EXPRESSION LIBRE
Faisant fonction de cadre supérieur de santé-infirmier, docteur en sciences de l’information et de la communication, responsable de l’unité de soins somatiques et pharmacie, au CH de La Chartreuse, à Dijon (21)
Soigner est un acte élémentaire que les hommes, depuis les origines, ont pratiqué auprès de leurs semblables. Il est une des formes essentielles de responsabilité, une manière de se conduire, de s’engager et de se positionner face à celui qui est vulnérable. Au fil du temps, cet engagement s’est ancré dans une histoire, des valeurs, des courants sociologiques et culturels. Actuellement, la société mouvante, nomade et individualiste dans laquelle nous évoluons, présente un double visage. D’un côté, elle expose et valorise ce qui est proprement moderne, impersonnel et dont l’efficacité fonctionnelle doit être le moteur. Sur l’autre versant, elle révèle la persistance d’une société construite autour des interactions sociales, familiales et autour des solidarités que les hommes mettent en œuvre les uns envers les autres. Dans ce contexte, la globalisation du partage des richesses et les crises économiques successives perturbent encore les grandes institutions.
En France, l’hôpital et l’univers de la santé n’échappent pas à ces rigueurs. L’engagement infirmier s’exprime dans un espace de soins toujours plus complexe, où la logique économique se substitue à la logique humaniste. La rationalité économique distille ses maîtres-mots : efficience, flexibilité et rentabilité. Elle prend la main au sein des structures de soins et occupe largement les actions des équipes managériales. Elle impose aux soignants ses rythmes et ses injonctions de performance.
Or, une disposition soignante essentielle entre en opposition et cristallise les débats au regard de ces exigences. Il s’agit d’un puissant levier d’engagement au sein de la profession infirmière : le paradigme du don. Le don, ce fait social total venu du fond des âges, persiste dans notre société. Nous le retrouvons autour des interactions sociales, des socialités familiales, des relations amicales et surtout, dans l’esprit de solidarité. Révélé, théorisé au début du XXe siècle par le célèbre anthropologue français Marcel Mauss et réactualisé par le sociologue Alain Caillé, il reste ordonné et organisé autour de la triple obligation de donner, de recevoir et de rendre. Il prend une importance singulière et déterminante au sein de l’univers du soin et dans l’exercice de la profession infirmière. Sans cette dynamique, cette circularité du lien social, cette puissance symbolique, le soin, l’envie de donner des soins, l’envie de faire don de soins, resterait un échange vide de sens, pour la simple et bonne raison que la vie, pour la plupart de nos semblables, ne se résume pas à un échange d’ordre pécuniaire. Tout n’est pas échangeable en termes monétaires dans l’espace du soin : la reconnaissance et la gratitude peuvent constituer autant de réponses possibles à un service rendu, un soin donné, un instant partagé. À l’heure où la tarification à l’acte suscite le débat, il serait temps de remettre cette circularité à l’honneur.