Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) a publié, le 16 mai, un avis qui pointe l’âgisme(1) de la société française et interroge sur le sort réservé aux personnes âgées.
Quel sens à la concentration des personnes âgées entre elles, dans des établissements dits d’hébergement ? » La question est à l’origine de la réflexion du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), qui s’est autosaisi du sujet en octobre 2016 et a publié, le 16 mai dernier, un avis(2) très sombre mais qui a le mérite de questionner nos relations avec le grand âge. « C’est un sujet majeur sur lequel nous n’avions pas mené de réflexion depuis 1998(3). Cette fois, nous voulons aller plus loin car nous avons fait les mêmes constats qu’il y a vingt ans : nous avons donc doublé l’avis de propositions », précise Régis Aubry, chef des soins palliatifs du CHU de Besançon (Doubs), membre du CCNE et co-rapporteur de l’avis.
Aujourd’hui, les personnes âgées de 75 ans et plus représentent 9 % de la population française (soit 6,1 millions d’individus), dont 61 % de femmes et 39 % d’hommes. En 2050, on estime qu’ils seront 16 %. Les enjeux du vieillissement sont donc incontournables.
« Maltraitance », « ghettoïsation » « exclusion collective » des personnes âgées… Des mots forts et durs. « Il nous est apparu important qu’une politique de santé ait un soubassement éthique, c’est-à-dire qu’elle respecte les personnes auxquelles elle bénéficie, souligne Régis Aubry. Or, la politique actuelle conduit à concentrer les personnes les plus vulnérables dans les Ehpad, des lieux où, bien souvent, elles n’ont pas souhaité être. C’est de cette maltraitance qui contraint à une personne à être à un endroit où elle ne veut pas dont nous parlons. Nous avons essayé de nous placer du point de vue de la personne âgée (ce qui est nouveau), sans considérer ce qu’elle peut coûter ou générer. L’avis est provocateur dans les mots et doit permettre de se questionner sur les pratiques et les choix qui sont faits pour les personnes âgées, et la place que nous voulons leur donner dans la société. »
Le texte et ses annexes identifient un pic de suicides autour des décisions d’institutionnalisation. Les personnes âgées entrées en Ehpad ont la « sensation d’être en trop, un poids, d’être inutiles à la société. Elles sont mises en dehors des éléments de vie. » L’institutionnalisation forcée, revendiquée au nom de la bienveillance et en vue d’assurer la sécurité de ces personnes, se fait souvent sous la contrainte, faute d’alternative. « La liberté de la personne est anéantie au profit des arguments de sécurité et de rationalité économique. Ce n’est pas éthique », ajoute-t-il.
Un terrible tableau qui pourrait être vu comme une critique des Ehpad et des soignants qui y travaillent… ce que Régis Aubry réfute : « Il ne s’agit pas de critiquer le personnel, qui fait du mieux qu’il peut avec le peu qu’il n’a pas souvent. Nous interrogeons le système de santé et ses effets, notamment les situations qu’il produit pour les plus vulnérables. »
L’avis propose de mettre en place de nouvelles formes de solidarité dans la société en direction des personnes les plus fragiles. Et notamment, « d’inclure, de façon plus systématique, les proches et les aidants, condition sine qua non du maintien à domicile ». Il suggère également de « constituer un plan pour le répit et le soutien des aidants, afin de leur permettre d’avoir le temps et les compétences nécessaires à l’accompagnement des personnes maintenues à domicile ». À ce sujet, Régis Aubry estime que l’on « manque en France d’aides à domicile. Elles sont mal formées, mal payées et mal reconnues. C’est un choix politique que d’investir dans l’emploi de ces personnes. Et au vu de la démographie, cela aura un coût et des retombées. »
Par ailleurs, le co-rapporteur de l’avis du CCNE assure qu’il faudrait « refondre le système de santé et de formation, et créer des formations interdisciplinaires permettant d’apprendre la construction d’une réflexion éthique, le travail en équipe, et la communication en situation complexe. C’est un vaste chantier, mais ce ne sont pas des mesures infaisables. »
1- L’âgisme regroupe toutes les formes de discrimination, de ségrégation et de mépris fondées sur l’âge.
2- À lire sur : bit.ly/2sentTa
3- L’avis de 1998 est disponible sur : bit.ly/2INc2rR