L’infirmier salarié d’un prestataire de santé à domicile (PSAD) est l’interface entre différents acteurs de la santé. Ses missions, tantôt liées au soin, tantôt tournées vers le commercial ou la logistique, font primer le relationnel et l’autonomie.
Vous démarrez le matin sans jamais savoir de quoi votre journée sera faite, explique Anthony Marionnet, infirmier coordinateur chez Nestlé Homecare (NHC). Il peut y avoir des rendez-vous avec le médecin prescripteur pour faire le point sur la situation d’un patient, des déplacements au domicile, le démarchage de nouveaux prescripteurs, toute la partie administrative, la gestion de la logistique pour la livraison des dispositifs médicaux, la gestion des urgences… » Ce quotidien détonnant est celui des infirmiers employés par des prestataires de santé à domicile (PSAD). Des professionnels qui demeurent des soignants, même s’ils n’en pratiquent plus les gestes techniques.
L’infirmier conseil, parfois également appelé infirmier de suivi, intervient auprès du patient pour l’informer et le former au dispositif médical dont il est/sera équipé suivant sa pathologie : pompe à insuline, oxygénothérapie, perfusion, etc. (lire encadré p. 58). Il fait livrer ou livre lui-même l’équipement prescrit par le médecin, recherche une pharmacie approvisionnée en consommables et un infirmier libéral disponible pour les soins. Il assure le suivi du matériel et son bon fonctionnement, l’approvisionnement en consommables et accessoires, rédige des rapports qui sont remontés au médecin prescripteur. Il applique également les procédures de pharmacovigilance. Au besoin, il forme les intervenants libéraux à l’usage du matériel mis à disposition. La fonction est souvent couplée avec le rôle commercial, selon l’organisation interne des entreprises. Le poste est alors plutôt qualifié de conseiller médico-technique voire d’infirmier coordinateur. « C’est ce panel de missions qui m’a convaincu », explique Julien Picard, qui a été débauché de son poste d’Idec en Ehpad, il y a un an, par un cabinet de recrutement. « J’étais également intéressé par tout le relationnel à développer avec les prescripteurs. » L’infirmier coordinateur est en effet à l’interface entre le prescripteur, le service que certains fréquentent pour y rencontrer le patient avant sa sortie et lui apporter les informations nécessaires au bon usage du dispositif, l’infirmier libéral et le patient.
Côté patient, il faut évidemment avoir fait le deuil du soin “direct”. « Tout se passe ensuite dans le dialogue avec lui ou ses proches, c’est autre chose », reconnaît Anthony Marionnet, dans la prestation depuis cinq ans. Lorsqu’il a postulé, d’abord chez Homeperf, puis chez NHC, cet infirmier en neurochirurgie pédiatrique venait de déménager à Dijon et n’avait pas trouvé de propositions intéressantes dans la fonction publique. Il a d’abord été attiré par « le côté éducatif, la transmission, le rapport différent au patient et l’autonomie du poste ». En fonction des entreprises, les infirmiers coordinateurs sont en effet libres d’organiser leur journée, entre urgences et planning. D’autres voient les rendez-vous gérés par l’intermédiaire d’une centrale. « Mais on s’organise pour réserver toujours des plages libres dans la journée car nous savons que nous aurons à gérer des imprévus ou des urgences », explique Anthony Marionnet.
