Informer, prévenir, dépister, orienter. Telles sont les tâches des IDE en Cegidd, dont le VIH, les IST, les hépatites et, plus largement, la santé sexuelle sont au cœur des missions. Un exercice qui exige de la technicité et, surtout, un bon relationnel.
Prise de risque sur le plan sexuel et crainte d’avoir été contaminé par le VIH ou d’avoir contracté toute autre IST ? Inquiétude après un contact avec du sang ? Besoin de conseils pour arrêter l’usage des préservatifs ou d’orientation après des violences sexuelles ? C’est à toutes ces problématiques que les équipes des centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic (Cegidd) des infections par le virus de l’immunodéficience humaine, des hépatites virales et des infections sexuellement transmissibles, ont vocation, depuis le 1er janvier 2016 (lire encadré p. 57), à apporter des réponses.
En leur sein, aux côtés de médecins généralistes ou de gynécologues, hépatologues, dermatologues… ou encore d’assistantes sociales, de conseillères conjugales, de sexologues et de psychologues, les infirmières jouent un rôle essentiel. Celui-ci se décline de façon très diversifiée, ces centres recevant un public de tous âges – même si les 15-30 ans sont très représentés – dont la demande est extrêmement variée. « Nous sommes confrontés à tous les types de situations : il peut aussi bien s’agir de personnes en panique après l’oubli ou la rupture d’un préservatif, de couples qui ne veulent plus en utiliser, de questions de relations extraconjugales, de jeunes en difficulté avec leur orientation sexuelle… Quant à l’âge, la palette est très large : nous avons ainsi traité pour une syphilis un octogénaire à la sexualité encore bien active », témoigne Céline Anastasi, infirmière en infectiologie à l’hôpital Sainte-Musse, à Toulon, qui assure des remplacements au Cegidd 83 installé dans ses locaux. En fait, résume Amandine Barbier, infirmière au Cegidd de l’hôpital de la Croix-Rousse, à Lyon, « même si nous effectuons des actes techniques (prises de sang, prélèvements, etc.), notre travail repose d’abord sur le relationnel ». Ce que confirme avec énergie sa collègue Céline Viollet, également infirmière, pour qui « c’est vraiment cela qui prime ».
À leur arrivée, les personnes, qui viennent d’ellesmêmes dans ces centres où l’anonymat peut être préservé, sont généralement accueillies par une secrétaire, qui les oriente selon les structures et/ou leurs besoins directement vers un médecin ou une infirmière. « Nous, nous recevons toutes les personnes pour un entretien individuel d’une dizaine de minutes, parfois un peu plus si un étayage est nécessaire », explique Thierry Catry, infirmier au Cegidd de l’hôpital de la Croix-Rousse, pour qui il importe beaucoup de soigner l’accueil car « les discussions tournent souvent autour de sujets assez intimes ». Il s’agit de bien comprendre les demandes des personnes, d’évaluer leurs connaissances en matière d’IST, d’expliquer les délais éventuellement nécessaires à la fiabilité des résultats des bilans effectués, d’orienter selon les cas vers un autre professionnel du Cegidd ou un autre service ou dispositif, mais aussi de rassurer. « Les gens viennent avec un risque, ils éprouvent souvent de la peur, il faut veiller à ne pas l’accroître », poursuit Thierry Catry.
Dans certains centres, comme dans le Cegidd Saint-Adrien ou celui de La Joliette, à Marseille, relevant du conseil départemental des Bouches-du-Rhône, un accueil en langue des signes est même prévu pour faciliter la visite des usagers sourds. « Par ailleurs, parmi nous, certains parlent des langues étrangères et nous pouvons également avoir recours à des interprètes par téléphone lors de nos entretiens infirmiers », précise Jean-Noël Debourg, infirmier au Cegidd Saint-Adrien (lire p. 59). Selon les situations, la nature et la temporalité du risque, les IDE effectuent des dépistages par prise de sang ou à l’aide de tests rapides d’orientation diagnostique (Trod). Dans ce dernier cas, elles peuvent être amenées à se charger de l’annonce d’une séropositivité au VIH. Concernant les IST, elles effectuent divers types de prélèvements. Ensuite, « en fonction des résultats et de l’IST en question, l’infirmière donne le traitement médicamenteux prescrit par le médecin ou pratique l’injection intramusculaire nécessaire », explique Céline Anastasi.
