L'infirmière Magazine n° 394 du 01/06/2018

 

SCIENCES PARAMÉDICALES

CARRIÈRE

PARCOURS

Marie-Capucine Diss  

Apparus récemment, les coordonnateurs paramédicaux de recherche accompagnent les porteurs de projets dans leurs démarches. Si leurs parcours et leurs statuts sont variés, ils ont des qualités et compétences communes.

Inscrite dans la loi HPST(1) de 2009, la recherche paramédicale a connu son coup d’envoi avec la mise en place, en 2010, du PHRI(2), devenu le PHRIP(3) un an plus tard. La DGOS (Direction générale de l’offre de soins) comble alors un manque : l’absence de recherche paramédicale dans les appels à projets financés par le ministère de la Santé. En parallèle, les CHU inaugurent des fonctions de coordination pour favoriser cette recherche. Peu à peu, les établissements hospitaliers mettent en place des appels d’offres internes, dédiés à la recherche paramédicale. En 2006, la Grande Conférence de santé affirme que « les professions paramédicales doivent pouvoir, comme les professions médicales, accéder à la recherche sans changer de voie ». Le rapport de Stéphane Le Bouler, secrétaire général du HCAA(4), consacré à l’universitarisation des professions de santé et rendu public le 14 février dernier, fait de la recherche paramédicale un des quatre axes qu’il préconise.

Aujourd’hui, on compte 28 coordonnateurs paramédicaux. Cheville ouvrière de la recherche, leur rôle est multiple : accompagner les travaux, former les soignants, susciter une culture de la recherche, entretenir des liens avec le monde universitaire, repérer des financements…

DU SOUTIEN DANS LA MÉTHODE

En amont de tout travail de recherche se trouve un questionnement sur le bien-fondé ou l’amélioration d’une pratique. Sonia Guillouët, coordonnatrice de la recherche paramédicale à Caen (14), intervient dès cette étape. Pour elle, l’écoute est indispensable pour que de futurs projets voient le jour : « Des professionnels viennent me voir, seuls ou en groupe, parfois sur le conseil de leur cadre. Ils me font part d’une idée en se demandant si elle peut faire l’objet d’un travail de recherche. À partir de là, on bâtit un projet de recherche paramédicale. »

En premier lieu, il faut en préciser l’objet. Les coordonnateurs apportent un soutien méthodologique aux porteurs de projet et cherchent les informations dont ils ont besoin. Une revue de la littérature scientifique et des recommandations permet de placer sa question de départ dans un contexte scientifique : qu’a-t-on déjà dit sur le sujet ? D’autres études ont-elles déjà été menées ? Les coordonnateurs aident les paramédicaux à s’orienter dans les bases de données et à analyser la valeur scientifique des documents.

Il s’agit ensuite de définir les objectifs et de déterminer la méthodologie à mettre en place. Les coordonnateurs de recherche mettent en lien les porteurs de projets avec les professionnels de la DRCI(5) des centres hospitaliers. Des méthodologistes et des statisticiens quand il s’agit d’études quantitatives, des chefs de projets, des chargés d’affaires réglementaires ou des professionnels permettant de construire un budget, apportent leur contribution. Sébastien Kerever, coordonnateur de la recherche en soins infirmiers, médico-techniques et de rééducation au groupe hospitalier Saint-Louis, Lariboisière, Fernand-Widal ?(AP-HP), détaille : « Nous échangeons avec les porteurs de projets sur leurs interrogations au niveau méthodologique ou réglementaire. Nous les guidons ensuite vers les unités de recherche clinique (URC). Nous les aidons à optimiser leur projet d’un point de vue méthodologique et bibliographique, pour qu’il soit le plus mature possible en arrivant à l’URC. »

L’aide à l’écriture de lettres d’intention, des protocoles de recherche et leur relecture sont un aspect important de l’activité des coordonnateurs. « Il y a tout un vocabulaire de la recherche que nous transmettons aux porteurs de projets et qu’ils doivent s’approprier. Nous avons des échanges réguliers jusqu’à la soumission du projet. La façon d’écrire pour arriver à l’hypothèse et la rédaction de cette dernière sont capitales », relate Sonia Guillouët.

