matériel mis à disposition pour favoriser le développement psychomoteur des nourrissons : nombre de lits ; types de lits selon l’âge du nourrisson ; personnalisation de l’environnement (outils possibles) ; limitation du bruit et de la luminosité ; vision sur le monde extérieur ; activités mises en place favorables à l’éveil ; intervenants de l’équipe pluridisciplinaire.

• Une autre partie avait trait aux précautions d’hygiène en vigueur : tenue vestimentaire ; nombre de personnes autorisées à entrer ; présence autorisée ou non des parents durant la nuit ; possibilité ou non pour les mamans d’allaiter leur enfant.

• Enfin, la question déterminante pour l’orientation du projet : de manière générale, l’équipe soignante observe-t-elle des retards dans les acquisitions en comparaison au développement psychomoteur “normal” de l’enfant au même âge ?

→ Résultats : deux CHU ont répondu et ont accepté de participer. Un constat a particulièrement interpellé : l’observation de retards dans les acquisitions est unanime. Ils sont systématiquement relevés par les équipes, à des degrés divers. Des troubles alimentaires sont observés à différents moments de l’hospitalisation et de la thérapie de la maladie, du fait des lourds traitements suivis, et ont un impact indéniable sur le développement psychomoteur.

Il est dès lors apparu évident d’approfondir la notion d’oralité et les conséquences de troubles de cette dernière sur le nourrisson.

Troubles de l’oralité

L’oralité désigne l’ensemble des fonctions dévolues à la bouche : la respiration, le plaisir oral et le premier lien d’attachement. On distingue l’oralité alimentaire et l’oralité verbale. Cependant, leurs fonctions respectives sont particulièrement altérées en oncohématologie pédiatrique et des troubles de l’oralité sont fréquemment observés. Ils se manifestent par un évitement du biberon ou de la cuillère, un refus de manger, des nausées ou des vomissements lors des repas, ou bien encore une absence de plaisir, qui trouvent leur source dans des causes multifactorielles. Les conséquences de ces troubles n’étant pas négligeables à court, moyen et long termes (cassure de la courbe staturo-pondérale, carences nutritionnelles, perturbation du lien mère-enfant et de la dynamique familiale), la prévention apparaît alors comme un moyen de favoriser ce développement malgré les obstacles conséquents.

Revue de littérature

Après une revue de la littérature, il semble qu’aucune procédure commune autour de la prévention des troubles de l’oralité ne soit établie en cancérologie pédiatrique. Toutefois, de nombreux travaux – par exemple sur la transition de l’alimentation passive à l’alimentation active chez le bébé prématuré, les protocoles de sollicitation péri-orales et orales du nourrisson et de l’enfant – ont été réalisés au sein de services spécialisés comme la néonatalogie. Ces travaux pourraient constituer un support pour élargir les pratiques de prévention à d’autres services tels que l’onco-hématologie. Afin d’enrichir mes ressources bibliographiques, différents professionnels de santé ont été sollicités travaillant autour du développement psychomoteur de l’enfant et de l’oralité, en privilégiant la pluridisciplinarité (psychomotricienne, infirmière spécialisée en soins de soutien au développement, médecin pédiatre spécialisé en gastro-entérologie).

Orientation vers l’approche sensori-motrice

Ce projet a alors pris un autre tournant puisqu’il s’est appuyé essentiellement sur les travaux d’André Bullinger (lire p. 54), dont les recherches fondamentales sont centrées sur le développement sensori-moteur du jeune enfant. Ces travaux ont permis de définir la notion d’approche sensori-motrice (ASM) dans le processus de développement de l’enfant. Cette approche, reconnue comme une méthode d’élaboration de soins de soutien au développement, est née de la préoccupation première du confort du nourrisson, notion aujourd’hui fondamentale dans les lieux de soin. Il s’agit de penser et ajuster l’environnement et les soins prodigués afin de favoriser une adaptation optimale du nourrisson à ses conditions de vie.

→ Dans cette optique, des soins individualisés ont été élaborés et ont contribué à la diffusion d’idées autour de trois aspects essentiels : la dystimulation, le positionnement et les sollicitations orales. Leur but est de stabiliser l’équilibre sensori-tonique du bébé en aménageant l’environnement et la qualité des soins. Cela consiste à proposer des appuis adaptés et des sollicitations ajustées aux besoins du nourrisson. Le principe étant de considérer l’enfant non seulement dans l’état présent mais également de le projeter dans l’avenir en tant qu’être en évolution constante, engagé dans un processus. Les soins préventifs prennent alors toute leur dimension.

