Au service d’addictologie de Paul-Brousse (AP-HP), à Villejuif (Val-de-Marne), l’hôpital de jour prend en charge des jeunes accros aux jeux vidéo. Objectif : renouer avec la vie de groupe.
Avec son poster de Yoda et ses étagères garnies de jeux de société, la pièce a tout d’une chambre de geek. Nous sommes pourtant à l’hôpital de jour (HDJ) de Paul-Brousse (AP-HP), à Villejuif, spécialisé dans les conduites addictives chez les adolescents. Avec le CHU de Nantes et l’hôpital Marmottan (Paris), c’est l’une des rares structures à prendre en charge des gamers en déshérence. « Environ un quart des demandes ont trait aux jeux vidéo ou aux écrans », explique Geneviève Lafaye, jeune psychiatre qui a créé, en 2013, cette unité d’addictologie pour ados et jeunes adultes, dotée d’une consultation spécialisée et d’un HDJ pour une dizaine de patients. Depuis, les sollicitations vont bon train.
Le concept d’addiction aux jeux vidéo ne fait pas l’unanimité chez les psychiatres. N’y a-t-il pas un risque de pathologiser un loisir ? Le débat n’est pas tranché mais la nécessité d’une prise en charge gagne du terrain.
« Les détracteurs disent que l’important, c’est d’identifier l’élément pathologique sous-jacent, relate le Dr Lafaye. Pour moi, l’essentiel, c’est surtout de raccrocher ces jeunes au système de soins. » Les patients, âgés de 15 à 23 ans, sont parfois aussi démunis que leurs parents. En butte à un isolement croissant, ils ne vont souvent plus à l’école, passant le plus clair de leur temps à jouer. Presque tous sont masculins. « De 95 à 98 % des patients », estime Bruno Rocher, addictologue au CHU de Nantes. Et quelques jeux drainent la plupart des addictions. « Le point commun, c’est l’existence d’un monde virtuel et d’une communauté en ligne. » Incontournable en 2010-2015, le jeu de rôle World of Warcraft a laissé la place à Fortnite, un jeu de tir et de survie haut en couleurs. Chez les filles, les réseaux sociaux tiennent le haut du pavé. Mais à Paul-Brousse, on se garde bien de diaboliser le jeu vidéo. « On voit que quelque chose ne fonctionne plus dans la communication familiale », note Geneviève Lafaye. L’addiction est aussi souvent associée à un syndrome anxieux ou dépressif, et à de faibles compétences sociales. « Il y a beaucoup de troubles déficitaires de l’attention », précise Ruben Miranda, neuro-psychologue dans le service.
La rencontre se fait à l’initiative des parents. « Les jeunes ne vont pas bien et le jeu leur permet de se maintenir dans un équilibre : y toucher, c’est menaçant pour eux », note Geneviève Lafaye. En revanche, à l’issue de la consultation, la majorité des propositions d’hospitalisation sont acceptées. « Ils ne nous le disent pas, mais ils sont demandeurs. On accorde les soins à leur souffrance. » Les premières semaines, le jeune rencontre les intervenants (ergothérapeute, psychologues, IDE, médecins…) et définit avec eux un projet de soins. Après cette phase, l’hospitalisation peut s’interrompre ou se prolonger dans la durée. « Six mois, un an… C’est variable. Le but est de réinstaurer une dynamique, que tout ne soit plus cristallisé autour du jeu. »
La prise en charge vise à retrouver une existence structurée. Pour ces jeunes, l’HDJ est aussi l’occasion de renouer avec la vie de groupe, ses subtilités et contraintes. Des activités collectives sont prévues : ergothérapie, expression corporelle, sport… Et cette règle d’airain : pas de jeu vidéo à l’hôpital. « Au début, nos patients sont perturbés », précise Alix Gonnod, psychologue du service. Après cette “traversée du désert”, analogue à un sevrage, ils apprennent à contrôler leur addiction. « Le jeu restera leur fragilité, mais ils l’utilisent différemment, conclut le Dr Lafaye. On a de chouettes histoires. »
Dans sa 11e classification internationale des maladies, prévue en juin 2018, l’Organisation mondiale de la santé reconnaît pour la première fois l’existence d’un « trouble du jeu vidéo » (« internet gaming disorder ») au chapitre des addictions comportementales. Pour être pathologique, la pratique doit être associée à une perte de contrôle, primer sur les autres activités et se maintenir malgré les effets négatifs. Un critère d’une durée d’un an minimum a été retenu, à titre indicatif. « Cette définition me paraît équilibrée, estime Bruno Rocher, spécialiste des addictions comportementales de l’adolescent au CHU de Nantes. Le principal critère, c’est la répercussion fonctionnelle sur la vie de l’individu, qui fait qu’il y a souffrance. » Une pratique intensive n’a rien de grave en soi : c’est lorsque le jeu met durablement la vie sociale, familiale et/ou professionnelle en danger qu’il faut s’inquiéter. C’est le cas pour 1 à 5 % des joueurs, précise-t-il, espérant que cette reconnaissance stimule une offre de soins encore parcellaire.