L'infirmière Magazine n° 396 du 01/09/2018

 

SOINS PALLIATIFS

SUR LE TERRAIN

REPORTAGE

Laure Desmesliers  

La Villa Izoï est un lieu pilote. Située dans les Bouches-du-Rhône, la seule unité de soins palliatifs long séjour de France héberge quatorze résidents, depuis deux ans. Un logis médicalisé mais chaleureux, où prime la relation.

Ici, on ne sait pas qui est qui. L’absence de blouses brouille les repères. On rencontre des femmes et des hommes, et non des fonctions. Latifa, Marie, Lilie, Jean-Mi… Certains souffrent d’une maladie évolutive incurable, les autres les accompagnent sur le reste de leur chemin de vie.

« Bonjour Nicolas, as-tu bien dormi ? », demande avec un sourire Maxime Chiri, infirmier. La journée débute pour Nicolas, 29 ans, qui, du fond de son lit, réclame déjà une cigarette. Un gliome paralyse ses membres et ralentit sa diction. « Aujourd’hui, c’est moi ton référent », annonce l’infirmier, qui sera son interlocuteur privilégié tout au long de la journée. Il pratiquera ses soins, l’aidera à manger, à faire sa toilette, à entretenir sa chambre et son linge. Une organisation qui limite l’enchaînement des intervenants, la perte d’informations et qui assure une autonomie au soignant. « On prend le temps d’apprécier l’évolution de l’état du résident durant la journée et de réajuster nos soins au plus près de ses besoins », précise l’IDE. Chaque matin, les soignants (deux infirmiers, une aide-soignante et une aide médico-psychologique) se répartissent différemment les patients pour assurer une égalité dans les soins et une diversité dans la relation.

Comme à la maison

Maxime Chiri prépare le petit-déjeuner de Nicolas : ce matin, ce sera un ex presso et des céréales baignées dans du lait chocolaté. Les plateaux sont personnalisés. Latifa aime les jus frais d’oranges pressées, Philippe préfère la brioche. Il n’y a pas de petit détail en matière de qualité de vie. La matinée se poursuit pour l’infirmier par une pose de gripper, une préparation de pompe à morphine et un changement de colostomie. En dehors des temps de soins, le matériel médical est invisible. Pas de lève-malade traînant dans les chambres ou de chariot de soins dans les couloirs. Même les sondes urinaires se font discrètes dans leur poche de tissu coloré. L’idée est d’offrir un environnement familier et chaleureux. La cheminée, le bol de bonbons, la déco faite à la main, le mobilier en bois – “chiné” en brocante – contribuent à ce que les patients se sentent “comme à la maison”.

C’était le souhait de l’initiatrice du projet : Brigitte Nocula, alors aide-soignante à la Maison de Gardanne (unité de soins palliatifs reconnue pour son savoirfaire et ses valeurs humanistes), dans les Bouches-du-Rhône. Jean-Michel Riou, médecin, et Dominique Baude, cadre de santé, l’ont rapidement rejointe. Ces « rêveurs efficaces » comme les surnomme l’écrivain Antoine Audouard(1) ont mis sept ans à donner vie à la petite sœur de la Maison.

La Villa Izoï – qui signifie « vie » en grec – est née d’un manque. « Le temps avant la mort est variable et peut être très long », explique Jean-Michel Riou. Il n’existe pas de structure pour les personnes en situation de “long mourir”. « Elles naviguent entre domicile, unités de soins palliatifs et soins de suite et de réadaptation, dans un nomadisme institutionnel », ajoute-t-il. Nicolas est représentatif de la population accueillie : il est jeune, présente une pathologie mortelle et évolutive impactant son autonomie, et souffre d’un manque de soutien familial ou amical. Ici, VIH, scléroses, tumeurs et autres se sont invités chez des personnes souvent isolées par un parcours de vie déjà chahuté. Nicolas entame son quinzième mois d’ancrage à la Villa, sachant que la médiane de prise en charge se situe autour de quatre mois…

Absence des codes habituels

Pour le moment, le jeune homme est occupé à écrire un récit autobiographique adressé à sa fille de quatre ans, épaulé par Marie-Thérese Rostan Gleizes. Cette bénévole participe à la prise en charge globale des résidents en prenant part aux toilettes, repas, sorties, ateliers… Comme elle, ils sont une vingtaine à se relayer dans la semaine. Avec eux, c’est un peu du monde extérieur qui s’engouffre dans la Villa.

Le cuisinier les rejoint dans le patio pour une pause. Latifa y raconte des blagues osées avec l’aide-soignante, Lilie confectionne un piège à limaces, le chat baguenaude. Même Céline qui sort peu de sa chambre – elle y passe beaucoup de temps à pleurer – est là. Sébastien rigole. « À leur arrivée, les résidents sont souvent apathiques. On leur donne la parole, interroge leurs besoins. Le souffle de vie qui leur reste va trouver des points d’accroche à travers lesquels le désir va s’exprimer. On travaille en semble autour de ces désirs, en prenant en compte les limites inhérentes à leur maladie. On est dans le vif de la vie », affirme Maxime Chiri.

