Le programme d’éducation thérapeutique Edu-Micilor du CHU de Nancy-Brabois (54), centre expert dans les Mici, a été mis sur pied en 2016 pour améliorer la prise en charge et la qualité de vie des patients. Il s’appuie sur une équipe pluridisciplinaire
Comme pour toutes les maladies chroniques, l’éducation thérapeutique (ETP) dans les Mici a pour objectif de renforcer la compréhension du patient de sa maladie et de son traitement. Elle vise également à étoffer les compétences du patient pour l’aider à mieux gérer la maladie au quotidien. Et être, in fine, acteur de sa maladie.
Le programme Edu-Micilor, au CHU de Nancy-Brabois, est assuré par une équipe pluridisciplinaire. Il regroupe des médecins, infirmières, patients ressources, diététiciennes et pharmaciens. Ce programme comporte plusieurs étapes, qui se déclinent en un parcours personnalisé qui prend en compte toutes les spécificités de la maladie, les conditions de vie du patient et chaque situation personnelle. Après avoir été informé de l’existence et de la possibilité d’intégrer le programme d’ETP, un consentement, écrit ou oral, est nécessaire pour que le patient signifie son adhésion.
Pour chaque patient, le programme d’ETP commence par un diagnostic éducatif. Il est effectué en entretien individuel par l’infirmière d’ETP après la consultation médicale ou lors d’un rendez vous planifié avec le patient. Cet entretien dure environ une heure. Le patient y exprime ses attentes, ses besoins, ainsi que ses projets. L’infirmière, elle, recueille des données sur lui : ces informations lui permettent d’identifier les problématiques principales du patient afin de cibler les ateliers qui lui seront le plus utile. Lors de cette séance, et grâce à un tableau thématique qu’elle remplit, l’infirmière fait le point avec le patient sur :
– son type de maladie et d’atteinte ;
– ses éventuelles pathologies associées ;
– les décisions thérapeutiques qui ont été prises, si tel est déjà le cas ;
– sa situation professionnelle ;
– sa situation familiale ;
– ses projets à court, moyen ou longs terme, qui pourraient éventuellement être remis en cause par sa situation de santé ;
– ses loisirs et passions ;
– sa consommation de tabac (particulièrement délétère dans la maladie de Crohn) ;
– ce qui le met en difficulté au quotidien.
Tous les malades peuvent suivre les ateliers d’ETP, même ceux qui ne sont pas suivis au CHU de Nancy-Brabois. Ils sont souvent orientés par leur médecin, mais peuvent aussi prendre connaissance de l’existence du programme par leur pharmacien d’officine, ou encore par l’intermédiaire des associations de patients. Les Mici chamboulent les vies de couple et les vies familiales : se rendre aux ateliers avec un proche (conjoint, parents…) est encouragé pour faciliter sa compréhension des nouvelles problématiques de santé de la personne atteinte. Le programme peut être intégré par les patients à partir de 18 ans. Sous cette limite d’âge, les enfants et adolescents sont invités à suivre, avec leurs parents, un programme adapté à leur âge et à leurs problématiques.
Edu-Micilor est structuré en cinq séances. Elles sont individuelles, sur une durée déterminée en fonction de chaque patient, ou collectives. L’équipe médicale souligne que les séances collectives peuvent apporter beaucoup aux participants, pour peu qu’ils soient partants. « Nous leur expliquons que cela marche bien et que cela va leur permettre de discuter avec d’autres malades », explique le Dr Camille Zallot, gastro-entérologue dans le service. « Certains patients ne sont pas intéressés ou ne souhaitent pas rencontrer de personnes atteintes de la même maladie qu’eux », précise Muriel Veltin, l’infirmière d’ETP.
À noter que des séances individuelles peuvent venir en complément des collectives si ces dernières n’ont pas bien répondu aux problèmes du malade. Les thématiques des séances d’ETP sont proposées à la suite du diagnostic éducatif et sont donc variables d’une personne à l’autre, selon les compétences à acquérir. La chronologie des séances est établie avec le patient en fonction de ce même diagnostic éducatif. Les séances individuelles ou collectives suivantes ne sont par conséquent pas figées et peuvent être proposées dans un ordre aléatoire et dans des délais différents. Chaque atelier dure en moyenne entre une heure trente et deux heures, dans des groupes de moins de dix patients.
