L'infirmière Magazine n° 395 du 01/07/2018

 

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Lisette Gries  

Des modifications dans l’organisation des services, une meilleure orientation des patients ou une formation renforcée des auxiliaires de régulation médicale… Autant de pistes envisagées pour assurer une meilleure prise en charge aux urgences.

Le 29 décembre 2017, Naomi Musenga, une Strasbourgeoise de 22 ans, appelle le 18 pour des douleurs aiguës au ventre. L’opératrice des pompiers transmet l’appel à son homologue du Samu(1), sans prendre conscience de la gravité de la situation. Au 15, l’auxiliaire de régulation médicale (ARM) ne prend pas non plus la mesure du problème : elle demande à la jeune femme, sur un ton moqueur, d’appeler SOS médecins, avant de raccrocher. Naomi Musenga parvient finalement à joindre SOS médecins, et l’équipe qui arrive chez elle appelle, à son tour, le Samu pour une intervention. L’état de la jeune femme se dégrade rapidement à son arrivée au CHU et elle décèdera quelques heures plus tard. Cette histoire tragique a été révélée en avril, en même temps que l’enregistrement de la conversation avec l’ARM, qu’a demandé la sœur de la défunte au CHU.

« L’affaire Naomi » révèle un certain nombre de dysfonctionnements des dispositifs d’urgence tels qu’ils sont organisés aujourd’hui, qu’il s’agisse des centres 15 ou des services hospitaliers d’urgence. D’autres témoignages ont d’ailleurs émergé, faisant état d’une orientation des appelants vers des solutions inadaptées à leur situation médicale. Au sortir de l’hiver, l’engorgement des services d’urgence et ses conséquences délétères ont aussi fait l’objet de constats publics alarmants. Pourtant, des pistes d’amélioration existent. Le ministère de la Santé mènera d’ailleurs une consultation des acteurs cet été, après avoir reçu les propositions des organisations syndicales et professionnelles.

Toujours plus de patients

Le premier défi des structures d’urgences est de répondre à de plus en plus de sollicitations, de natures très diverses. En 2016, les Samu ont traité près de 25 millions d’appels selon le ministère(2), contre 11 millions en 1997(3), estime la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees). Celle-ci note aussi que, dans les hôpitaux, on enregistre environ 20 millions de passages par an aux urgences, soit quasiment deux fois plus qu’en 1996. « Les urgences et les Samu doivent aujourd’hui répondre à des demandes de soins qui ne peuvent pas être assurées, en l’état, par la médecine de ville », constate le Dr Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes de France (Amuf). Toutes ne relèvent pas d’un besoin de prise en charge immédiat. « Les structures d’urgences sont le miroir grossissant des dysfonctionnements de l’ensemble du système de santé : même s’il faut attendre plusieurs heures aux urgences, les patients ont, en un même lieu, tous leurs examens et, éventuellement, une consultation avec un spécialiste », ajoute l’urgentiste, qui exerce à l’hôpital Avicenne (AP-HP) de Bobigny (93).

Sa solution ? Installer, à proximité des services d’urgences, des centres de santé dont seraient salariés des médecins généralistes, des IDE, des radiologues ou des laboratoires de biologie médicale, et qui pourraient s’occuper d’une partie des urgences non vitales. « Mais pour cela, il faudrait augmenter le nombre de généralistes », précise-t-il. Son confrère Karim Tazarourte, vice-président de la Société française de médecine d’urgence (SFMU) et chef du service des urgences du CHU de Lyon, préconise, en outre, une mise en adéquation entre la dimension des plateformes et le nombre d’appels ou d’entrées. « Aujourd’hui, il n’y a pas de ratio déterminé du nombre d’ARM basé sur l’activité des centres 15, qui se retrouvent dans une situation d’engorgement technique, remarque-t-il. Les services d’urgences rencontrent les mêmes problématiques. »

Mieux organiser les soins

« Aux urgences, il y a un maximum de personnes qui arrivent pour un problème aigu et imprévisible, et une minorité de patients atteints de pathologies chroniques, voire de polypathologies. Pourtant, ce sont avec eux que les soignants passent le plus de temps », constate le Pr Yves Cottin, président de la commission médicale du CHU de Dijon. Le projet d’établissement 2018-2022 prévoit donc d’organiser différemment les soins selon la typologie des patients, qu’ils soient aigus, chroniques ou fragiles et polypathologiques. « Un insuffisant cardiaque qui décompense n’a rien à faire aux urgences, où sa situation sera jugée gravissime et où des examens inutiles pourront être prescrits. Il a davantage sa place dans une consultation de cardiologie », détaille le Pr Cottin. Des créneaux de consultation rapide sont donc en train de s’ouvrir dans les services, pour recevoir les patients connus. Tous les services, Samu inclus, ont accès à un socle commun d’informations médicales sur les patients, qui sera, à terme, partagé par les correspondants libéraux, les Ehpad, les autres CH du secteur, etc. Dès le début de la prise en charge, les patients pourront donc être orientés vers la solution la plus adaptée à leur cas.