Les IDE assistent fréquemment aux consultations des médecins du Cegidd de façon à pouvoir ensuite, s’il y a lieu, réexpliquer et reformuler ce qui n’a pas été compris. « Nous pouvons ainsi vérifier que le message est bien passé, compléter l’information reçue et donner des plaquettes ciblées. Nous effectuons un gros travail d’explication », souligne Amandine Barbier. Pas question en effet que les personnes repartent avec des interrogations et les conseils doivent être personnalisés. « Il faut aborder la notion de prévention à partir de la réalité de la personne et dans le respect de celle-ci, donner une information claire et précise », complète Thierry Catry. C’est en particulier le cas dans le cadre des consultations PrEP (prophylaxie pré-exposition) concernant le VIH. Les IDE ont alors des échanges approfondis avec les patients pris en charge par un médecin, lors de l’initialisation de leur traitement ou au cours de leur suivi, ce qu’elles apprécient. Les discussions peuvent porter sur les modalités des traitements et l’adaptation au mode de vie des personnes, sur leurs pratiques et, en particulier, viser la prévention des autres IST, volet qui s’effectue parfois en partenariat avec des associations, comme Aides. Les IDE participent enfin, entre autres tâches, aux missions de vaccination des Cegidd (hépatites A et B, papillomavirus, méningocoque…) et à celles relatives à la contraception. « Les médecins ont la possibilité de prescrire des moyens contraceptifs mais il s’agit la plupart du temps de contraception d’urgence », explique Amandine Barbier.
La mobilité est une des caractéristiques des équipes de Cegidd. Tout d’abord, certains centres disposent d’antennes dans lesquelles les professionnels assurent des permanences régulières. Ainsi, le Cegidd de l’hôpital Sainte-Musse de Toulon, par exemple, se déplace dans ses annexes des hôpitaux de Hyères, de la Seyne-sur-Mer ou encore de Brignoles. Mais les IDE se rendent aussi dans d’autres lieux afin d’y effectuer du dépistage hors les murs. « Nous nous devons d’aller au devant des personnes les plus à risques tels les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes, les migrants, les populations précaires, les usagers de drogues, les personnes prostituées… », explique Thierry Catry. Des permanences peuvent ainsi être tenues régulièrement à Médecins du monde, à Aides ou encore dans des centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques des usagers de drogues (Caarud) ou dans des foyers de migrants. Des opérations peuvent également être montées de façon plus ponctuelle à l’occasion de festivals de musique ou d’événements étudiants. « Grâce à un partenariat, nous effectuons du “dépistage de masse” et des actions de prévention dans les facultés de la région », précise ainsi Céline Anastasi.
Le Cegidd de Toulon intervient d’ailleurs dans des lieux de rencontre, des clubs échangistes, où il propose des Trod. « L’été, avec notre camping-car, nous faisons la tournée des plages. Nous allons vers les gens et menons des actions d’information et de prévention », précise-t-elle. Des interventions sont aussi organisées dans des lycées à l’aide de diaporamas élaborés par l’équipe. Aller à la rencontre des publics suppose aussi parfois de s’appuyer sur des intermédiaires. Ainsi, témoigne Jean-Noël Debourg, « faire passer l’information en matière de sexualité n’est pas toujours simple auprès de certains publics, notamment quand la dimension religieuse est importante. Il nous arrive alors de solliciter des éducateurs qui les connaissent bien pour mieux transmettre le message. »
Pour mener leurs actions, dans ou hors les murs, les Cegidd élaborent des partenariats et, tout en favorisant la pluridisciplinarité en leur sein, fonctionnent beaucoup en réseau. « Nous avons la chance de travailler en collaboration avec des médecins de différentes spécialités, dont la sexologie, mais aussi avec une assistante sociale, une psychologue. Nous travaillons également en réseau avec des associations et des organismes tels les centres de planification familiale », pointe Amandine Barbier. Les patients peuvent ainsi être orientés vers des profes sionnels pour trouver des réponses adaptées. En cas de difficultés d’acceptation d’un diagnostic, une psychologue peut prendre le relais. Cette pluridisciplinarité permet aux infirmières de ne pas dépasser leurs limites.
Pour faciliter l’accès à leurs équipes, nombre de Cegidd proposent des plages d’ouverture assez larges, quitte à varier les horaires. Certains peuvent ainsi recevoir des publics deux ou trois jours par semaine, entre midi et 14 h, ou en fin de journée jusque 19h30 ou 20 h, voire le samedi matin et/ou après-midi. « À Marseille, les horaires des Cegidd départementaux et du Cegidd du Spot Longchamp de Aides, par exemple, sont complémentaires », explique Jean-Noël Debourg. Si, pour certaines opérations de prévention, une souplesse peut être requise de la part des professionnels, en général, « on ne travaille jamais avant 9 h, on ne finit pas après 20 h et on est libre le week-end », assure Amandine Barbier. Les journées sont cependant parfois très chargées. « Nos pics d’affluence sont imprévisibles. Mais on ne refuse jamais quelqu’un, même s’il arrive cinq minutes avant la fermeture. On reste alors au-delà de nos horaires », assure Jean-Noël Debourg. Les Cegidd semblent ainsi victimes de leur succès. « Les gens ont de plus en plus de questions sur la sexualité et l’impression de ne pas avoir été informés. On passe beaucoup de temps à apporter des réponses », observe Céline Viollet.