La séance est dirigée par le Dr Camille Zallot. « Durant ces ateliers, j’adapte vraiment mon discours, explique-t-elle. Je n’ai pas le temps de tout dire pendant la consultation où j’annonce le diagnostic. Ce n’est d’ailleurs pas le lieu pour le faire, sous peine de noyer les patients sous les informations et de les inquiéter. » En atelier, la gastro-entérologue aborde par exemple les manifestions extra-intestinales de la maladie, les objectifs du traitement, les signes d’alarmes à connaître (grosses douleurs abdominales, fièvre, amaigrissement majeur, signes de déshydratation…)
Le médecin gastro-entérologue et l’infirmière d’ETP animent cet atelier en binôme. Dans les Mici comme dans toutes les maladies chroniques, la fatigue est un des symptômes les plus fréquents, et probablement le plus difficile à traiter avec des moyens médicamenteux. Les principales causes de fatigue dans les Mici sont les carences martiales et le non-contrôle de l’inflammation. Les autres causes sont moins claires et plus difficiles à objectiver. L’atelier vise tout de même à explorer les différentes pistes pour essayer de gérer le problème. Dans la séance, les intervenantes invitent les malades à exprimer comment ils ressentent la fatigue et à identifier les causes qu’ils lui attribuent. Il leur est aussi demandé quel retentissement elle a sur leur vie quotidienne. « Cette séance, ce n’est pas un groupe de parole. Le but pour les patients est de trouver rapidement des solutions à mettre en place dans la vie de tous les jours », précise le Dr Camille Zallot. « Nous les incitons à chercher et nommer toutes les causes possibles de fatigue. Si elles ne sont pas toutes citées par les patients, nous en proposons d’autres : la maladie en tant que telle, les traitements, le stress et l’anxiété liés à la pathologie, par exemple, complète Muriel Veltin. Cela fait partie de la démarche pour questionner leur mode de vie et améliorer leur quotidien. »
La pharmacienne du service assure l’animation de cet atelier. C’est pour les patients l’occasion de mieux comprendre le fonctionnement des médicaments les plus récents, comme les biothérapies et les immunomodulateurs. Ils se sentent libres de poser toutes les questions qu’ils ont en tête. Des plus simples (« Comment sont fabriquées les biothérapies ? ») au plus angoissées (« J’ai essayé tellement de médicaments. Que faire si aucun ne marche et qu’il n’y en a plus à essayer ? Est-ce qu’il y a une graduation dans les traitements, et donc un traitement de la dernière chance ? ») Les craintes que peuvent inspirer les traitements aux malades de Mici sont abordées autour de la table.
Pour aider la prise de parole des participants, la pharmacienne s’appuie sur des outils de photolangage. Ils sont ainsi invités à piocher dans un vaste choix d’images symboles, et à choisir parmi elles celles qu’ils associent à la vision qu’ils ont de leurs médicaments. Ils peuvent par exemple sélectionner la carte “poison” s’ils ont le sentiment que leurs traitements leur “font plus de mal que de bien” ou bien celle du “voyage” s’ils ont l’impression, au contraire, qu’ils améliorent leur qualité de vie et que ça leur permet de faire plus de choses. « Dans ce même atelier, on cherche aussi à faire dire aux participants comment ils considèrent leur rectocolite hémorragique ou leur maladie de Crohn en tant que telle, ajoute Muriel Veltin. De manière négative (par exemple “ma maladie me limite”) mais aussi de manière positive (“Depuis que je suis malade, je relativise beaucoup plus les choses”, “Ma maladie me pousse à me dépasser au travail pour prouver que je suis aussi performante qu’une personne qui n’est pas malade”). Chacun parle de lui et donne son point de vue, ce qui amène la discussion. »
Cette thématique (lire p. 49) est abordée par une patiente experte de l’association François-Aupetit (AFA). Les Mici sont des maladies invalidantes qui peuvent beaucoup altérer la qualité de vie au quotidien. Cette partie du programme aborde la question du regard des autres et la façon de gérer la maladie dans le cercle privé et professionnel. Doivent-ils en parler à leurs collègues, leur employeur ? Les patients évoquent leur situation personnelle et expriment leurs doutes, surtout sur les décisions à prendre dans le monde du travail. La patiente experte les sensibilise à leurs droits et les oriente dans les possibilités administratives qu’ils ont à leur disposition. Pour illustrer son propos et rendre la séance participative, elle propose un quiz qui expose des situations fictives. Ce quiz évoque, par exemple, une situation problématique à laquelle est confronté un employé (ses symptômes l’empêchent de se rendre au travail alors qu’il a une réunion très importante le matin) et trois “solutions” sont proposées. Les participants sont invités à tour de rôle à dire ce qu’ils feraient à sa place et pourquoi. Une manière encore d’ouvrir le dialogue et d’entendre les autres.
