Le gouvernement a promis que l’ouverture de la procréation médicalement assistée aux couples de femmes et aux femmes célibataires serait au programme de la révision des lois de bioéthique, prévue cet automne. Une question qui divise.
« L’insémination ne nécessite pas d’intervention médicale »
Cela constituerait une avancée dans des pratiques qui sont déjà, en l’état, critiquables. Ce qui me gêne le plus, c’est la perte d’autonomie : que des gens se fassent prendre en charge quand ils peuvent se débrouiller tout seuls ! À l’origine, l’assistance médicale à la procréation (AMP) était destinée aux couples hétérosexuels qui ne peuvent procréer ou qui présentent un problème génétique. Or, d’un point de vue biologique, les lesbiennes ne sont pas stériles, et l’insémination est un acte très simple qui ne nécessite pas forcément d’intervention médicale. Les Américaines la pratiquent d’ailleurs seules depuis les années 1960.
Par ailleurs, les banques du sperme connaissent déjà une pénurie et ce problème risque de s’aggraver avec l’augmentation prévisible de la demande si la loi est modifiée. Si elle prévoit, par exemple, de lever l’anonymat des donneurs(1), leur nombre pourrait considérablement refluer, même si ce n’est pas certain à terme.
Il y a d’abord le problème de l’anonymat du géniteur. Sous pression, les centres d’étude et de conservation des œufs et du sperme (Cecos) n’accepteraient de communiquer que des données non identifiantes. Ainsi, beaucoup d’enfants souffrent de ne pas connaître leurs racines génétiques… Ensuite, les règles régissant les banques du sperme introduisent une forme d’eugénisme. Les Cecos étant les seuls à connaître l’identité du donneur, ils sont, en quelque sorte, “responsables” d’éventuels problèmes concernant l’enfant. Ils se fixent donc des règles qui ne sont pas claires… On sait, par exemple, qu’il doit ressembler au “père social” de l’enfant : même taille, même couleur de peau… Il y a aussi des critères sanitaires. Or, on dispose de plus en plus de données génétiques relatives à de possibles maladies : qui sait comment elles peuvent être utilisées ? Contrairement à la fécondation in vitro, très contrôlée par la loi, les Cecos sont seuls maîtres en la matière. Il me paraît donc abusif d’étendre l’insémination avec donneur avant d’avoir défini un meilleur encadrement de cette pratique.
Il y a, en effet, un risque de dérive commerciale concernant les gamètes et embryons. Certains évoquent déjà une rétribution des donneurs, comme cela se fait dans certains pays. C’est très grave : envisagerait-on ensuite de payer les donneurs de sang ou d’organes ? Cela remet en cause toute notre éthique !
Ce n’est pas l’essentiel du problème mais en effet, une PMA coûte environ la moitié du prix d’une FIV, soit 2 000 à 3 000 €, et comme elle ne fonctionne qu’une fois sur dix, « produire » un enfant revient aussi cher avec les deux techniques. L’ouverture de la PMA ferait augmenter les demandes de plus ou moins 10 %, sachant qu’on pratique environ 140 000 AMP par an en France. Même s’il est possible que ces actes ne soient pas pris en charge dans un premier temps, cela finira par arriver. Or, pourquoi payer alors que ces personnes pourraient régler elles-mêmes leur problème ?
« La France doit aujourd’hui rattraper son retard »
Cela me semble souhaitable. C’est déjà le cas dans de nombreux pays : la France doit rattraper son retard ! L’opposition à cette ouverture est souvent théorique, car la majorité pense que pour faire un enfant, il faut un papa et une maman. Mais les études sur les enfants par des couples de lesbiennes montrent que leur développement est harmonieux. On a plus de vingt ans de recul et une trentaine de travaux sur le sujet. Pour les femmes célibataires, c’est plus ambivalent. Elles sont souvent issues d’un milieu socio-économique défavorisé, ont été abandonnées par leur père… Un entretien psychologique préalable à la PMA permettrait de détecter les femmes « à risque ».