Chez TCM Pharma, en région parisienne, Julien Picard évolue dans une petite structure (moins de dix salariés), où il est déjà très autonome. « À mon arrivée, j’ai eu une petite formation en interne sur le matériel, même si j’ai été Idel et que je connaissais bien la manipulation des différentes pompes à insuline. » Pas de session de formation réelle pour le côté commercial : « Mon patron m’a donné les quelques tuyaux de la relation avec les prescripteurs. J’ai un relationnel assez facile, je suis dans la même tranche d’âge que les internes qui sont désormais devenus PH, ce qui facilite beaucoup les échanges. »
Julien décrit la relation avec les prescripteurs comme un partenariat et un lien de confiance qu’il faut entretenir au travers d’échanges fréquents, de retours d’informations sur ce qui se passe au domicile. « Mais bien sûr, dans ce métier, on vend du soin, alors que notre formation nous a appris à être soignant », précise-t-il. Une révolution pour ceux qui ont choisi de travailler chez un PSAD ? « C’est un changement de posture évidemment, poursuit Julien. Mais les arguments que nous utilisons pour convaincre le prescripteur reposent surtout sur la qualité du suivi proposé, l’expérience dont nous pouvons témoigner et la qualité de la relation nouée avec le médecin. »
Gautier Dumont, qui a exercé deux ans dans deux entreprises différentes, était également intéressé par la polyvalence et « l’autonomie, que l’on retrouve peut-être davantage dans une petite structure. Quand on monte en puissance et que l’on augmente le nombre de patients suivis, il est difficile de demeurer sur tous les fronts à la fois », observe-t-il. Après son premier poste, il s’est en effet laissé séduire par un plus gros groupe. « Là, les infirmiers n’ont pas le contact commercial, ce que dans le métier, on appelle le “contact prescripteur”, explique-t-il. En conséquence, il y a d’un côté, des délégués commerciaux (qui sont aussi parfois infirmiers de formation) qui vendent une prestation, et de l’autre, des opérationnels qui la réalisent et peuvent avoir du mal à suivre le rythme. » Si une file active de 40 patients semble raisonnable pour un accompagnement de qualité, certains infirmiers auront jusqu’à 70 suivis à assurer…
Surtout, Gautier Dumont a été choqué par certaines pratiques. « Par exemple, inciter le prescripteur à faire administrer un antibiotique par diffusion (ce qui nécessite l’intervention du prestataire), plutôt qu’en injection intramusculaire (où le recours à un Idel suffit). Au lieu d’une injection qui prend une à deux minutes, la diffusion en prend une trentaine, ce qui est beaucoup plus désagréable pour le patient. » Il s’agit, selon lui, d’une dérive éthique parmi d’autres. « Quand une perfusion de nutrition parentérale est posée, la première injection doit être réalisée à l’hôpital, c’est une obligation légale, poursuit-il. Parfois, pourtant, le prescripteur impose de le faire à domicile, où c’est l’Idel qui fera le geste sans pouvoir rester pour la surveillance. La soupape de sécurité est alors shuntée. » L’infirmier doit évidemment rappeler la position éthique. Chez les prestataires, tous sont d’ailleurs censés être inscrits à l’Ordre infirmier et respecter le code de déontologie de la profession.
Enfin, certaines organisations professionnelles représentatives du secteur ont élaboré une charte éthique(1) et d’autres ont développé un code des bonnes pratiques, parmi lesquelles le respect du patient apparaît en première ligne. « Le problème, c’est que dans un secteur de plus en plus concurrentiel, si un prestataire dit “non” au prescripteur, un autre dira peut-être “oui” », s’inquiète Gautier Dumont. Des situations qui seraient moins fréquentes lorsque l’infirmier gère le contact prescripteur et l’aspect opérationnel. « Nous pouvons anticiper, si la sortie nous apparaît trop précipitée, argumenter que le patient sera inquiet, que cela générera un stress et un vécu désagréable (qui peut aller jusqu’à provoquer des réhospitalisations) et convaincre le médecin prescripteur. Après tout, notre objectif professionnel à tous deux, c’est la qualité du soin. »
Quoi qu’il en soit, Gautier, lui, a préféré quitter le secteur de la PSAD pour celui de la santé au travail. Un poste aux horaires qui cadrent mieux avec une vie de jeune parent. « Il est vrai que si vous avez besoin d’un poste de confort, il ne faut pas penser à la PSAD, confie Anthony Sylvain, responsable national du réseau diabète chez NHC. Le 9 h-17 h, chez nous, cela n’existe pas. Moi, je tourne à 70 h par semaine et certains de mes infirmiers sont à 45 h. Les valeurs de la société, c’est le dépassement de soi, la culture de l’objectif, tout en conservant le patient au cœur de notre activité », résume Anthony Sylvain.
