FORMATION
L’ESSENTIEL
Claire Manicot* PR François Haab**
*chirurgien urologue à Paris
Longtemps peu abordée par le monde médical, l’incontinence urinaire, qui touche près de 20 % des femmes tous âges confondus, n’est plus une fatalité liée au vieillissement, grâce aux techniques modernes d’investigation et aux nouvelles thérapeutiques.
L’incontinence urinaire est définie, selon l’International Consultation on Incontinence (ICI), par « toute perte involontaire d’urine dont se plaint le patient » entraînant une gêne sociale, médicale ou d’hygiène. C’est un symptôme marqueur de dépendance et de fragilité, son incidence augmente lorsque plusieurs pathologies sont associées.
On distingue généralement trois types d’incontinence.
→ L’incontinence urinaire d’effort est caractérisée par une fuite involontaire d’urine, non précédée d’une sensation de besoin d’uriner, et qui survient à l’occasion d’une élévation de la pression abdominale comme lors d’une toux, d’un rire, d’un éternuement, d’une course, d’un soulèvement de charge, d’une activité physique, voire au moindre effort.
Les mécanismes physiopathologiques sont multiples et restent mal connus. L’incontinence serait liée le plus souvent à une hypermobilité de l’urètre en raison d’un relâchement des tissus qui le soutiennent et, parfois, à une insuffisance sphinctérienne. L’incontinence d’effort est la plus fréquente chez la femme de moins de 60 ans. Elle est liée en particulier aux accouchements, mais aussi aux efforts chroniques et répétés (constipation chronique, profession physique, pratique sportive intensive). Enfin, le tabagisme chronique, de même que la surcharge pondérale, sont deux facteurs de risque établis.
→ L’incontinence urinaire par hyperactivité vésicale, dite également « par urgenturie » ou « par impériosité », est caractérisée par une perte involontaire d’urine, précédée par un besoin urgent et brutal d’uriner, impossible à différer, aboutissant à une miction qui ne peut être contrôlée. Elle est souvent associée à une pollakiurie ou une nycturie (être réveillé la nuit par l’envie d’uriner). Elle est due à une hyperactivité vésicale qui envoie des signaux de miction urgente alors que la vessie n’est pas complètement pleine. Cette instabilité vésicale peut être liée à une cause urologique (cystite, calcul), à la prise de certains médicaments, à une pathologie neurologique (voir tableau ci-dessous). La recherche d’une cause est d’autant plus importante que les symptômes se seront installés de manière brutale ou rapidement progressive.
→ L’incontinence urinaire mixte est l’association chez un même individu d’une incontinence urinaire d’effort et d’une hyperactivité vésicale, avec une prédominance de l’un des deux facteurs.
Le nombre de femmes incontinentes en France a pu être estimé en 2010 par tranches d’âges grâce à des données extraites de deux études différentes (voir schéma ci-dessous). L’enquête Fécond, réalisée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et l’Institut national d’études démographiques (Ined) afin d’analyser les enjeux en santé sexuelle et reproductive, a été conduite auprès de 5 275 femmes âgées de 15 à 49 ans.
Le Baromètre santé, réalisé par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES), a recueilli des données auprès de 3 432 femmes âgées de 40 à 85 ans. Il en résulte que la prévalence de l’incontinence urinaire passe de 9 % chez les 15-19 ans à 37 % chez les plus de 80 ans.
De manière globale, en croisant ces données à celles de l’Insee(1), la prévalence de l’incontinence urinaire chez les 15-85 ans est estimée à 20 %, ce qui correspond à 5,5 millions de femmes en France. Résultat : une femme sur cinq âgée de 15 à 85 ans aurait des fuites urinaires.
Les principaux facteurs de risque d’une incontinence urinaire sont :
- l’âge ;
- la grossesse ;
- l’accouchement par voie vaginale, en particulier celui du premier enfant, les traumatismes obstétricaux (forceps, épisiotomie) et le gros poids de l’enfant ;
- les antécédents de chirurgie pelvienne ;
- l’obésité ;
- l’activité physique intense ;
- l’énurésie dans l’enfance.
Enfin, certains facteurs sont considérés comme aggravants : infections basses à répétition, vaginite atrophique, constipation, fécalome, diabète, œdèmes, bronchite chronique, maladies neurologiques, réduction de la mobilité, troubles cognitifs, altération de l’état général, consommation de caféine, d’alcool, prise de certains médicaments (alphabloquants, antalgiques opiacés, anti-épileptiques, certains anti-hypertenseurs, H2 antagonistes, diurétiques, inhibiteurs calciques, inhibiteurs de l’enzyme de conversion (IEC), benzodiazépines, neuroleptiques).
Le diagnostic et l’évaluation de l’incontinence s’appuient sur un interrogatoire, des questionnaires d’auto-évaluation, un catalogue mictionnel (lire p. 47), l’examen clinique, un bilan urodynamique et des explorations.
La patiente est installée sur une table d’examen, en position gynécologique. Elle sera examinée idéalement à vessie pleine et à vessie vide, en position couchée et, si besoin, en position debout, et fera l’objet de plusieurs tests.