Chez les enfants de lesbiennes, il y a certes une curiosité vis-à-vis du père, mais rien de vital pour leur évolution. Je suis néanmoins favorable à la levée de l’anonymat du don de gamètes. Il faut d’abord inscrire l’ouverture de la PMA dans la loi, puis en discuter les conditions d’application : il n’est pas question de la pratiquer sur n’importe qui, n’importe comment ! Comme toute méthode d’AMP, ce sera très encadré. Lorsque le diagnostic préimplantatoire est arrivé au Royaume-Uni en 1992, il y a eu des levées de boucliers en France. On a dit que s’il était autorisé en France, les couples hétérosexuels arrêteraient de procréer naturellement pour pratiquer des FIV et avoir des enfants parfaits. Vingt-cinq ans après, on ne choisit toujours pas le sexe de son enfant par convenance, ce qui prouve qu’il est possible d’encadrer le risque de dérive.
Les couples de femmes seront peut-être actifs pour recruter des donneurs. On peut aussi réfléchir à des partenariats avec des banques du sperme de pays respectant une éthique. Par exemple, la Belgique et le Danemark sont prolifiques. Ensuite, la rémunération des donneurs ne me paraît pas si choquante, dans la mesure où la rétribution ne dépend pas de critères tels que le physique ou le niveau d’études.
Le coût ne peut pas être un argument contre l’ouverture de la PMA. Mais c’est une vraie question : la Sécurité sociale doit-elle rembourser ce qui ne semble pas une pathologie médicale ? Je répondrai que c’est déjà le cas, avec la chirurgie de la myopie par exemple, ou des traitements administrés à des personnes mourantes. En outre, puisqu’à l’heure actuelle, certaines femmes se rendent à l’étranger, où elles ne sont pas toujours bien traitées, j’estime que les aider à pratiquer des PMA en France, dans de bonnes conditions, correspond à un véritable service médical rendu. Il y aurait une façon astucieuse de régler la question du coût : en assortissant le remboursement à des conditions de ressources, pour tous. Enfin, il faudra prévoir des moyens humains supplémentaires dans les établissements et dans les Cecos. Mais on ne sait pas de combien la demande va augmenter, si elle affluera dans le public et le privé… Il est donc difficile d’anticiper sur ce point.
1- Une demande portée par des personnes nées de dons de sperme.
Pionnier de la procréation assistée, directeur de recherche honoraire à l’Inserm ET président de l’association Sciences citoyennes
→ 1972 : obtient la première vache mère porteuse
→ 1982 : naissance d’Amandine, premier bébé éprouvette français
→ 1994 : premier bébé né par injection intra-cytoplasmique du spermatozoïde
→ 2018 : publie, avec Agnès Rousseaux, Au péril de l’humain, les promesses suicidaires des transhumanistes (Éd. Seuil)
gynécologue-obstétricien, spécialiste de la reproduction
→ 1992 : commence à pratiquer des fécondations in vitro.
→ 2002 : dirige le centre d’aide médicale à la procréation (AMP) de l’hôpital Cochin, à Paris. Il rejoint, en 2006, la clinique de La Muette, puis le centre d’AMP de la clinique Pierre-Cherest, à Neuilly-sur-Seine.
→ 2018 : publie Pour la PMA (Éd. J.-C. Lattès).
→ Les États généraux de la bioéthique, organisés sur le thème « Quel monde voulons-nous pour demain ? », se sont achevés le 30 avril. Parmi les onze points, celui qui a le plus mobilisé le public est la PMA. D’après le Comité consultatif national d’éthique (CCNE), le sujet « PMA et société » a, à lui seul, suscité la moitié des 30 000 contributions. En France, l’AMP « a pour objet de remédier à l’infertilité d’un couple ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité. Le caractère pathologique de l’infertilité doit être médicalement diagnostiqué », note le code de la santé publique. Elle est donc à ce jour réservée aux couples hétérosexuels infertiles.
→ En juin 2017, le CCNE s’est dit en faveur de l’ouverture de la PMA aux couples lesbiens et femmes célibataires. La ministre de la Santé et la secrétaire d’État à l’Égalité entre les femmes et les hommes ont annoncé que la question serait abordée lors de la révision des lois de bioéthique, cet automne.