À LA RECHERCHE DE FINANCEMENTS

Quand le projet remporte l’appel d’offres espéré, le coordonnateur accompagne le porteur dans sa collaboration avec toutes les personnes qui vont participer à l’étude (membres des équipes soignantes, techniciens d’études cliniques, assistants de recherche clinique, statisticiens). Un travail d’organisation et de coordination qui devient plus complexe en cas de recherches multicentriques, réalisées dans plusieurs établissements.

Si le projet n’est pas sélectionné, il convient d’orienter le porteur de projet pour trouver un financement alternatif. Même chose lorsque le montant de l’appel à projets ne suffit pas pour atteindre le budget nécessaire à la réalisation de la recherche. À côté des programmes de recherche pilotés par le ministère, des appels à projets sont proposés dans les établissements ou au niveau des interrégions. Les fondations, les sociétés savantes, des organisations comme l’Institut national du cancer (Inca), ou des associations professionnelles sont autant de sources potentielles de financements. Certains projets peuvent également être soutenus par les agences régionales de santé (ARS) ou réalisés en partenariat avec des industriels.

La quête de financements fait partie intégrante de la fonction de coordonnateur paramédical de recherche. « Nous effectuons une veille des appels d’offres publiés pour les signaler aux équipes dont le projet mature et correspond à cet appel », décrit Sébastien Kerever.

ET APRÈS LA PUBLICATION ?

Après le long travail d’inclusion, d’analyse des données et de synthèse, vient l’heure de la publication des résultats. Ici encore, un travail de relecture et d’échanges avec le porteur de projet est activé par le coordonnateur. Emmanuelle Cartron, coordonnatrice paramédicale de la recherche au CHU de Nantes (Loire-Atlantique), voit dans ce travail une motivation supplémentaire : « C’est un très grand moteur pour moi d’aller jusqu’au bout, de ne pas m’arrêter. Nous lançons les professionnels au début, mais nous les aidons également à la fin, quand il faut publier. » Une fois que l’article, synthétisé et adapté aux demandes de la revue, est accepté, un va-et-vient a lieu avec l’éditeur, jusqu’à la publication.

Pour faire connaître la recherche infirmière, les coordonnateurs organisent également des journées au sein de leur établissement. Les équipes rendent compte de l’état de leurs recherches. Il peut aussi s’agir de rencontres régionales ou inter-régionales. Ces manifestations attirent un public important. « C’est une manière de montrer que la recherche paramédicale, c’est possible, puisque d’autres l’ont fait, explique Sonia Guilloët. C’est aussi une belle valorisation de l’investissement des équipes. Elles sont fières de montrer ce qu’elles ont réalisé, leur ressenti, par où elles sont passées, où elles sont arrivées aujourd’hui… » Les coordonnateurs accompagnent enfin les porteurs de projets pour participer aux appels d’offres afin d’intervenir dans des congrès scientifiques.

UN TRAVAIL EN RÉSEAU

Autre atout : les coordonnateurs paramédicaux de recherche jouent un rôle central de lien avec le monde universitaire. « Quand on avance un peu dans un projet de recherche et que je sens que nous allons problématiser vers tel ou tel axe, on peut se rapprocher des personnes du réseau constitué depuis quelques années, dans différents laboratoires de recherche, témoigne Emmanuelle Cartron, elle-même doctorante. Nous pouvons faire appel à des chercheurs extérieurs, dans le champ des sciences humaines, qu’il s’agisse de sociologie, psychologie, sciences de l’éducation ou philosophie, qui vont nous aider pour aller plus loin, par rapport aux connaissances acquises lors de la formation initiale. »

Le travail des coordonnateurs ne peut se concevoir en solitaire. L’Association de la recherche en soins infirmiers (Arsi) joue un rôle fédérateur important, ainsi que la Commission nationale des coordonnateurs de la recherche paramédicale (CNCRP, lire encart p. 60). « Quand j’ai un doute ou une question, j’appelle mes collègues dans d’autres hôpitaux, je sais qu’ils auront la réponse, explique Sonia Guillouët. Pour animer une formation sur la recherche, j’ai appelé un collègue plus expert que moi au sujet des “evidence based practice”, la pratique basée sur les preuves. »