Même si les infirmiers coordinateurs peuvent compenser grâce aux RTT, certains managers incitent régulièrement leurs infirmiers à lever le pied. « Il faut pouvoir garder de la ressource, car nous ne pouvons pas nous permettre d’arriver chez le prescripteur ou chez le patient exténué, énervé ou à bout de force », explique Anthony Marionnet. En outre, le développement de l’activité est tel - environ 7 % par an grâce au développement de l’ambulatoire et à la généralisation du soin à domicile - qu’il faut savoir signaler lorsque le besoin de recrutement se fait sentir.
Des postes exigeants donc, sur le plan des horaires. Mais aussi beaucoup de temps passé en voiture. « Je fais entre 50 000 et 70 000 kilomètres par an, estime Anthony Marionnet. Un aller-retour, suivant le secteur d’intervention, cela peut être 300 à 400 km en une journée. Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige. » Et une charge supplémentaire parfois, celle d’assurer les astreintes. Toujours rémunérées, celles-si s’organisent parfois sur le mode du volontariat. Mais chaque PSAD se doit d’avoir des professionnels disponibles pour enclencher une prise en charge à domicile pour un patient qui sortirait le week-end ou pour répondre aux professionnels ou aux Idel qui rencontrent des difficultés avec le matériel en soirée. « C’est très particulier, explique Anthony Marionnet. Il faut bien connaître son matériel. Si vous êtes réveillé par la sonnerie du téléphone à 2 h du matin parce que la pompe d’un patient bipe et qu’il ne sait pas pourquoi, il faut pouvoir réagir rapidement, se remémorer le modèle qui l’équipe, répondre à ses questions et régler la situation à distance. »
Le tout est compensé par une rémunération plus attrayante qu’à l’hôpital. Selon la convention collective(2) dont relève le secteur, un infirmier de suivi peut débuter à 1 800 € nets, et évoluer jusqu’à 2 200 / 2 300 € (davantage en région parisienne). Un cadre pourra atteindre 3 000 ou 3 200 € nets. À quoi s’ajoutent une voiture de fonction et des primes d’astreinte ou de résultat. « Et surtout, nous gagnons en possibilité d’évolution », observe Anthony Sylvain. Qu’il s’agisse de grimper dans la hiérarchie d’une grande entreprise, en devenant responsable de secteur, de prendre la tête d’un réseau de spécialité, de devenir formateur, voire d’accéder à des responsabilités d’envergure nationale. « Moi, j’ai pu progresser de manière très autodidacte, explique-t-il. Il y a également des possibilités de formation en interne. D’ailleurs, tous mes directeurs de zone bénéficient désormais d’une formation au management de huit jours. Mais nul besoin de reprendre des études pour évoluer. » La qualité de la relation avec les différents acteurs du soin apparaît également comme un facteur potentiellement valorisant. « J’ai trouvé dans la relation avec les prescripteurs un dialogue d’égal à égal qu’on ne peut jamais avoir quand on est au cœur de la hiérarchie hospitalière », observe ainsi Anthony Marionnet. Au point même pour certains de prolonger le travail en participant à des projets de service. « Moi qui possède une licence en arts plastiques, je me suis engagé avec une collègue sur une activité artistique le samedi matin en pédiatrie », poursuit Anthony Marionnet. Anthony Sylvain, lui, développe actuellement un outil éducatif pour « apprendre ce qu’est le diabète aux enfants ».