Le médecin passe la tête par la baie vitrée : « Messieurs-dames, c’est l’heure de manger ! » Soignants et résidents s’attablent ensemble. Latifa préfère déjeuner dans sa chambre et Nicolas dehors, sous le parasol. Les cuisiniers mitonnent sur place une cuisine familiale goûteuse et adaptée à chacun. « On mange très bien ici. D’ailleurs, j’ai repris du poids », indique Éric au médecin, en terminant son fraisier crémeux. Ce que confirme Sandrine, sa compagne. Elle est venue passer le weekend avec lui à la Villa, elle mange et dort sur place.

Le staff postprandial (les transmissions d’après-déjeuner) implique chaque travailleur (soignant, bénévole, cuisinier…). L’équipe est primordiale dans une telle unité où la réalité des patients vient parfois bousculer les soignants. D’autant plus quand la distance habituelle procurée par la blouse et le vouvoiement est abolie dans une volonté d’authenticité. « On cherche à ce que les soignants soient eux-mêmes, qu’ils ne se calquent pas sur un modèle », précise Dominique Baude, la cadre de santé. « L’absence de codes habituels est aussi une exigence de compétence. Les soignants n’ont pas les artifices qui les légitiment, ils doivent donc être meilleurs », complète le Dr Jean-Michel Riou.

Des régulations avec une psychologue et l’accès à la salle de silence – où chacun peut s’isoler quand il en ressent le besoin – renforcent le soutien apporté par l’équipe et permettent les prises de conscience ainsi que les réajustements. Les professionnels sont en questionnement permanent. Il n’y a pas de solution unique ni de catalogue de bonnes pratiques.

Chant, danse, cinéma…

Pour l’heure, Nicolas décline la proposition d’atelier vocal au profit d’une sieste. Résidents, bénévoles et soignants sont alors conviés à se centrer sur leur corps, leur respiration, la vibration des sons. « L’idée est de se reconnecter à soi. La voix marie le corps à l’esprit », explique Loïc Filibert, chanteur et musicien invité par Nathalie Estienne, art-thérapeute, pour animer ce temps. La séance se termine par un chant africain rythmé et une danse improvisée. « L’art-thérapie palliatif est un processus thérapeutique qui tend vers une revalorisation, une confiance en soi, voire une réparation », indique-t-elle. Des créations colorées, individuelles ou collectives, parsèment la maison. Elles racontent toutes une histoire. Le récit de personnes ayant eu envie de s’exprimer, de se retrouver ou d’inscrire leur passage dans la Villa, dans la vie, là. Nathalie Estienne propose aussi des sorties culturelles. Hier, Latifa s’est régalée d’un ballet. Le temps de la performance, elle a oublié ses nausées. « Je suis aussi allée au cinéma, je ne pensais pas y retourner un jour. Ici, on n’est pas oublié dans notre maladie. Il y a du possible, une ouverture sur le possible », souligne-t-elle.

« Un deuil façon soignant »

Au sortir de la salle d’art-thérapie, alors qu’une odeur de crêpes titille l’appétit, le regard est attiré par la flamme d’une bougie, sur la commode. Elle indique le décès d’un résident et restera allumée tant que son corps reposera dans la maison. C’est Thierry qui est parti. Il y a trois jours, une résidente lui avait offert un cierge acheté lors d’une sortie à Notre-Dame-de-la-Garde. « Tu n’as pu aller à Notre-Dame, alors elle est venue à toi », lui avait-elle assuré. « Je peux partir tranquille maintenant », avait-il répondu. Maxime Chiri le re trouve pour sa dernière toilette : « Quand une personne s’en va, on doit s’accorder le fait d’en pâtir un peu. On a mis le maximum d’énergie pour permettre un accompagnement qui soit le plus humain possible, il y a eu une relation. On fait un deuil façon soignant. On peut verser une larme mais on ne l’emporte pas chez nous. » Même si chacun vit différemment ces moments, l’équipe se réunit régulièrement autour de rituels de deuil. L’inscrip tion des noms des résidents décédés sur un bateau de papier parti voguer en mer était le dernier… La nuit d’été ne tombe pas encore mais certains résidents rejoignent déjà leurs lits. D’autres jouent aux cartes. Le relais est passé aux deux soignants de nuit qui distilleront la même tendresse délicate, le même désir de rencontre. « Quand l’insomnie te prend et ne te lâche plus, sois sûr de trouver deux cœurs bienveillants à la Villa Izoï. La Villa, un refuge. Ses habitants, une famille », écrivait Isa au soir de sa vie.

1- La maison au bord du monde, Antoine Audouard, Gallimard, 2004. L’écrivain a passé plusieurs mois à la Maison…

FIN DE VIE

Que prévoit la loi ?

La loi de Claeys-Leonetti du 2 février 2016 a renforcé la loi Leonetti de 2005 :

→ Création d’un droit à la sédation profonde et continue jusqu’au décès. La sédation peut être mise en place à domicile et en établissement de soins.

→ Exigence, pour les médecins, du respect des directives anticipées.

→ Assimilation de la nutrition et de l’hydratation artificielle aux traitements. À ce titre, elles peuvent être suspendues afin d’éviter une obstination déraisonnable.

→ Obligation faite aux professionnels de santé de se former aux soins palliatifs.