Un autre problème que soulève « l’affaire Naomi » est celui de la communication entre les pompiers et le Samu. « En basculant l’appel, l’opératrice des pompiers aurait dû tomber directement sur un médecin régulateur », note le Dr Prudhomme. L’Amuf propose donc d’améliorer l’interconnexion entre les plateformes des différents numéros d’urgence. « Il faut pour cela que certains médecins, accrochés à leurs prérogatives, apprennent à faire confiance aux compétences des pompiers », complète-t-il. Pour le Dr Tazarourte, la solution se trouve dans des plate-formes médico-sociales, qui permettent au Samu d’assumer le rôle de porte d’entrée dans le parcours de soins. « On pourrait avoir des puéricultrices, des soignants en gériatrie ou même des consultations par vidéo pour des problèmes bénins », suggère-t-il, avançant aussi l’idée d’une plateforme commune virtuelle entre les numéros d’urgence.

De plus, si la présence d’un médecin régulateur est obligatoire dans les centres 15, là non plus, il n’y a pas de ratio déterminé. « Il faut mesurer l’activité des centres et adapter les moyens », insiste le chef des urgences de Lyon, qui suggère également d’introduire des superviseurs, à la manière de ce qui existe dans les call-centers, pour aider les opérateurs en difficulté. À Dijon, le temps médical accordé au Samu pourra être optimisé grâce aux informations dont disposeront les ARM dès le début de l’appel, avec le simple nom du patient. Pour les urgences, du temps de bloc pourra être libéré en s’autorisant à décaler, en cas de pic d’activité, les opérations des malades chroniques qui peuvent attendre quelques jours. « De plus, en organisant un meilleur suivi à domicile des patients chroniques ou fragiles après leur hospitalisation, on pourra mieux déceler les signes d’une exacerbation de leurs symptômes et, ainsi, limiter les réhospitalisations aiguës, qui passent par les urgences », prévoit le Pr Cottin.

Inégal niveau de formation

« Aujourd’hui, les ARM ne sont pas considérés comme des soignants car ils n’ont pas suivi de cursus spécifique, regrette le Dr Tazarourte. Il faut donc dessiner une formation harmonisée sur le territoire, qui les outille pour comprendre les symptômes et les mots utilisés pour les décrire, pour disposer de connaissances techniques liées aux appels et devenir des professionnels de l’échange thérapeutique. » En effet, à chaque appel, les ARM n’ont que quelques minutes pour appréhender la gravité de la situation, obtenir des renseignements complémentaires, informer sur la conduite à tenir et enclencher le type de prise en charge adapté. Pourtant, dans certains départements, ils sont embauchés au niveau bac et ne suivent qu’une courte formation avant la prise de poste. « Avec la déstructuration des équipes, même les formations par compagnonnage sont mises à mal », regrette le Dr Prudhomme.

1- Service d’aide médicale d’urgence.

2- Lire le communiqué de presse du 14 mai : bit.ly/2kPNS5t

3- Voir étude de la Drees : bit.ly/2HnusO4

« AFFAIRE NAOMI »

Pourquoi tant de sarcasme ?

L’auxiliaire de régulation médicale du Samu a été très critiquée pour le ton moqueur utilisé lors de sa conversation avec Naomi Musenga. Pour Sylvie Morel, sociologue et ingénieure de recherche au Centre national de la recherche scientifique, cela ne relève pas d’une défaillance individuelle. « Un bref détour par l’histoire récente permet de retracer la genèse et la construction politico-médiatique d’un discours public de défiance envers le citoyen, dont émerge la figure de “l’usager” abusant des urgences », décrit-elle dans un article pour The Conversation(1). « Cette rhétorique de culpabilisation et de responsabilisation de la population est désormais si profondément ancrée dans l’imaginaire collectif qu’elle constitue la grille de lecture des professionnels de santé dans leur exercice quotidien, ajoute-t-elle. Il faut aussi s’interroger sur le rapport à l’autre dans une société permettant qu’une telle réponse soit apportée à une personne qui appelle au secours. » On comprend bien que le problème dépasse, de loin, l’échange entre l’opératrice et la patiente.

1. bit.ly/2kQAE8D