L'infirmière Magazine n° 395 du 01/07/2018

 

SOINS D’URGENCE

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

Cécile Bontron  

Depuis 2004, les infirmiers pompiers peuvent intégrer le Groupe de reconnaissance et d’intervention en milieu périlleux (Grimp). Sa mission ? Prodiguer les premiers secours infirmiers aux victimes qui ne peuvent être évacuées par la grande échelle. Nous avons suivi, à Thionville (57), l’unité de Moselle lors des séances de formation.

Le véhicule de secours et d’assistance aux victimes est déjà arrivé devant l’Européen, un long immeuble thionvillois situé près du centre-ville, au bord de la Moselle. La voiture de Virginie Remen - aussi rouge que le camion des pompiers - se gare juste à côté. L’infirmière enfile rapidement sa tenue d’intervention : baudrier, casque gris, sac à dos chargé de solutés, de médicaments, scope à bout de bras. L’accident s’est produit sur le toit de l’Européen : un antenniste a chuté de trois mètres mais il se trouve à quarante-huit mètres de hauteur. Ce qui explique la présence de l’infirmière : celle-ci fait partie du Groupe de reconnaissance et d’intervention en milieu périlleux (Grimp) de Moselle, une unité de sapeurs-pompiers lorgnant davantage du côté de l’alpinisme en haute voltige que du soin à domicile. Sa particularité ? Elle intervient lorsque la grande échelle, qui se déploie à trente mètres au maximum, ne suffit plus ou lorsque le camion ne peut trouver un accès proche.

Pour gravir les seize étages que compte l’imposant immeuble, Virginie prend l’ascenseur. L’accès au toit est simple. Mais l’antenniste, un grand gaillard d’une trentaine d’années, est tombé sur le dos et se plaint de douleurs. Virginie s’agenouille devant la victime : « Monsieur, que s’est-il passé ? Pouvez-vous me serrer la main ? » L’homme est conscient et souffre beaucoup du dos. Mais lorsque Virginie Remen palpe ses membres inférieurs, celui-ci ne ressent rien. Elle décide donc de le maintenir droit pendant l’évacuation, de façon à éviter une lésion de la moelle épinière. Exit l’ascenseur, il faudra donc passer par l’extérieur.

Alors que les collègues de Virginie - quatre sauveteurs et un chef d’unité Grimp - préparent les points d’ancrage, sortent les cordes des sacs et installent le bipode, l’infirmière vérifie les constantes du patient, l’interroge sur ses possibles allergies aux médicaments et injecte antalgique et morphine en perfusion. « On prend le temps d’expliquer la manœuvre au patient pendant que les autres mettent les cordes en place. C’est important car ça peut être impressionnant », reconnaît-elle.

Un mot-clé : l’adaptation

Arrivée chez les pompiers en 2006 comme volontaire, Virginie Remen travaillait auparavant aux urgences et au service mobile d’urgence et de réanimation (Smur), et voulait « aider les gens » sur son temps de repos. Lors des interventions, elle s’aperçoit que ses compétences d’infirmière sont une réelle plus-value et décide, en 2013, de devenir infirmière pompier volontaire. Un changement drastique d’environnement professionnel par rapport à l’hôpital. « On peut travailler dans des toilettes, au bord de la route, dans un fossé… », énumère Jérôme Max, infirmier en chef au service départemental d’incendie et de secours (Sdis) de Moselle. Le maître-mot : adaptation. « J’ai toujours eu le Grimp en ligne de mire, se rappelle Virginie Remen. Je trouvais cela passionnant. J’aime l’action, et je n’ai pas le vertige. »

Elle se porte donc candidate en 2015. L’apprentie doit passer plusieurs tests d’aptitude physique - pompes, tractions, test de Luc Léger (course entre deux plots) - et d’autres pour évaluer son appréhension du vide sur une planche calée à quarante-huit mètres de hauteur, ainsi qu’un entretien de motivation. « Il faut avoir une bonne condition physique, assure l’adjudant-chef Laurent Philippe, conseiller technique départemental pour le Grimp. Une fois sur le toit d’un immeuble, on doit descendre. Mais parfois, il faut remonter, et ça tire sur les bras. » Les candidats sélectionnés suivent ensuite trois jours de formation pour valider leur spécialité IMP1(1). En Moselle, ils sont six infirmiers intégrés au Grimp, trois volontaires et trois professionnels, accompagnés par un médecin libéral volontaire. « Ce n’est pas le GIGN, assure, dans une boutade, l’infirmier commandant Jérôme Max. C’est une spécialité, facteur de motivation. » Tout candidat doit être en mesure d’assurer toutes les missions et le prouve chaque année avec un test de contrôle opérationnel pour valider les compétences sur brancard ou en évolution sur corde.