Les cinq coordonnateurs de l’AP-HP se retrouvent régulièrement dans le cadre de la cellule centrale de la recherche paramédicale, animée par la présidente de la DSAP (Direction des soins et des activités paramédicales) et la cadre supérieure chargée du développement de la recherche paramédicale à l’AP-HP. « Nous sommes complémentaires, témoigne Sébastien Kerever. Chacun a son orientation : philosophie, santé publique, psychologie, éducation thérapeutique… Pour ma part, j’ai une appétence plus forte pour la méthodologie des essais cliniques et, notamment, pour les analyses statistiques. Nous pouvons nous solliciter et échanger entre nous. » Dans leur établissement, les coordonnateurs peuvent réunir autour d’eux une équipe de recherche en soin, avec des professionnels impliqués dans la recherche qui peuvent les aider dans leurs tâches.

DES GRADES ET DES PARCOURS VARIÉS

La coordination paramédicale de la recherche ne correspond à aucun grade précis, les professionnels exerçant cette fonction n’ont pas systématiquement une fonction d’encadrement et, quand c’est le cas, celle-ci peut aller de cadre à directeur des soins. À Nantes, Emmanuelle Cartron n’a pas de statut de cadre. Le fait que la recherche paramédicale soit pilotée par le coordonnateur général des soins, qui est à l’origine de la cellule de promotion de la recherche paramédicale, lui apporte la légitimité nécessaire pour s’adresser aux cadres paramédicaux de santé, partenaires précieux de la recherche. Aucun salaire particulier n’est associé à cette fonction.

Une diversité s’observe également pour l’intitulé même de ce métier, qui peut aller de « cadre supérieur de santé en mission transversale » à « infirmier puériculteur chargé de la recherche », en passant par « chargé de mission de recherche paramédicale ». Les coordonnateurs paramédicaux de la recherche n’exercent pas tous à temps complet. Si c’est le cas de la moitié d’entre eux, les temps partiels consacrés à la coordination peuvent aller de 5 à 70 %. Ainsi, à Caen, Sonia Guillouët a conservé 30 % d’activité de cadre, en unité ambulatoire : « Cela me permet de garder un lien avec mon terrain d’étude et d’avoir la légitimité du terrain vis-à-vis des équipes et de mes collègues cadres. J’ai les mêmes préoccupations qu’eux, nous pouvons nous comprendre. »

Sur l’ensemble des 28 coordonnateurs actuels de la recherche paramédicale, cinq sont engagés dans un travail de thèse et trois sont déjà docteurs. « Il est important de s’inscrire dans un parcours universitaire, pour s’approprier la rigueur de la démarche de recherche, résume Emmanuelle Cartron. Au quotidien, cela m’aide beaucoup pour accompagner les porteurs de projets. Cela donne également une légitimité. » Cet engagement dans le monde universitaire permet de resserrer les liens avec l’université et d’enrichir son réseau professionnel. Si le projet de thèse n’est pas indispensable, la connaissance des évolutions réglementaires et des conditions dans lesquelles se mène un travail de recherche est un atout de taille pour réaliser la coordination de la recherche paramédicale.

Les professionnels pressentis pour exercer cette mission sont choisis pour leur expérience dans le domaine de la recherche et doivent faire preuve de qualités humaines particulières. Il s’agit d’effectuer un travail de lien, sur le long terme. De l’avis de l’ensemble des coordonnateurs, cette fonction demande beaucoup de persévérance et de dynamisme. Il faut soutenir les porteurs de projets et les équipes s’engageant dans une démarche de recherche. Si le doute est inhérent à l’esprit scientifique, il s’invite régulièrement au cours de la réalisation et de la mise en place d’un projet de recherche.

Au début du travail, la revue de la littérature est un exercice qui peut s’avérer difficile à réaliser. C’est le premier contact avec le raisonnement scientifique, la découverte de termes nouveaux. L’essentiel des lectures à effectuer sont rédigées en anglais, ce qui peut représenter un obstacle supplémentaire. Ce travail préliminaire mais capital s’effectue souvent sur son temps personnel, notamment le soir(6). Le travail de recherche en lui-même s’avère long (la réalisation d’un PHRIP prend en moyenne quatre ans) et demande une forte implication dans la coordination des professionnels indispensables à la réalisation de l’étude. D’où l’importance du soutien continuel des coordonnateurs. « Il est important d’être enthousiaste pour les projets de recherche des paramédicaux », témoigne Valérie Berger, coordonnatrice de la recherche paramédicale au CHU de Bordeaux. Enthousiaste et capable de transmettre sa passion pour la recherche.