Outre le plaisir de côtoyer d’autres métiers, les IDE apprécient l’étendue de leurs missions, qui s’est accrue avec la naissance des Cegidd (lire encadré p. 57). « Notre travail est plus varié aujourd’hui. Avant, on ne faisait pas de tests rapides ni de vaccins. Par ailleurs, les traitements ont évolué et on peut apporter aux gens des réponses plus optimistes », se réjouit Thierry Catry, qui travaillait avant en CDAG(1). L’autonomie de certaines équipes, qui travaillent beaucoup sur délégation du médecin, est appréciée. « Les infirmiers sont les piliers du Cegidd », estime Jean-Noël Debourg. Une telle autonomie suppose de la polyvalence. Autre prérequis : la discrétion. Les entretiens restent confidentiels mais il faut « faire attention à ne pas appeler les gens qui attendent par leur nom pour respecter leur anonymat. Notamment celui des nombreux mineurs de 15-16 ans qui ne veulent pas informer leurs parents de leur venue », souligne Céline Anastasi.
L’ouverture d’esprit et la tolérance sont d’autres qualités indispensables. « Même si nos valeurs sont différentes, il faut pouvoir entendre et accueillir la parole de l’autre sans jugement », souligne Céline Viollet. Les tabous sur la sexualité pesant encore très lourd, il importe de faciliter la parole des patients. « Il faut beaucoup déculpabiliser par rapport aux comportements, aux risques pris. Il y a peu de lieux où l’on peut parler de sa vie intime, de sa sexualité. Aussi, en Cegidd, on doit leur laisser la possibilité de poser ces choses, ne jamais être dans le jugement, sinon la porte se referme », poursuit l’infirmière lyonnaise. La bienveillance est le maître-mot, ce qui suppose de ne pas être trop intrusif, de respecter la pudeur et l’intimité de la personne, d’avoir de l’écoute, de la patience, voire une certaine finesse. « Les personnes victimes de violences sexuelles, par exemple, taisent souvent ce qu’elles vivent. À nous d’être un peu fins, perspicaces et psychologues, de deviner sans parler. Cela suppose un peu de maturité, d’expérience aussi, pour mieux comprendre et apporter une réponse la plus adaptée possible… », estime Jean-Noël Debourg.
Confrontés à des situations parfois très lourdes, des histoires de vie compliquées, les professionnels développent souvent une belle solidarité entre eux et sont parfois supervisés par un psychologue. Des formations régulières viennent, en outre, conforter les IDE. « C’est un champ où les évolutions sont nombreuses. Il est donc important de se tenir au courant des nouvelles techniques ou recommandations », insiste Céline Anastasi. Les Trod, le counselling, la santé sexuelle, la contraception, les approches culturelles, les violences sexuelles, l’éducation à la sexualité… sont autant de champs à explorer et de connaissances à acquérir. Des savoirs qui, selon les équipes, viennent encore enrichir avec bonheur leur exercice en Cegidd.
1- Consultation de dépistage anonyme et gratuit.
→ Créés par la loi de finances de la Sécurité sociale de 2015, les Cegidd sont issus de la fusion des consultations de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) et des centres d’information, de dépistage et de diagnostic des infections sexuellement transmissibles (Ciddist)(1). Mis en place à partir du 1er janvier 2016, ces centres sont sous la responsabilité des agences régionales de santé et leur financement est assuré par la Sécurité sociale. Sur le territoire français (départements d’outremer compris), on recense quelque 320 Cegidd, lesquels dépendent de structures diverses : hôpitaux, conseils départementaux, associations… De nombreux Cegidd ont, de surcroît, ouvert des antennes dans différents lieux.
Outre reprendre les missions de prévention et de dépistage du VIH, des hépatites virales et des IST jusque-là dévolues aux CDAG ou aux Ciddist, les Cegidd ont également vocation à offrir une approche globale de la santé sexuelle et à mener des actions visant à toucher les publics les plus vulnérables et les plus éloignés du dispositif de santé(2).
1- Décret n°2015-796 du 1er juillet 2015.
2- Le cahier des charges a été défini par l’arrêté du 1er juillet 2015.
→ Aucun diplôme spécifique n’est requis pour exercer en Cegidd, toutefois une expérience au sein d’un service d’infectiologie, afin de bien connaître les pathologies ciblées et le suivi des patients chroniques contaminés par le VIH, est un plus. Des DU/DIU peuvent aussi apporter des connaissances intéressantes.
Les universités de Besançon – Dijon – Nancy – Reims – Strasbourg proposent un DIU « Infection par le VIH », dont l’objectif est « d’optimiser la prise en charge médicale et psychosociale des patients », ouvert notamment aux personnels de soins infirmiers(1). Un DIU d’étude de la sexualité humaine accessible aux IDE vise à permettre l’acquisition des connaissances théoriques et cliniques utiles à une approche des difficultés sexuelles(2).
→ Les comités de coordination régionale de la lutte contre les infections sexuellement transmissibles et l’infection par le VIH (Corevih), implantés dans les établissements publics de santé, organisent par ailleurs maintes journées et formations sur des thématiques liées à la prise en charge du VIH, des hépatites et des IST, ou à la spécificité de certains publics (migrants, transgenres…).
1- Infectiologie.com recense les DU/DIU disponibles : bit.ly/2MDfzui
2- Plus d’informations sur le site de l’Association interdisciplinaire post-universitaire de sexologie : www.aius.fr