L'infirmière Magazine n° 394 du 01/06/2018

 

PSYCHIATRIE

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

Isabel Soubelet  

Situé au cœur du pôle de psychiatrie du CHU de Saint-Étienne, le jardin des Mélisses, inauguré en septembre 2015, est un lieu d’activités thérapeutiques pour les patients hospitalisés, mais aussi d’échange et de partage avec les familles. Porté par une équipe soignante convaincue et investie, ses bienfaits profitent à tous.

Quand on questionne Romain Pommier, médecin psychiatre, sur le jardin des Mélisses, il est difficile de l’arrêter. Et pour cause. Interne en psychiatrie en 2014, préparant une thèse (soutenue en 2016) sur les jardins thérapeutiques, il est l’initiateur de ce nouvel outil de soin avec Bertrand Ollier, infirmier en psychiatrie. Ce dernier planche à l’époque sur un mémoire (qu’il soutiendra la même année), qui aborde la nécessité, pour les infirmiers, d’avoir des compétences jardinières en hortithérapie.

La rencontre des deux hommes, de leurs convictions et d’une même envie, va donner naissance au jardin des Mélisses, officiellement inauguré en septembre 2015 au CHU de Saint-Étienne. Mais ils ne sont pas seuls dans cette aventure. « Nous avons mis en place des questionnaires patients, familles, soignants, et très vite, de nombreuses personnes ont été intéressées », précise Bertrand Ollier.

Une fois le projet validé, Blandine Cherrier et Aude Joubert, toutes deux cadres de santé, leur emboîtent le pas. Sur le terrain suivent leurs équipes infirmières (douze personnes), un ergonome, un second interne et deux des cinq jardiniers employés sur les sites Nord et Bellevue du centre hospitalier. « L’institution soignante a donné son aval – au travers des directions du pôle psychiatrie et du CHU – à ce projet transversal, qui s’appuie sur une mutualisation des services et intègre les six unités psychiatriques présentes sur le site, souligne Romain Pommier, aujourd’hui en poste au Réhacoor 42 (centre de réhabilitation psychosociale et de remédiation cognitive). Nous avons ensuite mis en place l’organisation de l’équipe, sans poste supplémentaire, mais grâce à beaucoup de temps personnel de chacun. » Une démarche collective menée à coût constant.

Un long travail en amont

Le jardin des Mélisses occupe aujourd’hui 200 m2 d’espaces verts de la psychiatrie adulte de l’hôpital Nord, sur un parc total de 3 000 m2. Si désormais, les salades et les fraises semblent pousser en saison de manière tout à fait naturelle, et que les fleurs égayent les allées dès le printemps venu, c’est le résultat d’un long travail collectif. Une fois le projet enclenché, les équipes ont suivi une formation menée par France Pringuey, docteure en médecine et consultante spécialisée en conception de jardins de soins pour les professionnels. « Cette formation-action étalée dans le temps nous a permis de découvrir et comprendre la conception paysagère du jardin, en lien avec le projet soignant », explique Romain Pommier.

Imaginer le jardin, organiser l’espace, choisir les plantes, déterminer la hauteur des bacs… Tout a été pensé et travaillé pour être au plus près des besoins et faciliter l’accès au site à tous : patients, soignants et familles. À l’heure actuelle, il comprend un jardin avec plusieurs essences, un potager, une pergola, une cabane, une table pour partager un moment de convivialité et une serre, bien utile en hiver. « J’ai été associé dès le départ, ce qui est assez rare. C’est sans doute pour cela que le projet a bien fonctionné, argumente Olivier Arnaud, jardinier. Même s’il faut rester vigilant sur la question de l’entretien et le renouvellement des végétaux. Le projet est bénéfique pour le décloisonnement et la cohésion des services. »

La médiation, un temps différent

Le cœur du jardin des Mélisses est d’être une fonction de support aux soins et aux activités de médiation et d’hortithérapie pour les patients. Cette démarche, qui s’effectue dans le cadre d’une thérapeutique non médicamenteuse, s’appuie sur les bienfaits de la relation au végétal dans un espace spécifiquement aménagé. Sur indication médicale et après concertation en équipe pluridisciplinaire, les patients (six maximum pour deux infirmières) participent aux médiations qui se déroulent toute l’année. Chaque patient volontaire bénéficie de deux séances hebdomadaires d’une heure trente pendant quatre semaines. Les médiations possèdent une trame organisationnelle mais les infirmières changent d’une séance à l’autre. « Dans sa représentation, le soignant se dit que si le patient ne connaît pas l’équipe, il ne pourra pas s’adapter. Or, le pourcentage de ceux qui n’y parviennent pas est très faible, constate Aude Joubert. Nous avons privilégié la continuité du milieu, de l’espace et des patients. Ce sont les équipes infirmières qui changent. »