→ De manière pratique, cette approche suppose de différencier trois aspects :

• La dystimulation : on opère un repérage des situations dystimulantes d’ordre sonore et visuel (générant des stimulations inadaptées), qui nécessiteront une modification de l’environnement, en proposant des mises en forme adaptées au nourrisson.

• Le positionnement : il va essentiellement reposer sur le principe de l’abord postural avec trois mouvements fondamentaux à privilégier (selon les bases de la coordination motrice décrites par Albert Coeman en 2004(2)) : enroulement, redressement, torsion. À l’aide du « cocounou » (long coussin à billes qui entoure le bébé en maintenant la tête dans l’alignement du bassin), on pourra proposer des mises en forme et des soutiens aux postures (ventrale, dorsale, latérale) favorisant, notamment, la motricité spontanée. L’utilisation du positionnement trouve également son intérêt au cours des soins et lors de l’alimentation. Ses bénéfices sont nombreux.

→ Enfin, la bouche étant le berceau de la perception et de la perception de soi, l’ASM développe la fonction de capture. Plusieurs études, dont celles par C. Lau et A. Chemin en 2006(3), ont démontré l’effet de stimulations oro-faciales sur l’acquisition de l’autonomie alimentaire et sur les qualités de succion. En ce sens, un équilibre entre toutes ces composantes est nécessaire pour que l’espace oral se constitue et devienne un point d’appui pour la suite du développement.

Méthodologie

→ Le choix de la méthode de recherche : l’ASM présente l’intérêt de s’adapter à tout âge. Certes, elle mobilise toute une équipe soignante, implique un bousculement des habitudes et des représentations, mais elle permet d’avoir une attitude plus cohérente lorsque des difficultés apparaissent durant une prise en soin et permet de se centrer autour d’une procédure commune pour intervenir. Les parents font aussi partie intégrante de cette démarche puisqu’ils sont invités à participer aux sollicitations. Cela va réactiver des conduites d’attachement, dont le bénéfice est certain dans le développement du nourrisson.

→ Les objectifs : le principal objectif de la recherche est d’évaluer l’impact de l’ASM sur les troubles de l’oralité en secteur protégé. L’objectif secondaire sera d’évaluer la faisabilité de la mise en place de l’ASM dans ce type de service et auprès de cette population spécifique.

→ Critère de jugement : le principal critère d’évaluation sera une modification du comportement sensori-moteur de l’enfant après la mise en place de l’ASM.

Mise en place

→ La population concernée par cette étude est représentée par des enfants âgés de 0 à 2 ans, hospitalisés en secteur protégé pour une LA. Pour ce faire, une étude multicentrique de type observationnelle randomisée(4) à deux bras est privilégiée, avec affectation au hasard des centres participants, entre un groupe expérimental bénéficiant de l’ASM et un groupe contrôle avec poursuite des pratiques courantes. Ceci afin de mettre en évidence un bénéfice significatif ou non de la mise en place de l’ASM.

→ Les participants seront inclus dans l’étude selon des caractéristiques prédéfinies.

• Inclusion :

– être âgé de 0 à 2 ans ;

– être de sexe féminin ou masculin ;

– être atteint d’une LA en cours de traitement ;

– être hospitalisé en secteur protégé ;

– être en possession du formulaire de consentement éclairé signé par le ou les responsable (s) de l’autorité parentale ;

– pouvoir bénéficier d’un bilan sensori-moteur (BSM) par un praticien diplômé.

• Non-inclusion : les nourrissons en soins palliatifs sont exclus.

→ Pour les centres bénéficiant de la mise en place de l’ASM, une formation des acteurs de l’étude est prévue en deux temps afin d’optimiser l’intégration des procédures opératoires standards. D’abord, un document contenant des pré-requis sera distribué à chaque équipe participante (concept de soins de soutien au développement, intérêt de ce rôle de prévention, techniques qui seront utilisées pour la mise en place de l’ASM dans les soins courants) ainsi que des rappels généraux sur le nourrisson, les systèmes sensoriels et les états de vigilance, à lire en amont.

Dans un deuxième temps, une formation pratique est prévue, d’une durée de trois heures, qui sera animée par un ou plusieurs membres praticiens diplômés du BSM André-Bullinger(5). Ce type de formation est déjà réalisée au sein du CHU de Bordeaux notamment pour les unités de réanimation et de néonatalogie.