→ Le test à la toux consiste à demander à la patiente de tousser tout en recherchant l’apparition de fuites au méat urétral, ce qui évoque une incontinence urinaire à l’effort.
→ L’évaluation de la mobilité cervico-urétrale se fait lors d’un effort de poussée abdominale.
→ La recherche d’un prolapsus génital sera réalisée lors d’efforts de poussée successifs en position allongée puis debout.
→ Des symptômes associés (douleurs, troubles sexuels) seront recherchés.
→ Le testing périnéal a pour objectif de tester la contraction des muscles du plancher pelvien.
→ Recherche d’une infection urinaire : un test à la bandelette urinaire sera effectué en cas de soupçon d’infection urinaire et en cas de symptôme récent d’hyperactivité vésicale.
→ Le bladder scanner permet de pratiquer une échographie de la vessie et d’évaluer le résidu post-mictionnel.
→ Le bilan uro-dynamique est envisagé en cas de difficulté diagnostique, de soupçon de pathologie neurologique, en cas d’échec des traitements de première ligne ou en vue d’un recours à la chirurgie.
→ L’exploration uro-dynamique comprend la mesure du débit urinaire, une cystomanométrie (enregistrement des pressions vésicales lors des phases de remplissage et de miction de la vessie), une sphinctérométrie/profilométrie urétrale (mesure de la pression urétrale tout au long de l’urètre).
→ La rééducation périnéale est le traitement de première intention, quel que soit le type d’incontinence urinaire. Elle est pratiquée par un kinésithérapeute ou une sage-femme selon les cas. Il existe plusieurs techniques : exercices par contraction volontaire des muscles du plancher pelvien, électrostimulation, biofeedback.
→ Les bandelettes sous-urétrales. Dans l’incontinence d’effort ou l’incontinence mixte prédominant à l’effort, en cas d’échec de la rééducation périnéale, la mise en place de bandelettes sous-urétrales constituées de polypropylène monofilament tricoté est le traitement de référence. Elles sont placées par voie rétropubienne ou transobturatrice. Les complications sont rares à type de douleurs, d’hématomes ou de troubles mictionnels. Le point le plus délicat est le réglage de la tension de la bandelette qui est effectué en per-opératoire.
→ Le sphincter artificiel est particulièrement indiqué dans l’incontinence sévère isolée en cas d’insuffisance sphinctérienne majeure. C’est un petit dispositif composé de trois éléments : une manchette occlusive placée autour du col vésical, reliée à un ballon régulateur de pression qui contrôle le niveau de pression, et une pompe placée entre les grandes lèvres que la patiente devra actionner pour ouvrir le sphincter au moment de la miction.
→ Les ballons péri-urétraux sont des prothèses en silicone implantées sous le col vésical, de chaque côté de l’urètre, qui assurent la compression de celui-ci. Le volume des ballons peut être ajusté si besoin, par injection transcutanée. Les complications assez fréquentes sont per-opératoires (perforation de la vessie) et post-opératoires (rétention d’urine, infection, migration des ballons…).
L’injection péri-urétrale d’agents de comblement peut être proposée aux femmes non éligibles à la chirurgie ou ne la souhaitant pas. L’injection de Bulkamid (hydrogel de polyacrylamide) a lieu sous contrôle endoscopique au niveau de l’urètre sous anesthésie locale et contrôle endoscopique.
Ils sont utilisés pour traiter l’incontinence de l’hyperactivité vésicale.
→ Les anticholinergiques antimuscariniques : oxybutynine, toltérodine, chlorure de trospium, solifénacine et fésotérodine sont les cinq médicaments utilisés en France pour traiter l’hyperactivité vésicale. Bien qu’appartenant à la même classe thérapeutique, toutes ces molécules restent très différentes. Elles sont contre-indiquées en cas d’allergie, de rétention chronique d’urine et de glaucome à angle fermé. Les effets indésirables les plus fréquents sont la sécheresse buccale, les effets secondaires digestifs (dysgueusie, constipation, nausées…), la sécheresse oculaire et les troubles cognitifs.
→ β3-agonistes : ils sont d’apparition récente. Une seule molécule, le mirabégron, est disponible sur le marché. L’intérêt principal est l’absence d’effets indésirables et donc une meilleure tolérance que les traitements anticholinergiques. Les seules contre- indications au traitement sont l’hypertension artérielle mal contrôlée et l’allergie.
→ L’œstrogénothérapie locale : les récepteurs aux œstrogènes sont exprimés au système nerveux central et auraient donc ainsi une action probable sur le contrôle de la miction. Leurs seuls effets indésirables sont les pertes vaginales.
La neuromodulation consiste à moduler la conduction nerveuse et, en particulier, le réflexe mictionnel. Il existe deux techniques de ce type.
→ La neuromodulation du sciatique poplité interne : le principe est de poser des électrodes sur une jambe du patient au niveau du trajet du nerf poplité interne. Des impulsions électriques seront envoyées via un boîtier externe une fois par jour (voir encadré p. 50) pendant vingt minutes.
