Depuis la dernière rentrée scolaire, le programme « Écoute tes oreilles » est en place au collège des Chartreux, dans le IVe arrondissement de Marseille, l’un des trente-quatre établissements volontaires de la ville. Un dispositif qui s’appuie sur un solide binôme infirmière scolaire et enseignant.
Pas trop longtemps, pas trop fort, pas trop près, pas trop souvent. C’est la règle des quatre « pas », que doivent retenir les collégiens sensibilisés aux effets du bruit grâce à « Écoute tes oreilles », une action dirigée vers les adolescents (voir encadré) et menée en Provence-Alpes-Côte d’Azur (Paca). Objectif : prévenir les risques auditifs et extra-auditifs en informant les collégiens sur les effets sanitaires du bruit, mal connus et peu pris en compte, comme la perturbation du sommeil, la réduction des défenses immunitaires, la fatigue, les difficultés de concentration, l’agressivité… « Les modalités d’intervention et la cible visée ont été déterminées lors de quatre rencontres régionales, souligne Élodie Pétard, chargée de projets en santé environnementale au Centre régional d’éducation pour la santé (Cres) Paca. Notre choix s’est porté sur les collégiens, plus spécifiquement les classes de 6e, déjà adeptes des modalités d’écoute amplifiée avec le casque sur les oreilles et la présence à des concerts. Nous sommes vraiment dans le champ de la prévention primaire. »
Au collège des Chartreux, à Marseille, Fanny Santinelli, professeur de sciences de la vie et de la terre (SVT), et Catherine Signoux, infirmière scolaire qui partage son temps entre quatre établissements, se sont investies dans le projet. « Nous avons suivi, en décembre dernier, une formation de deux jours, précisent-elles. Elle abordait les enjeux du bruit, la physique du son, la physiologie de l’oreille, les effets auditifs et extra-auditifs du bruit, la perception sonore, les pratiques liées à la musique. Elle présentait également des outils pédagogiques pour travailler en classe avec les élèves. » Une formation qui a d’ailleurs été inscrite dans le plan académique de formation (PAF) des infirmières scolaires et des enseignants. « Dans ma pratique professionnelle, je suis surtout chargée du dépistage, notamment au cours de la visite médicale obligatoire lors de la 12e année de l’enfant, précise Catherine Signoux. Mais ce programme permet de travailler sur la prévention et la transmission du bruit à travers des ateliers ludiques. Et il s’inscrit dans la mise en place du parcours éducatif de santé. »
Dans la théorie, après cette formation, le tandem infirmière/professeur prépare le travail avant de mettre en place le module d’animation, qui comporte deux interventions de deux heures par classe. « Le but n’est pas de faire un cours magistral mais de s’adapter aux élèves de 6e, confirme Claire Pierrard, chargée de projets au Graine Paca (réseau régional pour l’éducation à l’environnement). Ils sont acteurs dans le projet. Les enseignants, les infirmières et les animateurs à l’environnement, eux, mettent en place une co-animation qui facilite les échanges et assure une continuité dans le travail. » Sur le terrain, les choses se mettent en place avec les moyens du bord. Et la réussite de la démarche dépend de l’investissement de chaque professionnelle : l’enseignante, l’infirmière scolaire et l’animatrice.
