L'infirmière Magazine n° 394 du 01/06/2018

 

HANDICAP

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Adrien renaud  

Trop d’attente, dossiers incompréhensibles… Les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), censées accueillir et orienter dans le territoire, font face aux critiques grandissantes. Une mission commanditée par Édouard Philippe veut les réformer. Les changements sont attendus de pied ferme.

Ils sont 70. Soixante-dix députés qui, à la demande de leur collègue étiqueté La République en marche, Adrien Taquet, se sont rendus début mars dans la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) de leur territoire. L’objectif ? « Sensibiliser les députés à la cause du handicap » et « recueillir leurs observations », explique l’organisateur de l’opération, chargé par le Premier ministre de rédiger un rapport sur la simplification du parcours administratif des personnes handicapées, un travail mené en binôme avec Jean-François Serres, membre du Conseil économique, social et environnemental (Cese). Et les constats ont été sans appel.

« La MDPH a été créée pour être un guichet unique et pour accompagner les personnes handicapées, explique Adrien Taquet. Mais aujourd’hui, la partie accompagnement n’est pas au rendez-vous, et les MDPH sont essentiellement un guichet administratif de distribution de droits. » De fait, le cœur de métier de ces structures consiste à instruire les demandes d’aide : Prestation de compensation du handicap (PCH), Allocation adulte handicapé (AAH), etc. Et même sur cette partie administrative, les députés qui ont visité leur MDPH ont constaté que d’importants progrès restent à réaliser. « Seulement la moitié des MDPH respectent le délai légal de quatre mois pour traiter une demande, se désole Jean-François Serres. Et surtout, on constate beaucoup de disparités : les délais et le taux d’accord des aides varient beaucoup d’un département à l’autre. »

Diagnostic partagé

Il semble évident que les MDPH sont débordées : aucune, parmi celles que L’Infirmière magazine a contactées dans le cadre de cet article, n’a pu rendre un agent disponible pour répondre à nos questions. Les acteurs du handicap font le même constat. « Il y a des MDPH où les dossiers sont traités en quelques semaines, voire deux à trois mois au pire, et d’autres où cela peut prendre un an ou plus », témoigne Marcel Hartmann, vice-président de l’Association nationale des équipes contribuant à l’action médico-sociale précoce (Anecamsp), une fédération de structures prenant en charge des enfants handicapés. Autre reproche couramment entendu : les dossiers que doivent remplir les personnes handicapées pour avoir droit à une prestation sont éminemment complexes. « C’est difficile de s’y retrouver, et c’est d’autant moins simple quand on présente un trouble qui fait qu’on a du mal à exprimer ses demandes d’aide », déplore Roselyne Touroude, vice-présidente de l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques (Unafam).

Les racines du mal semblent faire consensus parmi les connaisseurs du secteur, et elles n’étonneront personne : il s’agit du manque de ressources. « La charge de travail des MDPH s’accroît sans cesse, alors que leurs moyens sont constants voire à la baisse », résume Roselyne Touroude. Marcel Hartmann souligne que, même lorsqu’elles fonctionnent de manière satisfaisante, les MDPH ne peuvent pas faire de miracles. « Lorsqu’un enfant a besoin d’être réorienté vers un service de type Sessad [Service d’éducation spéciale et de soins à domicile, NDLR], ou vers un établissement de type IME [Institut médico-éducatif] ou Itep [Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique], on s’aperçoit bien souvent qu’il y a un manque de places : comment les MDPH peuvent-elles faire des orientations dans ces conditions ? » demande le vice-président de l’Anecamsp.

Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain

Mais si le secteur du handicap s’accorde pour dire que le fonctionnement des MDPH doit être amélioré, tout le monde estime également qu’il s’agit d’un outil qui doit être conservé. « Si on leur jette beaucoup la pierre, c’est tout simplement parce qu’elles sont au centre de tout et que tout remonte vers elles », analyse Céline Poulet, déléguée nationale en charge des personnes en situation de handicap à la Croix-Rouge française. À l’Unafam, Roselyne Touroude voit même en elles l’un des rouages essentiels de la reconnaissance du handicap psychique. « Nous sommes extrêmement investis dans le fonctionnement des MDPH car c’est elles qui ont ouvert le droit à la compensation du handicap psychique, qui n’était pas reconnu avant 2006 », indique-t-elle.