→ La neuromodulation directe des racines sacrées : la stimulation est réalisée grâce à un boîtier, type pacemaker, placé en sous-cutané au niveau supérieur de la fesse et relié à une électrode placée au contact de de la racine sacrée. Les paramètres sont modifiables à l’aide d’une télécommande externe reliée à un ordinateur qui mémorise les données de chaque patient. Ce traitement est conservateur et réversible.
Les injections de toxine botulique (Botox) dans le détrusor sont une technique mini-invasive et bien tolérée le plus souvent, qui va entraîner une diminution de la contractilité de la vessie. Elles sont réalisées sous urétrocystoscopie et doivent être répétées tous les six à neuf mois car l’effet de toxine disparaît progressivement.
L’utilisation de pessaire ou d’autres dispositifs vaginaux peut être proposée, notamment en cas de prolapsus associé. Dans certains cas, l’apprentissage du sondage intermittent est une solution pour de nombreuses femmes qui retrouveront ainsi la maîtrise de leur fonction urinaire.
Les protections urinaires restent le dernier recours en cas de contre-indications aux autres traitements ou d’échec. La multiplicité des références (absorption, taille) permet d’offrir des modèles adaptés à toutes les situations. Ceci étant, l’autonomie du patient sera toujours recherchée en privilégiant la conduite aux WC.
1- Voir la thèse de doctorat en épidémiologie de Dina Bedretdinova, « Vers une modélisation de l’incontinence urinaire des femmes », Santé publique et épidémiologie, Université Paris-Saclay, novembre 2015.
1- « Accouchement normal : accompagnement de la physiologie et interventions médicales », Méthodes, recommandations pour la pratique clinique, argumentaire scientifique, HAS, décembre 2017. À consulter sur : bit.ly/2IiFw4u
2- Jiang H., Qian X., Carroli G., Garner P., « Selective versus routine use of episiotomy for vaginal birth », Cochrane Database of Systematic Reviews, 2017.
L’être humain rejette chaque jour un volume moyen de 1 300 mL d’urine, lors de cinq à huit mictions. Ce processus fait intervenir différents organes, dont voici le fonctionnement chez la femme.
L’ urine, élaborée au niveau des reins, est conduite par les uretères jusque dans la vessie, puis éliminée par l’urètre lors des mictions (voir schéma ci-contre).
La vessie
La vessie est un organe musculo-membraneux creux, composé d’une partie supérieure, le dôme vésical, et d’une partie inférieure, le col vésical. Le dôme vésical est un réservoir pouvant contenir jusqu’à 500 ml d’urines. Sa paroi externe est constituée d’un muscle puissant, le détrusor, qui, en se contractant, va permettre l’évacuation des urines, tel une chasse d’eau, à travers le col vésical et l’urètre.
L’urètre
Conduit de 4 cm environ, l’urètre traverse le périnée antérieur et débouche sur la vulve entre le clitoris et l’ouverture du vagin par le méat urinaire. Un système sphinctérien complexe contrôle l’ouverture de l’orifice de l’urètre. Il est composé :
→ d’un sphincter lisse (composé de fibres musculaires autonomes à commande involontaire), situé au niveau du col de la vessie et permettant la fermeture du col ;
→ d’un sphincter strié (composé de fibres musculaires à commande volontaire) formé de deux muscles. Les fibres du muscle urètro-vaginal entoure l’urètre sur sa partie distale puis s’insèrent sur la paroi vaginale. Les fibres du muscle compresseur de l’urètre sont tendues entre les branches ischio-pubiennes.
La miction
La fonction vésicale est contrôlée par l’interaction de phénomènes réflexes et d’une commande volontaire d’origine corticale. La miction est rendue possible par la contraction du muscle de la vessie simultanée au relâchement du sphincter. Elle est considérée comme normale lorsqu’elle est complète, sans urgence, volontaire, indolore et dure moins d’une minute. L’intervalle normal entre deux mictions est supérieur à deux heures, sans miction la nuit, ce qui signifie cinq à huit mictions par jour, selon la ration hydrique, avec un volume moyen de 250 ml et une diurèse totale de 1 300 ml.
Longtemps, inciser le périnée lors de l’accouchement a été une technique banale et fréquente en France. Or, une épisiotomie peut entraîner des douleurs intenses, des saignements, une infection, des douleurs lors de l’activité sexuelle et peut contribuer notamment à une incontinence urinaire. La raison invoquée était de faciliter les naissances et de prévenir les déchirures graves. Désormais, sur fond de mobilisation de féministes et d’émoi dans la presse, la HAS (Haute Autorité de santé) recommande de ne pas réaliser d’épisiotomie systématique dans sa publication de décembre 2017(1). Elle s’appuie sur des recommandations européennes et sur une publication(2) de la revue Cochrane, qui a évalué les résultats de douze études (sur 6 177 femmes). Les auteurs ont conclu « qu’une pratique systématique de l’épisiotomie n’est pas justifiée, étant donné le risque augmenté de traumatismes périnéaux et vaginaux ».