Un choix également rendu nécessaire pour des raisons d’organisation et de planning de service. Cela implique une véritable gymnastique d’une médiation à l’autre et nécessite des moments d’échange. « Quels sont les patients du jour ? » « Où en sont-ils ? » À chaque séance, les patients ont des pathologies différentes (dépression, phénomènes hallucinatoires…) et le but est de tendre vers une prise en compte la plus individualisée possible. « Une fiche(1) qui décrit les sentiments et les émotions est remplie avec le patient avant et après chaque séance de soin, souligne Bertrand Ollier. Cela permet de travailler l’alliance thérapeutique. Et il est important de transmettre ces informations d’une séance à l’autre, d’un service à l’autre et à la fin de la démarche. La médiation permet au patient de reprendre vie au contact de la vie. Et cet élan vital peut parfois induire une diminution de l’anxiolyse. Aujourd’hui, je ne pense plus au jardin en tant que bienfait mais comme une nécessité pour nous tous. Il est un bout de territoire qui résiste et qui offre du beau… »

« Lors des médiations, les patients sont à leur tour dans le prendre soin, celui du végétal, explique Laure Teysser, infirmière. Cela nous permet de leur faire comprendre qu’ils ont des compétences dans un autre contexte. » Et Audrey Rossi, sa collègue infirmière, de poursuivre : « La médiation est un soin avec moins de contraintes. Le patient y est présent comme un fil conducteur, il explique aux autres, il est partenaire. Et s’il a une frustration, elle est provoquée par la fin de la séance. C’est valorisant pour nous, professionnels de santé, de pouvoir faire émerger les compétences des patients. C’est très important dans notre identité de soignant. Cela nous réconcilie avec nos propres pratiques. De retour en unité, cela nous amène à voir le patient avec des capacités que nous ne lui connaissions pas. »

Des bienfaits pour tous

Pour les nouveaux dans l’équipe, c’est une découverte, une autre façon d’envisager le travail, comme le confirme Poca Royer, IDE diplômée depuis deux ans et demi, et intégrée au pôle psychiatrie depuis un an : « Ce qui est chouette, c’est de partir avec des consignes alors que le patient, lui, a des envies. Il peut être acteur, initier les choses, comme donner le nom des outils et expliquer ce qu’il faut faire aux autres. » Pour Aude Joubert, « les patients participent à faire du beau pour eux, pour leur famille et pour nous tous. Ils voient la plante qui meurt et renaît. Cette séquence nous permet de les rencontrer, à nouveau, dans un autre cadre que la prise de médicaments et le respect des procédures. Et, en tant que soignante, c’est une véritable bouffée d’oxygène qui me permet de retrouver du sens à mon métier ! »

Pour les patients, le jardin est source d’apaisement et, souvent, ceux qui y ont goûté veulent y revenir. « Le fait de gratter la terre et d’être concentré permet de ne pas voir passer le temps, témoigne Philippe Reynaud. J’ai appris à me souvenir du nom des plantes. Et les voir pousser, c’est magique ! J’ai constaté que j’étais plus relaxé et qu’il y avait un bienfait réel après la médiation. Et puis, on discute avec les autres patients, on se donne des conseils, on fait des choses ensemble. Cela donne de la force aussi. » Bénédicte Conrod, une patiente, ajoute : « Le premier jour, j’ai semé des salades. Maintenant, je vois le rendu. Au jardin, c’est calme, j’ai une sensation de plénitude, je me sens bien, détendue. »

Depuis septembre 2016, le projet a pris une nouvelle ampleur dans le cadre d’un Programme hospitalier de recherche infirmière et paramédicale (PHRIP), dont l’objet est d’évaluer, par un essai contrôlé randomisé, l’effet de la médiation par le jardin de soins sur l’état anxieux de patients adultes hospitalisés en psychiatrie. « C’est une belle reconnaissance, estime Blandine Cherrier. Pour nous, c’est une ouverture sur la recherche avec de nouvelles structures et un apprentissage de la communication sur ce que nous faisons. Nous sommes passés à une autre échelle. C’est très motivant et enrichissant. » Les résultats sont attendus pour 2020.

1- Échelle d’évaluation brève en cinq points de vingt adjectifs, dite échelle Panas (David Watson et al., The Positive and Negative Affect Schedule – Panas, 1988).

FINANCEMENTS

Des soutiens comme s’il en pleuvait

→ Le jardin des Mélisses est une association loi 1901, créée par plusieurs soignants du pôle psychiatrie adulte de l’hôpital Nord du CHU de Saint-Étienne, pour faciliter l’utilisation des fonds et permettre que le projet puisse s’inscrire dans la durée. Après divers appels à projets, le jardin a reçu 7 000 € de la Fondation de la Caisse d’épargne et 5 000 € de Jardins et santé qui octroie, tous les deux ans, des bourses à des projets de jardins dans les lieux de soin qui reçoivent des personnes atteintes de maladies cérébrales.

→ En 2015, le jardin des Mélisses a été l’un des cinq projets financés sur les 148 dossiers examinés. Ce qui a notamment permis la construction de la serre.

→ L’association est soutenue par le CHU, les jardiniers, le lycée horticole de Montravel situé à Villars (Loire), l’association Animation et familles, qui lutte contre l’isolement des personnes en gériatrie, le jardin de Valériane, une structure d’insertion par le maraîchage bio appartenant au Réseau Cocagne, les mairies de Saint-Étienne et de Roche-La-Molière, l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam) de la Loire, l’association Léa Nature, et tous les particuliers impliqués de près ou de loin dans le projet : les médecins, les infirmières, le personnel administratif et bien sûr, les familles des patients.