Une diététicienne-nutritionniste intervient pour déjouer les idées reçues sur le lien entre alimentation et Mici. Elle écoute le ressenti des patients et leurs croyances, tout en les conseillant pour les protéger des carences et de la dénutrition. Indépendamment de ces cinq ateliers, tous les patients à qui l’on prescrit un traitement nécessitant une auto-injection (par exemple, le méthotrexate) sont reçus individuellement par l’infirmière d’ETP. Pendant l’entretien, elle leur donne les informations clés sur leur médicament (mode d’action, effets secondaires à surveiller, etc.) et leur délivre un enseignement pratique sur le geste d’auto-injection (lire encadré ci-dessus).
Au début de chaque séance d’ETP, un retour est fait sur la séance précédente afin de s’assurer des acquis et répondre aux questions qui subsistent à l’aide de la fiche de suivi du dossier d’ETP. À l’issue de toutes les séances d’ETP prévues, une synthèse est faite individuellement avec le patient, toujours avec l’infirmière d’ETP. « Je m’assure que ce qui devait être acquis l’a bien été. Que les objectifs que nous nous étions fixés ensemble ont été atteints », continue Muriel Veltin. Elle peut être amenée à lui proposer de nouvelles séances si elle sent que le patient peut en tirer un bénéfice. Le programme se veut en constante évolution pour répondre le mieux possible aux besoins des pa tients. « Nous aimerions prochainement monter un groupe sur l’activité physique adaptée », ajoute Muriel Veltin.
Pour les patients plus jeunes (moins de 18 ans), le CHU de Nancy-Brabois propose également de l’éducation thérapeutique adaptée à leur âge et à leurs particularités. Les parents tiennent un rôle d’accompagnement majeur. Lorsqu’ils arrivent à leur majorité, les jeunes patients atteints de Mici doivent quitter le service de pédiatrie qu’ils connaissent bien, avec un personnel auquel ils font confiance, pour aller consulter à l’hôpital d’adulte, dans un service plus anonyme et inconnu. Pour les jeunes comme pour les parents, cette transition demande des adaptations. Une fois par an, en juillet, l’hôpital leur offre la possibilité d’assister à un atelier pour préparer ce changement. Rencontre de la nouvelle équipe médicale, visite de nouveaux locaux… Tout est fait pour répondre à leurs questions et assurer un passage de relais en douceur.
Alexandra Can Psychologue clinicienne(1)
Y a-t-il assez de psychologues à l’hôpital pour soutenir les malades de Mici ?
Non, parce qu’il y a un manque criant de psychologues en gastro-entérologie. C’est un peu catastrophique. Le problème débute dès l’annonce : il n’y a pas de consultation d’annonce à proprement parler, alors que nous savons qu’elle revêt une importance capitale. Puis, dans le soin et l’observance. Quelques rares hôpitaux ont, dans leur service de gastro-entérologie, un psychologue de liaison.
Mais son temps de présence est extrêmement réduit. Il est là en moyenne un jour par semaine et s’occupe en priorité de pathologies plus lourdes, comme les cancers digestifs et les cirrhoses du foie. Les patients atteints de MICI doivent se tourner vers les centres médico-psychologiques et les consultations de ville.
Quel serait le rôle du psychologue dans l’éducation thérapeutique dans les Mici ?
Il devrait prendre part à l’ETP, mais les séances devraient rester individuelles. Je pense, par exemple, qu’il aurait toute sa place pour animer ou co-animer des séances sur la santé sexuelle, qu’on ne voit absolument nulle part. Même si c’est une thématique compliquée et taboue, les malades sauraient vers qui se tourner et pourraient enfin en parler.
Quels patients atteints de Mici gagneraient à bénéficier d’un suivi psychologique ?
Tous. La plupart d’entre eux sont fragilisés parce qu’ils souffrent depuis des mois, voire des années, en étant confrontés quelquefois à beaucoup d’incompréhension. De nombreuses personnes ne savent même pas qu’elles auraient besoin d’un psychologue, même ponctuellement. Consulter est particulièrement utile pour préparer les changements de vie induits par la maladie. Il s’agit d’accompagner ce qu’on appelle la « transition de rôle », d’une personne saine à une personne malade, et de l’aider à mieux appréhender sa maladie. Ce n’est pas du tout une psychothérapie, c’est une démarche beaucoup plus avancée, qui, elle, profite aux patients qui présentent des symptômes psychopathologiques comme une dépression, de l’anxiété et des phobies.
