L'infirmière Magazine n° 394 du 01/06/2018

 

PRATIQUES NON CONVENTIONNELLES

ACTUALITÉS

REGARDS CROISÉS

Hélène Colau  

Reiki, kinésiologie, homéopathie, acupuncture… Les thérapies alternatives sont souvent attaquées par les tenants de la médecine conventionnelle. Faut-il les condamner ou tenir compte du bien-être qu’elles peuvent apporter aux patients ?

Serge Blisko

« Une perte de chance et de temps pour les patients »

Constatez-vous beaucoup de dérives dans le domaine de la santé ?

En 2017, nous avons reçu entre 2 400 et 2 500 « plaintes », c’est-à-dire des personnes qui nous signalent une inquiétude concernant un proche. Plus de 40 % d’entre elles concernent la santé, qu’elle soit organique ou mentale, alors qu’en 2010, cette proportion était de 20 %. Cela s’explique par l’augmentation de l’offre des médecines alternatives : aujourd’hui, il n’y a plus de petite ville sans spécialiste de la « médecine énergétique », par exemple.

Quelles sont ces disciplines controversées et quels risques font-elles courir aux patients ?

Nous faisons une différence entre deux catégories. D’une part, il y a les médecines complémentaires, qui ne remplacent pas la médecine officielle mais s’y ajoutent. Cela peut passer par la prise de compléments alimentaires après une grosse opération. Nous n’avons rien à dire sur ce type de médicaments ni, par exemple, sur l’acupuncture en traitement de la douleur provoquée par les migraines chroniques. Au contraire, ces solutions sont meilleures que la surmédication !

En revanche, nous sommes très en colère contre les thérapies alternatives qui entraînent une perte de chance pour le patient. Certains charlatans prescrivent de la poudre de perlimpinpin en lieu et place d’une chimiothérapie et d’une opération pour des personnes atteintes de cancer. Dans les pires des cas, ces produits sont dangereux, comme ceux vendus par le Dr Jean Solomidès dans les années 1970, qui se sont finalement avérés cancérogènes. Mais, même s’ils sont seulement inefficaces ou neutres, ils font perdre un temps précieux aux patients. On a eu des témoignages de personnes qui, lorsqu’elles se retrouvaient enfin dans le service compétent, avaient passé la phase lors de laquelle une thérapie était encore possible et ne pouvaient plus recevoir que des soins palliatifs…

Le risque maximal est atteint quand ces disciplines ne sont pas pratiquées par des professionnels de santé. Nous avons beaucoup focalisé sur le reiki, une médecine récente à laquelle beaucoup de praticiens sont formés à la va-vite et qui formule des promesses de guérison fallacieuses. Il y a également la kinésiologie, basée sur l’étude du mouvement. Dans ce cas, la vraie difficulté est la proximité avec le nom des kinésithérapeutes, ce qui permet de détourner une partie de leur clientèle.

Comment expliquez-vous le succès des médecines alternatives ?

Ces manipulateurs ont souvent affaire à des personnes désemparées, car la médecine ne soigne pas tout et induit parfois de lourds effets secondaires. En face de cela, on propose des produits très chers, à commander discrètement sur Internet ou à se faire préparer en douce dans une pharmacie, avec une mise en scène du mystère… L’effet placebo peut être formidable pour des personnes qui ont besoin d’être écoutées, et les charlatans jouent là-dessus. L’essor de ces médecines est aussi liée à une faiblesse de l’écoute médicale… Mais ce qu’on veut dire aux personnes tentées par les médecines alternatives, c’est de parler à leur médecin avant d’entamer toute thérapie.

Éric Dudoit

« Peu importe le mécanisme d’action, c’est le résultat qui compte »

Que vous inspire la récente charge d’un groupe de médecins contre les médecines alternatives ?

C’est l’éternel conflit entre médecine traditionnelle et non traditionnelle. Je trouve que cela vire parfois au dogmatisme, ce qui n’est pas scientifique. Car chacune de ces disciplines doit connaître sa place : la médecine allopathique a fait ses preuves, c’est incontestable. Et la médecine plus traditionnelle, qui puise dans d’autres cultures, apporte également du bien-être aux patients. Mais honnêtement, ce débat ne m’intéresse pas. Il n’est pas utile d’opposer deux conceptions de la médecine qui peuvent coexister.