À leurs collègues IDE qui voudraient se lancer dans l’aventure, ils n’hésitent pas à prodiguer quelques conseils. Si la fonction n’est pas faite pour tous, elle est particulièrement peu recommandée aux jeunes diplômés : « Il faut savoir réagir vite si une urgence se présente, hiérarchiser, réorganiser son planning constamment », explique Anthony Marionnet. Pour Julien Picard, mieux vaut déjà posséder une expérience diversifiée : « L’expérience du libéral peut permettre de savoir démarcher des interlocuteurs, connaître les difficultés de cotation qu’on retrouve parfois sur les prescriptions et aider le prescripteur à comprendre ce qui est réalisable ou non au domicile. Une expérience en formation est utile pour intervenir dans les service ou expliquer les choses au patient. » Enfin, conseil ultime d’Anthony Marionnet, si la perspective vous tente : « Parlez-en avec des infirmiers en poste chez différents prestataires pour bien connaître l’organisation interne de l’activité, savoir quelle est la file active par infirmier conseil. » Des statuts différents peuvent être proposés aux salariés (agent de maîtrise ou cadre, rémunération au forfait jour ou horaire), qui ont une influence sur l’autonomie, le temps de repos, la rémunération des heures supplémentaires, le taux de cotisations salariales, etc. « Mais au final, ce qui comptera le plus, c’est votre envie de rejoindre l’entreprise », conclut Anthony Sylvain.
1- Charte de la Fédération française des associations et amicales de malades insuffisants ou handicapés respiratoires (FFAAIR). Liste des signataires sur : www.ffaair.org
2- La convention collective de la branche négoce et prestations de services dans les domaines médico-techniques. Des associations relèvent également de la convention Fehap (Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne).
→ Officiellement, aucune formation supplémentaire n’est exigée pour postuler auprès d’un prestataire de santé à domicile (PSAD). Cependant, chefs d’entreprise comme responsables managériaux reconnaissent que, lorsqu’il y a pléthore de candidats, certains diplômes représentent un plus non négligeable. « Un DU en éducation thérapeutique est un plus », observe Anne Pfeifer, responsable régionale prestation chez Vitalaire. Chez Nestlé Homecare (NHC), qui emploie 120 infirmiers, et historiquement particulièrement plus implanté auprès de services suivant des enfants, tout DU touchant à la pédiatrie est également intéressant. « Cela peut compenser certaines compétences que l’hôpital n’a pas ou n’a pas le temps de mettre en œuvre », observe Pierre Bourcier, directeur général de NHC.
Le secteur des prestataires de santé à domicile (PSAD) représente actuellement entre 1 000 et 1 500 entreprises. Un chiffre difficile à estimer en raison des fusions et regroupements permanents. « Les pouvoirs publics les poussent à se regrouper car les grosses structures encaissent plus facilement les baisses de tarif, observe Julien Slama, délégué général adjoint de la Fedepsad, (Fédération des prestataires de santé à domicile). Et aujourd’hui, les 100 plus gros acteurs représentent environ 90 % du marché. » Ils accompagnent 1,2 million de patients chaque année, dont 500 000 patients souffrant d’apnée du sommeil, 300 000 personnes âgées dépendantes, 150 000 personnes handicapées et 100 000 insuffisants respiratoires. L’emploi d’infirmiers y est obligatoire depuis 2006 pour les activités concernant le diabète et la nutrition parentérale. Mais les IDE interviennent également pour la mise en place de soins à domicile nécessitant perfusions, nutrition entérale, assistance respiratoire. Le secteur emploie quelque 20 000 salariés parmi lesquels 4 000 professionnels de santé. « Deux tiers seraient des infirmiers », d’après Julien Slama. Les autres sont pharmaciens, diététiciens, voire médecins. En dehors du secteur lucratif, une centaine de prestataires de santé à domicile sont des associations. Les structures sont de taille variable, certaines n’intervenant que sur un périmètre géographique très restreint. Et il s’en crée encore régulièrement.