Changer des protections urinaires ou nettoyer des parties intimes peut sembler une tâche ingrate. Isabelle Rémy-Largeau, infirmière, consultante formatrice et doctorante en philosophie, revient sur l’enjeu du sens donné aux soins du corps.
ISABELLE RÉMY-LARGEAU : Perdre une fonction entraîne des réactions émotionnelles comme la tristesse. Mais l’incontinence a une résonance particulière. La continence, lors de son acquisition, vers 3-4 ans pour un enfant, signifie qu’il grandit et marque la fierté et un processus de socialisation avec l’entrée à l’école. On parle alors d’acquisition de la “propreté”. A contrario, la personne qui perd cette fonction peut penser qu’elle régresse et éprouver de la honte. De plus, dans notre culture, l’urine est un liquide physiologogique considéré comme sale, qui s’écoule par le méat urinaire, situé au niveau des “parties intimes”, recouvertes du voile du secret et de la pudeur. C’est pourquoi l’incontinence est taboue pour les personnes qui en souffrent mais aussi pour les soignants. C’est un sujet qu’ils ont souvent du mal à aborder avec les personnes soignées. Et parfois, ils ont du mal à en parler de manière professionnelle : soit ils évacuent la question, soit ils la tournent en dérision.
I. R.-L. : Avant cela, il faut s’intéresser à ce qu’elle vit et lui permettre de s’exprimer. Accueillir sa parole, écouter, accepter que cela prenne du temps et surtout, ne pas banaliser le problème. La personne a souvent peur d’être rejetée, de susciter le dégoût. Elle n’a pas besoin de conseils “tout faits” car, au fond, il n’y a qu’elle qui sait ce qui est bien pour elle. Le soignant a surtout un rôle de passeur, de facilitateur, qui va encourager à parler et à trouver ce qui convient le mieux. L’acceptation se fait différemment selon les individus : certains voudront retrouver une certaine maîtrise en gérant leurs protections, quand d’autres préfèreront s’en remettre aux soignants.
I. R.-L. : Les soignants ont leurs représentations et émotions, et les personnes incontinentes leur renvoient en miroir ce qui peut leur arriver. Il faut donc aider les soignants à aider les personnes, les autoriser à s’exprimer aussi. Les formateurs, les cadres, les infirmières spécialistes cliniques ont un rôle essentiel. Il est important de reconnaître que c’est difficile de soigner, que cette première réaction de dégoût est normale. C’est parce qu’ils feront eux-mêmes l’expérience d’être écoutés que les soignants pourront adopter la même attitude vis-à-vis des patients.
I. R.-L. : Il est important de considérer l’incontinence urinaire comme un problème de santé qui nécessite un recueil de données, une analyse des besoins et des souhaits de la personnes soignée. Faut-il mettre une protection à telle personne ? À quel moment ? Peut-être a-t-elle juste besoin d’être accompagnée aux WC ? Le rôle de l’encadrement est essentiel : lors des transmissions, le problème de l’incontinence de Mme X devrait être le problème de toute l’équipe, y compris le médecin, et l’occasion d’analyser les pratiques et de réfléchir à l’organisation des soins. C’est la prise en charge personnalisée qui est gratifiante. Les personnes ne peuvent pas toujours exprimer leur satisfaction, alors ce sont les familles et l’encadrement qui constatent que le travail est bien fait. Il faut aussi souligner que la recherche - notamment en soins infirmiers - permet de valoriser la prise en charge en montrant que l’incontinence urinaire est un sujet digne d’intérêt. Enfin, il faut une réelle volonté politique pour que les établissements aient les moyens de prendre en charge correctement les patients, dans le respect de l’intimité qui leur est dûe.