Une série d’exercices

Sur le toit de l’Européen, c’est le silence total. Seule résonne la voix du chef d’unité. Pas de crispation, juste de la concentration. De l’autre côté de la rivière Moselle, de la fumée blanche épaisse s’échappe des tours de la centrale nucléaire de Cattenom. Au sud, la vallée de la Fensch étale toute son histoire de bassin sidérurgique. Stabilisé dans un matelas immobilisateur à dépression (Mid), et protégé par une civière, l’homme - surnommé « victime » en langage pompier ou « patient » par les soignants - prend le chemin du vide. Un pompier est déjà accroché, attendant la civière pour l’accompagner dans la descente. Son matériel rangé, Virginie Remen file prendre l’ascenseur pour réceptionner la victime au pied de l’immeuble. La descente ne durera pas plus de cinq minutes : aucun soin ne doit être pratiqué sur corde, le temps d’évacuation doit être le plus limité possible. Une fois la victime accueillie, l’infirmière remonte aussi vite. C’était un exercice. Son chef d’unité veut que chacun des membres du Grimp descende en varappe et s’entraîne à passer des nœuds.

Sur la terre ferme, David Spoden, la « victime », sort du brancard et reprend sa casquette d’infirmier libéral. « C’est intéressant de voir une vraie prise en charge, témoigne-t-il. Cela nous permet de comprendre le ressenti du patient. » Pour l’ancien hospitalier, c’était sa première fois dans la peau du patient. « On ne ressent pas le vide : la tête bloquée, on ne voit que la corde et les étages qui défilent, assure-t-il. Le sauveteur me parlait, je n’avais aucune appréhension. » Si David Spoden avait été une vraie victime, il aurait vu un médecin à son arrivée à l’hôpital ou après l’intervention de l’infirmière. « Il est très intéressant de travailler sans médecin, témoigne Virginie Remen. Il faut être très vigilant, ne pas passer à côté de quoi que ce soit. Ici, nous sommes autonomes, nous avons des protocoles précis. Il n’est pas nécessaire d’attendre un médecin. À l’hôpital, tout est tracé. Dans les interventions de sapeur-pompier, il faut se débrouiller dans l’urgence. C’est palpitant. »

Des interventions diversifiées

Les infirmières ont pu intégrer le Grimp à partir de 2004. Avant cette date, si une victime nécessitait des soins à plus de trente mètres de hauteur, deux pompiers devaient s’occuper de faire monter ou descendre un médecin. De nouveaux collègues que ne regrette pas le sergent-chef Marc Panighini, chef d’unité : « Les infirmières connaissent nos civières, nos contraintes, explique-t-il. Elles sont autonomes et, si on a un souci pour faire l’environnement civière par exemple, elles peuvent l’expliquer au médecin. Elles font le lien santé. »

Le Sdis de Moselle réalise environ 7 000 interventions dans l’année, dont une quarantaine impliquant le Grimp. Virginie Remen se tient prête car elle peut être appelée pour des interventions très variées : un ouvrier blessé en milieu industriel, un enfant coincé dans une usine désaffectée, un secours à domicile nécessitant d’évacuer la victime par la fenêtre… Mais en deux ans d’exercice, elle n’a pas encore réalisé d’intervention Grimp : leur faible nombre tombant au mauvais moment. Son collègue Josselin Giraux, infirmier libéral aussi présent à la formation sur le toit de l’Européen, est au Grimp depuis trois ans. Il a, pour sa part, “techniqué” un arrêt cardiaque au 10e étage d’un immeuble et réalisé plusieurs évacuations sanitaires de personnes obèses… « Il y a quatre ou cinq ans, nous faisions très peu d’interventions bariatriques. En 2002, nous n’en faisions aucune ! Aujourd’hui, c’est fréquent, témoigne l’adjudant-chef Laurent Philippe. Le secteur regorge aussi de vestiges militaires. Par exemple, l’an dernier, une rave party a été organisée dans un fort. Une jeune fille a fait une chute de vingt mètres dans un trou. »

