L'infirmière Magazine n° 395 du 01/07/2018

 

INTERVIEW : Joël Deumier, président de SOS Homophobie

DOSSIER

A. V.  

Le nombre d’actes à caractère homophobe et transphobe a encore augmenté en 2017 : tel est le constat dressé par l’association SOS Homophobie dans son 22e rapport annuel, publié le 17 mai dernier à l’occasion de la Journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Quel constat dressez-vous en matière de discrimination anti-LGBTI dans le secteur de la santé ?

JOËL DEUMIER : Le nombre d’actes d’homophobie et de transphobie signalés dans le secteur de la santé ne diminue pas (24 en 2017 contre 23 en 2016). Contrairement aux années précédentes, les témoignages en 2017 concernent surtout (à hauteur de 42 %) les personnes trans. On remarque aussi le faible nombre de témoignages dans le champ de la santé. Une véritable loi du silence persiste et la santé est un secteur où les victimes de LGBTI-phobies n’osent pas encore témoigner, où la parole n’est pas encore libérée.

L’I. M. : Diriez-vous que la santé est plus discriminante qu’un autre secteur professionnel ?

J. D. : Les LGBTI-phobies sont présentes dans tous les secteurs professionnels. Travailler sans cacher son orientation sexuelle ou son identité de genre à ses collègues de travail est un vrai enjeu, et les LGBTI-phobies dans le milieu professionnel persistent selon notre dernier rapport. Dans la santé, les LGBTI-phobies se manifestent dans les relations entre professionnels de santé (insultes, discrimination, dénigrement, rejet, etc.), mais aussi entre patient et professionnel de santé. Les décideurs et les personnes qui occupent des responsabilités dans le domaine de la santé sont majoritairement des hommes. L’ancrage d’une culture patriarcale et hétéro-centrée est une des causes de la persistance des manifestations de LGBTI-phobies mais aussi de sexisme. La spécificité des LGBTI-phobies vécues par un patient dans sa relation avec un professionnel de santé est que les préjugés et les stéréotypes sur l’homosexualité peuvent avoir des conséquences graves. Par exemple, un gynécologue qui considère qu’une femme lesbienne n’a pas à être auscultée parce que la sexualité entre femmes ne l’exige pas, est une réaction courante. La méconnaissance de la santé des lesbiennes par les professionnels de santé a des conséquences sérieuses.

L’I. M. : Dans votre rapport, Aurélien Beaucamp, président de l’association Aides, assure que les personnes LGBTI sont davantage en mauvaise santé que le reste de la population du fait des discriminations qu’elles subissent. Partagez-vous son analyse ?

J. D. : Tout à fait, la méconnaissance et le manque de formation des soignants aux problématiques de santé des personnes LGBTI peut être à l’origine de pathologies non détectées ou non prises en charge. Aussi, la persistance des LGBTI-phobies fait que les personnes LGBTI cachent leur orientation sexuelle ou leur identité de genre aux professionnels de santé. Ce qui contribue à une moins bonne prise en charge de ces patients par la médecine française.

L’I. M. : Pourquoi y a-t-il si peu de plaintes ?

J. D. : Dans la santé comme dans d’autres domaines, les victimes de LGBTI-phobie relativisent les violences dont elles sont l’objet. Ainsi, elles portent peu plainte ou n’osent pas franchir le cap d’en parler à leur entourage. La santé des personnes relève de la vie privée et il ne faut pas sous-estimer le fait qu’il est encore extrêmement difficile de parler librement des discriminations LGBTI-phobes.

L’I. M. : Comment lutter contre les LGBTI-phobies dans la santé ?

J. D. : Nous préconisons une meilleure formation initiale et continue des professionnels de santé aux spécificités des personnes LGBTI. Le manque d’information est à l’origine de nombreux phénomènes d’homophobie et de transphobie. On craint et on fuit ce que l’on ne connaît pas. Par conséquent, tout se passe au stade de la formation. Par ailleurs, initier une campagne de sensibilisation grand public pour parler des effets de l’homophobie dans la santé permettrait aux victimes de mieux identifier les violences dont elles peuvent être l’objet, tout en informant les professionnels des risques de discrimination dont ils peuvent être à l’origine. Enfin, les ordres et organisations professionnels de chaque métier de la santé devraient diffuser des bonnes pratiques (Comment s’adresser à une personne trans ? Comment aborder un patient sans être dans le jugement ? Comment avoir une approche la plus inclusive possible ?).