→ La relation thérapeutique en cancérologie implique de ne pas évacuer la question du pronostic vital. La mort rôde autour de nous : celle de nos patients, celle qui sera la nôtre… et cette angoisse renvoie tout soignant à sa finitude. L’incertitude face au résultat thérapeutique et l’agressivité du traitement anticancéreux rendent difficile le travail de deuil. De ce point de vue, il n’est pas inutile de s’interroger sur le sadisme médical fantasmatique qui conduit à une lutte à mort contre la maladie, mais cette lutte peut aussi entraîner la mort du patient… D’où les attitudes de fuite, de dénégation (consciente) ou de déni (inconscient), qui vont venir cacher les représentations inconscientes de la lutte contre le cancer, plutôt que d’aborder le soin à une personne atteinte de cette pathologie. La périphrase en dit long sur la némésis médicale. Et cette némésis médicale vient interroger la vocation névrotique. Pourquoi soigne-t-on ? Même si ce livre d’Annick Taquet-Assoignons – psychologue clinicienne à l’Institut Jules-Bordet, centre anti-cancéreux à Bruxelles et qui a pris part, en France, à la mise en place de réseaux de soins – nous laisse sur notre faim, il a un grand mérite : celui de la sincérité et de l’honnêteté, en abordant une question peu traitée à cause des mécanismes d’identification projective : comment soigner au mieux un soignant ? La psychologue laisse la parole à plusieurs intervenants, essentiellement des infirmières et des aides-soignantes. Ce qui fait de son propos un témoignage, non un traité. Il est loin des discours universitaires qui fatiguent par leur suffisance. De ce point de vue, il est utile d’envisager des groupes de parole ou de supervision qui permettent aux soignants d’évoquer leurs difficultés, de partager leur ressenti et de favoriser un travail d’équipe, tout en luttant contre le burn out. L’avantage d’un travail en groupe évitera les mécanismes de défense comme la toute-puissance ou le déni, en recentrant le soin sur la personne du malade. Modestie et humilité sont sans doute les deux sentiments qui devraient guider l’acte thérapeutique. Une autre façon d’écouter la plainte, la douleur ou l’angoisse.
Le soignant malade, Annick Taquet-Assoignons, Éd. Seli Arslan, 19 €