1- Alexandra Can est bénévole à l’association François-Aupetit (AFA). Elle répond par mail et téléphone aux malades et leurs familles quand ils se trouvent en difficulté psychologique. Elle assure par ce biais des consultations de soutien ponctuelles et oriente les malades, quand cela se justifie, vers un psychologue de ville ou une assistante sociale.
→ Les patients dans l’impossibilité de bénéficier d’éducation thérapeutique (ETP) peuvent se tourner vers la plate-forme Mici Connect, créée par l’association François-Aupetit (AFA). Dans un contexte d’inégalités géographiques d’accès à l’information, aux conseils et au soutien, elle apporte des informations validées et personnalisées et donne des clés pour améliorer le quotidien avec la maladie. Mici Connect est gratuite, compte plus de 3 600 inscrits et existe désormais sous forme d’application.
→ À partir des informations médicales et des préoccupations de l’utilisateur, Mici Connect propose un parcours personnalisé : des contenus d’actualité, des fiches pratiques sur les traitements, les départs en vacances, le tabac avec une Mici, les droits, la reconnaissance qualité de travailleur handicapé (RQTH), etc. Les patients peuvent trouver des vidéos explicatives qui traitent tous les sujets relatifs aux Mici, et des infographies sur la maladie.
→ Pour lutter contre l’isolement souvent engendré par les Mici, la plate-forme permet également à l’utilisateur d’échanger avec ses pairs et ses professionnels de santé, mais aussi de participer à des enquêtes visant à l’amélioration des parcours de soins en général par une meilleure connaissance sur le quotidien des malades.
→ Et début 2019, la plate-forme va innover et proposer des séances d’e-ETP. Les séances collectives se feront sous forme de webconférences et les séances individuelles par Skype, en direct avec l’intervenant thérapeutique. L’e-ETP permettra une plus grande flexibilité pour les patients qui ne peuvent (ou ne veulent) pas toujours se rendre à l’hôpital en plus de leurs rendez-vous médicaux.
Laure Hector, diététiciennenutritionniste en hépato-gastro-entérologie au CHU de Nancy-Brabois, est responsable de la séance collective « croyances alimentaires dans les Mici ». Elle reçoit aussi les patients individuellement : ils peuvent demander à la rencontrer par l’intermédiaire de l’infirmière d’éducation thérapeutique (ETP) ou après une prescription médicale si le médecin juge utile de faire un point sur leur alimentation.
« Le praticien peut craindre un risque de dénutrition ou de carence, explique la diététicienne. Quel que soit le contexte d’intervention, je suis là pour m’assurer que les personnes couvrent bien leurs besoins nutritionnels et gardent leur poids de forme. »
Quel régime ?
Les adaptations alimentaires nécessaires en cas de rectocolite hémorragique ou maladie de Crohn sont assez limitées. Mais les patients ont souvent de mauvaises habitudes et des idées reçues sur la nourriture. Beaucoup abusent notamment du régime sans résidu, pas toujours indiqué. Alors qu’auparavant, le recours à ce régime (qui a pour but de réduire le nombre de selles) était fréquent et se faisait sur des périodes plutôt longues, sa place dans les recommandations est désormais beaucoup plus réduite. « Nous le conseillons uniquement durant les poussées, pour certains patients qui souffrent de diarrhées et d’une inflammation sévère, et sur quelques jours seulement. Le temps que le transit se régule un peu, en parallèle du traitement de la poussée. Seul, le régime sans résidu a d’ailleurs assez peu d’efficacité. Dès que ça va mieux, on élargit assez rapidement le nombre d’aliments autorisés. Parce qu’on sait que si les patients se restreignent, si en plus ils ont un nombre important de selles, ils vont perdre du poids. Et c’est ensuite compliqué pour eux de retrouver leur poids de forme », continue la diététicienne.
Les malades peuvent aussi tenir d’autres régimes d’éviction (sans gluten, sans lactose) sans raison valable, persuadés qu’ils s’en trouvent améliorés. « Durant les ateliers collectifs ou individuels, nous les écoutons parler de leurs tentatives d’adaptation alimentaire. Mais nous sommes là pour les aider à faire la part des choses, les conseiller pour qu’ils tendent autant que possible, doucement, vers une alimentation normale, conclut Laure Hector. Et nous restons attentifs au risque de dénutrition, en trouvant pour eux des équivalents s’ils éliminent des aliments de leur assiette, et en donnant des conseils pour enrichir l’alimentation si nécessaire.