Évaluation

De manière similaire pour les deux différents groupes, l’observation des pratiques de soins selon une approche dirigée sera réalisée en suivant certains domaines énoncés dans le BSM (lire p. 54). Cette observation sera réalisée par le praticien instructeur référent, formé à la réalisation du BSM.

L’observation est privilégiée de manière à comparer les deux sortes de pratiques de soins, dans le but d’évaluer si le fait d’utiliser l’ASM chez ces nourrissons atteints de leucémie aiguë contribue à prévenir la survenue de troubles de l’oralité. Des visites intermédiaires sur site par les investigateurs de l’étude seront prévues afin de veiller à son bon déroulement et réajuster les pratiques selon les difficultés rencontrées par le praticien, les soignants et les parents.

Analyse, résultats et retombées

L’analyse des données récoltées sera essentiellement basée sur la réalisation de BSM à intervalles définis, à savoir à trois mois, six mois et deux ans du début de l’étude. Dans la finalité de l’étude, il s’agira alors de comparer les différentes évolutions du BSM entre les deux groupes d’étude.

Dans le cas où une différence significative entre les deux groupes serait relevée, avec un bénéfice apporté par la mise en place de l’ASM, à l’avenir, sa généralisation au sein des secteurs protégés auprès des nourrissons âgés de 0 à 2 ans serait judicieuse pour prévenir les troubles de l’oralité. De plus, la mise en place d’un guide pratique à l’intention des parents et soignants pourrait également constituer un outil d’aide et de référence afin de faciliter cette démarche et poursuivre la prévention à domicile.

Conclusion

L’expérience du cancer est complexe, intense, riche, tant sur le plan humain que technique. Malgré des progrès considérables enregistrés au cours des dernières décennies, avec des taux de guérison élevés, les séquelles causées par les lourds traitements subis ne sont pas négligeables. Parmi celles-ci, le développement psychomoteur des nourrissons, et plus spécifiquement l’oralité, se doivent d’être pris en compte dès les premiers jours de l’hospitalisation afin d’en limiter l’impact néfaste à court, moyen et long termes. Car il est nécessaire de percevoir le nourrisson comme un être en constante évolution, ayant besoin d’appuis nécessaires pour s’adapter à son milieu tant instrumental que relationnel, garantie d’une base solide pour son développement futur.

L’intérêt de la prévention prend alors tout son sens, et l’ASM apparaît comme un outil fiable, construit et reproductible dans un service spécifique tel que l’unité protégée. Chaque membre de la triade est investi, et la complémentarité de chacun des acteurs va optimiser les bénéfices de cette approche.

1- Spark L. A., Setlik J., Luhman J., « Parental holding and positioning to decrease IV distress in young children : a randomized controlled trial », Pedriatric Nurse, 2007.

2- Cité dans : Kloeckner A., « Apports en néonatologie de la sensori-motricité selon A. Bullinger », Contraste n° 28-29, janvier 2008.

3- Chemin A., « Stimulations buccofaciales », 26es Journées nationales de néonatologie, Progrès en néonatologie, n° 26, 2006.

4- La randomisation est une méthode de répartition fondée sur le hasard. Ce processus va permettre de désigner au hasard les centres qui mettront en place la technique et ceux qui poursuivront les pratiques courantes.

5- Répertoriés sur le site de l’Association des praticiens diplômés du Bilan sensori-moteur (BSM) André-Bullinger.

ÉTUDIANTS EN IFSI

Références d’unités d’enseignement en lien avec le dossier et extraits :

→ UE 1.1.S.1 : « Psychologie, sociologie, anthropologie » : étapes du développement psychologique, cognitif, psychomoteur, (compétence 6) ;

→ UE 1.3.S.1 : « Législation, éthique, déontologie » : droits fondamentaux des patients, (compétence 7) ; et UE 1.3.S.4 : Appliquer les principes éthiques dans des situations de soins posant un dilemme ;

→ UE 3.4.S.4 : « Initiation à la démarche de recherche » : ressources documentaires scientifiques, méthodes quantitatives et qualitatives, (compétence 8) et UE 3.4.S.6 ;

→ UE 4.2.S.2 : « Soins relationnels », (compétence 6) et UE 4.2.S.5 : adaptation des modalités de communication aux personnes et aux populations (enfants).