Ce vendredi matin, dans une classe de 6e chapeautée en SVT par Fanny Santinelli, c’est l’effervescence. Les élèves (12 à 15 maximum) vont assister, en demi-groupe, à la première session du programme mené par Audrey Boyer, chargée de projets au Codeps 13(1). « Comment le son se transmet ? », « Quelle est l’unité de mesure du bruit ? », « Qu’est-ce qu’une vibration ? »… Les questions sont multiples et les réponses fusent dans le désordre, mais avec intérêt. La démarche comprend un support pédagogique sous forme de livret papier, que chaque élève remplit en fonction de ce qu’il a compris après chaque intervention. Mais, au démarrage, le document est aussi préparé en amont grâce à un travail réalisé avec l’enseignante. Dans cette première séance, les expériences avec le bol tibétain, les pots de yaourt reliés par un fil ou la cuillère suspendue ont un franc succès. « Les enfants expérimentent les choses, notamment que le son est une vibration qui se déplace via une matière, souligne Audrey Boyer. Cela leur apprend à verbaliser. Je leur projette un film et je leur parle de l’anatomie de l’oreille, de son fonctionnement et comment le son y circule. Les enfants participent et donnent des exemples de leur vie et de leur entourage familial. »
À tout moment, l’IDE scolaire peut intervenir pour rappeler le b.a-ba en termes d’hygiène (ne pas utiliser des cotons-tiges mais se rincer les oreilles à l’eau sous la douche, par exemple) ou la démarche à suivre si l’enfant entend mal à cause d’un bouchon de cérumen, voire d’un problème plus sérieux (la consultation d’un ORL est alors indispensable). La soignante en est convaincue : « Même si les élèves ne retiennent pas la totalité des éléments, ils en apprennent déjà beaucoup ! »
À la deuxième session, une semaine plus tard, Audrey Boyer aborde les risques auditifs et extra-auditifs : « Je travaille sur l’échelle du bruit et la douleur qu’il peut générer. Je leur fais écouter ce qu’entendent les personnes qui souffrent d’acouphènes lors d’un journal télévisé. C’est simple et très significatif. Je les informe sur les comportements à adopter pour écouter de la musique et les outils à utiliser pour se protéger, comme les bouchons d’oreilles. » Car aujourd’hui, les pratiques d’écoute de musique amplifiée évoluent et les oreilles sont sollicitées de plus en plus tôt, plus souvent, plus longtemps, à des niveaux sonores élevés, parfois sans pause, jour et nuit.
Si le temps manque, l’enseignante prend le relais pour prolonger le projet, voire le réintroduire dans d’autres classes. « Dès cette année, j’ai intégré les risques auditifs et extra-auditifs dans mes cours en 4e dans le cadre de la prévention des risques du système nerveux, précise Fanny Santinelli. Et il sera utile de faire des piqûres de rappel en faisant un point, à l’aide du livret, quinze jours après la deuxième session, afin de voir l’état des connaissances. » Catherine Signoux renchérit : « Nous voulons impliquer des enseignants d’autres disciplines pour sensibiliser les élèves à travers différents regards. On pourrait travailler avec l’enseignant de physique et/ou de technologie sur le son et sa propagation, et celui de musique sur l’écoute au casque et l’utilisation des bouchons d’oreilles pour les concerts. » L’idée serait aussi, explique l’IDE, de réaliser la carte du bruit de l’établissement en menant des mesures avec un sonomètre dans le CDI, dans la cour pendant et en dehors de la récréation, et dans le réfectoire. « Il faut amener chacun à se questionner sur les impacts extra-auditifs pour émettre des suggestions… Bien sûr, la question de l’aménagement des lieux ou du choix des matériaux pour réduire les impacts du bruit nécessite des investissements techniques et financiers. Mais là, cela ne relève plus de ma fonction ! »
1- Comité départemental d’éducation et de la santé des Bouches-du-Rhône.
1- CPIE Alpes de Provence, GSA 05, Méditerranée 2000, CPIE Pays d’Aix, Le Loubatas, Planète Sciences Méditerranée, Adee (Association pour le développement de l’éducation à l’environnement), ALTE (Agence locale de la transition énergétique).
Depuis 2015, l’ARS Paca a initié une action de prévention pour les adolescents sur le thème du bruit, avec deux acteurs de terrain : le Comité régional d’éducation pour la santé (Cres) Paca et le Graine Paca, réseau régional d’éducation à l’environnement et au développement durable.
Sur le terrain, la mise en action est assurée par les six comités départementaux d’éducation pour la santé (Codes) ainsi que par des structures locales spécialisées(1) et repérées par le Graine Paca. Au-delà de la campagne, les rectorats d’Aix-Marseille et de Nice prolongent l’action au niveau de l’équipe éducative. Dans chaque établissement concerné, c’est donc un binôme IDE/professeur référent qui bénéficie de la formation sur « Le son, le bruit : tendre l’oreille pour mieux entendre et se protéger du bruit », assurée par Valérie Rozec, chargée d’études et de recherches, docteur en psychologie de l’environnement au Centre d’information et de documentation sur le bruit (CIDB). Depuis son lancement, l’opération ne cesse de prendre de l’ampleur.
La première année (2015-2016), 17 collèges ont participé au projet, soit 28 classes, et 620 élèves ont été sensibilisés.
En 2016-2017, 26 collèges (119 classes) et 2 975 élèves. Cette année (2017-2018), l’action a été reconduite jusqu’en 2021 grâce au financement de l’ARS, en vue de sensibiliser 33 % des collèges de la région, soit près de 50 000 élèves, dans 34 établissements.