Mais il existe pourtant des dérives qui peuvent mettre les patients en danger…

Bien sûr, il ne faut pas pousser : on ne va pas guérir un cancer avec trois gouttes de citron et une danse magique ! Mais, pour être juste, il existe des dérives tant avec la médecine traditionnelle qu’avec la médecine allopathique. Les maladies iatrogènes font de nombreux morts et il y a eu récemment des problèmes avec certains médicaments… Dans tous les métiers, il y a des gens peu recommandables. Ce n’est pas pour autant qu’il faut jeter le bébé avec l’eau du bain. D’autant que si on peut s’interroger sur certaines thérapies « magiques », elles ne tuent pas… contrairement au Mediator.

À l’inverse, plusieurs médecines non conventionnelles ont fait leurs preuves…

La psychologie, par exemple, n’est pas vraiment conventionnelle puisqu’elle n’est pas remboursée ! On a pourtant démontré l’intérêt des entretiens psychologiques. La méditation est elle aussi efficace, notamment en cancérologie. Au fond, peu importe le mécanisme d’action, c’est le résultat qui compte. On a entendu beaucoup de critiques sur le reiki, qui fonctionne avec des impositions des mains. Mais si une infirmière prend dix minutes pour faire un transfert d’énergie à un patient, en quoi cela pose-t-il problème ? Je trouve au contraire que cela entre dans le cadre du « prendre soin ». L’essentiel est que le patient se sente mieux, même si c’est un bien-être d’origine psychologique. Beaucoup d’infirmières se forment à la sophrologie ou au toucher-massage et c’est tant mieux. Cela peut même contribuer à restaurer la relation de confiance avec les patients. Certains d’entre eux se soignent de façon non conventionnelle, notamment par les plantes. S’ils sentent que les soignants n’y sont pas hostiles, ils vont oser en parler et on pourra leur signaler d’éventuelles interactions médicamenteuses avec leur traitement.

Mais comment savoir si on a affaire à une personne honnête ou à un charlatan ?

Je dis toujours à mes patients que si on leur demande de l’argent ou si on leur tient un discours antimédical – un magnétiseur qui recommande d’éviter la chimiothérapie, par exemple –, il faut se méfier. Mais aucun titre universitaire, selon moi, ne constitue une vraie garantie. Il existe de bons chamanes et de piètres psychiatres ! L’essentiel est de ne pas mettre sa confiance entre les mains de quelqu’un de malhonnête. Pour cela, il suffit de se fier à son bon sens.

SERGE BLISKO

PRÉSIDENT DE LA MIVILUDES

→ 1982-1997 : exerce la médecine libérale en ville

→ 1997-2012 : député de la 10e circonscription de Paris. Vice-président du groupe d’études sur les sectes à l’Assemblée nationale

→ 2012 : prend la présidence de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes)

ÉRIC DUDOIT

PSYCHOLOGUE CLINICIEN, RESPONSABLE DE L’UNITÉ DE PSYCHO-ONCOLOGIE À L’HÔPITAL DE LA TIMONE (AP-HM), À MARSEILLE

→ 1998 : devient psychologue

→ 2002 : prend la tête de l’unité de psycho-oncologie de la Timone

→ 2005 : crée l’Unité de soins et de recherche sur l’esprit au sein du centre hospitalier

POINTS CLÉS

→ Le 19 mars, 124 médecins et professionnels de santé ont cosigné, dans Le Figaro, une tribune pour dénoncer les dangers des médecines alternatives et « alerter sur les promesses fantaisistes et l’efficacité non prouvée des médecines dites alternatives comme l’homéopathie. Ce collectif demande l’exclusion de ces disciplines ésotériques du champ médical. » Le conseil national de l’Ordre des médecins, qui a regretté la « forme véhémente de l’interpellation publique » et a refusé de se prononcer sur la question, a néanmoins saisi l’Académie de médecine.

→ Le 22 mars, le rapport annuel d’activité de Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) remarquait l’explosion des signalements concernant le monde de la santé. « Si on additionne les demandes portant sur des thérapies alternatives, celles qui portent sur des approches exclusivement psychologiques et le domaine du psycho-spirituel, ce sont 652 interrogations qui mentionnent explicitement des inquiétudes sur une méthode, un thérapeute ou un groupe », pointe le rapport.