1- Hôpital, patients, santé, territoires.

2- Programme hospitalier de recherche infirmière.

3- Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale.

4- Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance maladie.

5- Direction de la recherche clinique et de l’innovation.

6-Pour encourager la recherche paramédicale, un « passeport temps » a été institué à l’AP-HP. Toute personne déposant une lettre d’intention dans le cadre du PHRIP ou du PREPS (Programme de recherche sur la performance du système de soins) se voit créditée de deux jours d’heures supplémentaires et de cinq jours dans le cadre de la rédaction d’un protocole. D’autres établissements pourraient s’inspirer de cette initiative.

1- Système d’interrogation, de gestion et d’analyse des publications scientifiques.

PUBLICATION DES TRAVAUX

Un choix éminemment stratégique

→ Choisir la revue où publier ses résultats de recherche est décisif. La recherche paramédicale, au même titre que la médicale, peut rapporter à son établissement une dotation Merri (Missions d’enseignement, de recherche, de référence et d’innovation), dont le montant est calculé par le biais du Sigaps(1). Ce système informatisé établit le score d’un article scientifique en prenant en compte le classement de la revue dans laquelle il a été publié et le coefficient de position de l’auteur. Mais les revues les plus prestigieuses qui donnent le plus de points ne sont pas celles qui sont lues par les professionnels ! Comment, en ce cas, favoriser le recours aux données probantes dans la pratique infirmière ? Emmanuelle Cartron, coordonnatrice paramédicale de la recherche au CHU de Nantes, évoque une solution : « Si l’on souhaite valoriser la recherche, notamment financièrement pour l’établissement, et ce alors même que nos pratiques évoluent, on peut avoir recours à un procédé un peu subtil. Il est possible de publier une partie des résultats en français dans des revues connues par les professionnels et de consacrer l’autre partie à une publication dans une revue internationale, qui rapportera plus de points Sigaps. »

À SAVOIR

→ Créée en 2015 à l’initiative de la Commission des coordonnateurs généraux des soins des CHU, la Commission nationale des coordonnateurs paramédicaux de la recherche (CNCPR) veut donner de la visibilité à ses membres et les représenter auprès des instances ministérielles. Elle a pour projet de recenser le devenir des différents projets sélectionnés par le PHRIP depuis ses débuts. Elle vise aussi à l’harmonisation des pratiques de coordination et à l’élaboration d’une fiche pour le répertoire des métiers de la fonction publique. La CNCPR est un lieu d’échange de connaissances, d’outils, et son existence facilite la mise en place de projets de recherche multicentriques.

FORMATION

L’apprentissage de la recherche

→ Le travail des coordonnateurs consiste en priorité à encadrer la formation des paramédicaux à la recherche. Il s’agit de programmes d’initiation proposés par l’établissement, parfois réalisés par des organismes spécialisés.

→ À l’AP-HP, deux cycles de niveaux différents sont proposés.

Au GH Saint-Louis, Lariboisière, Fernand-Widal, la direction des soins a mis en place les « mardis de la recherche paramédicale », qui ont lieu en début de mois, de novembre à juin. Il s’agit d’une heure et demie de formation autour d’un thème en lien avec la recherche, à laquelle s’ajoute une demi-heure de lecture critique d’articles.

Les professionnels participent à ces rencontres pour une initiation ou car ils sont déjà impliqués dans la recherche.

→ À Bordeaux, des ateliers lecture ont été mis en place dans différents pôles. Le mot d’ordre est l’autonomie.

Les membres des équipes formés animent les ateliers, auxquels sont conviés des professionnels d’établissements. La lecture d’un article scientifique est réalisée à l’aide de grilles d’analyse et un cours théorique est délivré à chaque séance. Les coordonnateurs interviennent comme formateurs dans des DU ou font partie de l’équipe pédagogique encadrante, quand il est question de DU consacrés à la recherche paramédicale.