Pour être opérationnels sur corde et dans un vide assez impressionnant, Virginie Remen et Josselin Giraux doivent réaliser au moins trente heures de formation par an. La journée va donc se poursuivre en milieu forestier, avec le sauvetage d’une randonneuse par tyrolienne pour remonter une falaise d’une soixantaine de mètres. Et la semaine prochaine, l’infirmier effectuera une formation ayant pour objectif le sauvetage d’une personne en haut d’une éolienne d’une cinquantaine de mètres. De quoi varier les plaisirs…

Des « conseillers techniques »

Entre les gardes comme infirmiers pompiers et les formations/interventions du Grimp, les deux IDE côtoient beaucoup les pompiers, dans une relation qu’ils estiment simple et équilibrée. « Nous sommes des conseillers techniques, explique Virginie. Nous donnons des informations aux pompiers sur l’état du patient et celui dans lequel il doit être transporté. Nous ne leur donnons pas d’ordre. » Pas de relation hiérarchique, mais une certaine complémentarité, estime-t-elle. Les pompiers s’entraident, qu’ils soient infirmiers ou non. Ainsi, les deux infirmiers rangent les cordes en vérifiant bien leur fiabilité, et les collègues non soignants aident à porter le scope ou soutiennent les perfusions. Mais l’infirmière a dû tout de même trouver sa place dans ce monde loin du milieu hospitalier et, surtout, très masculin. « À la base, ce n’était pas évident, admet-elle, mais avec les années, nous avons fait notre place. Avant, on disait qu’il fallait être fort pour devenir pompier. Bien sûr, il faut une certaine condition physique, mais il y a la technique. » Virginie a découvert les cordes et les techniques d’escalade avec le Grimp. « À la semaine de formation, tous les autres pompiers étaient particulièrement costauds. Mais, au fil des jours, ils ont vu de quoi j’étais capable. Et nous finissons par connaître tout le monde. »

L’infirmière estime que la présence féminine est nécessaire dans une unité d’intervention, qu’elle soit du Grimp ou de secours à la personne. « Dans les ambulances, ça peut apaiser, assure-t-elle. Je me souviens d’une grand-mère qui avait été violée. Elle n’avait plus confiance dans les hommes. Heureusement que j’étais là… » Les sapeurs-pompiers semblent partager cette analyse et tentent, depuis quelques mois, de séduire les candidates potentielles. La Direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) a organisé un concours d’actions de communication pour récompenser le Sdis ayant déployé la meilleure affiche ou vidéo web pour recruter des femmes. Il faut dire que le taux de féminisation national (15 %) est particulièrement faible. En Moselle, le Sdis a lancé une enquête auprès des femmes pompiers pour savoir comment favoriser l’intégration de consœurs. « On a besoin des compétences des femmes. Le métier a changé : aujourd’hui, les incendies ne représentent que 6 % de nos interventions. Le matériel a évolué, s’est allégé, nous avons des treuils ou des assistances électriques. » Déjà très présentes, les infirmières font figure de pionnières.

1- Intervention en milieu périlieux, niveau 1.

EN CHIFFRES

Loin de l’image médiatique

→ En Moselle, 145 infirmiers font partie des compagnies de sapeurs-pompiers : 10 en tant que professionnels et 135 comme volontaires, indemnisés 11,43 € de l’heure. Tous sont des infirmiers issus du monde hospitalier. « L’image que les médias renvoient des pompiers est fausse, surtout pour les infirmiers, ce n’est pas notre quotidien », assure l’infirmier commandant Jérôme Max, infirmier en chef du pôle santé et secours médical de la Moselle.

→ Le cadre de santé dresse ainsi un portrait peu attendu de ses collègues : 70 % des femmes ont 34 ans et deux enfants en moyenne, 70 % travaillent dans une unité intensive de l’hôpital (soins intensifs de cardiologie ou de neurologie, réanimation, urgences) et leur engagement dure souvent six ans. Et les missions ne se focalisent pas que sur les grands incendies qui ne représentent qu’une part très faible des interventions.

Les infirmiers sapeurs-pompiers interviennent surtout pour porter secours à la personne.

Et une partie de leur activité consiste à assurer les visites médicales régulières des pompiers.