Dès lors, chacun y va de son idée pour réformer les MDPH. La première piste, évidente, est de les rendre plus efficaces en modernisant les systèmes d’information. « C’est un domaine dans lequel les MDPH ont dix ans de retard sur d’autres administrations et vingt ans sur le secteur privé, estime le député Adrien Taquet. Aujourd’hui, on commence tout juste à numériser certains dossiers. Et quand le dossier est envoyé en version papier, on a quatre ETP [équivalent temps-plein, NDLR] qui sont mobilisés pour les mettre au format PDF. »

La mission qu’il mène avec Jean-François Serres va également faire des propositions pour réduire le nombre de dossiers adressés aux MDPH. « Il faut que, dans un certain nombre de cas, on arrête de demander aux gens de justifier en permanence leur handicap, s’emporte le membre du Cese. Quand un enfant est trisomique, on ne doit pas avoir besoin de renouveler sa demande tous les trois ans, certificat médical à l’appui. »

Simplifier… ou pas

Autre piste de réflexion : revoir l’instruction des dossiers. Roselyne Touroude insiste sur la nécessité de sensibiliser les professionnels de santé, et notamment les médecins, à l’importance que revêtent les documents qu’ils transmettent aux MDPH. « On a encore des endroits où les médecins se contentent de donner le diagnostic, indique-t-elle. Or, le diagnostic tout seul ne sert à rien : il faut aussi que la MDPH dispose d’informations précises sur la nature des troubles, les symptômes, les limitations d’activité… » Céline Poulet voudrait carrément revoir les formulaires eux-mêmes. « Dans d’autres pays, on a des interfaces simplifiées, avec des formulaires où tout le monde peut comprendre les questions », ironise-t-elle. Mais Jean-François Serres préfère ne pas susciter d’attentes trop importantes sur ce sujet. « La complexité vient du fait qu’on a souhaité construire un droit le plus individualisé possible, explique-t-il. On ne peut avoir une réponse individualisée que si la demande est précise. »

Mais la grande question, pour les MDPH, reste de savoir comment tenir la double promesse de leur naissance : jouer à la fois un rôle de guichet unique et un rôle d’accompagnement. Pour renforcer cette deuxième partie, Céline Poulet et la Croix-Rouge française proposent de créer des postes de référents de proximité, indépendants des MDPH et des prestataires, qui aideraient les personnes à construire leur parcours. Et quand on lui fait remarquer que ce genre de dispositif risque de coûter cher si on veut qu’il soit présent dans tout le territoire, elle répond qu’il faut bien « mettre un peu de moyens si on veut avoir des professionnels qui tiennent la route ».

La proposition se retrouvera-t-elle dans les préconisations d’Adrien Taquet et de Jean-François Serres ? Réponse mi-mai, quand ils auront achevé leur mission. Il est par ailleurs prévu que le président Emmanuel Macron s’exprime sur le sujet lors de la Conférence nationale du handicap, juste après la remise du rapport. On saura donc assez rapidement si celui-ci sera enterré ou s’il sera suivi d’effet.

MDPH DU NORD

Obligée de fermer pour écluser le retard

Entre le 10 et le 13 avril, la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) du Nord était fermée, et ce n’était pas pour cause de grève, d’intempéries ou de week-end prolongé. Non, si les usagers ont trouvé porte close pendant quatre jours, c’est parce que les 200 agents étaient occupés à… rattraper le retard accumulé depuis des mois dans le traitement des dossiers. La direction, interrogée par nos confrères de La Voix du Nord, admettait qu’avant cette fermeture exceptionnelle, il y avait quelque « 7 000 dossiers en souffrance… même pas enregistrés ».

En cause, toujours selon la direction, « un épisode de ralentissement informatique », « des collègues en arrêt maladie », ainsi qu’un afflux de demandes supérieur à la moyenne en janvier et en février.

« On ne voyait pas comment, sans mettre en place un dispositif un peu particulier, on pouvait arriver à traiter ces dossiers », a expliqué Armelle Thiery, directrice adjointe de la MDPH du Nord, sur les ondes de France Bleu, le 10 avril dernier. Mais celle-ci sait bien que ce n’est pas avec une fermeture temporaire que le problème structurel de l’afflux de demandes (celles-ci ont augmenté de 53 % entre 2013 et 2017) sera résolu. « Ce qu’on souhaiterait aussi, c’est continuer à travailler sur la modernisation de nos outils, pour assurer un service public de qualité », confiait-elle à France-Bleu.