L'infirmière Magazine n° 396 du 01/09/2018

 

PSYCHIATRIE

SUR LE TERRAIN

TRANSMISSIONS

Sabine Alexandre*   Caroline Gaërel**   Bénédicte Broglin***  


*infirmière
**infirmière
***cadre de santé, service médico-psychologique régional, Pôle CPOA/SMPR, CH Sainte-Anne.

Depuis la fermeture de la prison de la Santé, en 2014, le CH Sainte-Anne (Paris) propose une consultation extra-carcérale afin d’accompagner et orienter toute personne prévenue, en contrôle judiciaire, ou condamnée, sortant de prison et/ou sous main de justice.

Plus de 20 % des personnes incarcérées sont atteintes de troubles psychotiques, estime la section française de l’Observatoire international des prisons(1). Si le plan d’action stratégique Santé-Justice 2010-2014(2) préconise la préparation et la continuité des soins à la sortie de prison, le rapport de la Cour des comptes sur l’organisation des soins psychiatriques précisait, pour sa part, en 2011, qu’« il n’y a pas de structure sanitaire type de préparation à la sortie et peu de consultations extra-pénitentiaires, alors que les expériences en ont confirmé l’utilité ».(3)

À Paris, après la fermeture de la prison de la Santé en juillet 2014(4), une consultation extra-carcérale (CEC) a été mise en place par le service médico-psychologique régional (SMPR) du centre hospitalier Sainte-Anne (Paris), dans le but d’accompagner les personnes prévenues, condamnées et sortant de prison, avec ou sans aménagement de peine, avec ou sans obligation de soins. Si, en 2014, elle comptait 122 patients en file active, elle en a accueilli 332 en 2017.

Des profils variés

Moment de rupture et de fragilité, la sortie de détention peut entraîner une instabilité sur le plan sanitaire, social et/ou judiciaire. Le premier contact doit donc se faire assez rapidement après la libération. Si la demande peut venir du patient, de ses proches, du CPIP ou d’une association, c’est au patient, et à lui seul, de décider quelles informations il veut communiquer. Il n’y a aucune transmission (nature de la condamnation, temps d’incarcération, etc.) en amont par le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). Le seul papier de mandé est la carte d’identité, pour des questions d’identito-vigilance.

Les consultants – majeurs et mineurs disant vivre à Paris (dont les sansabri) – peuvent présenter diverses pathologies : psychose, état dépressif, addiction, etc., qui sont souvent concomitantes ou en rapport avec les difficultés liées à l’obligation de soins après la détention : manque de repères, difficultés administratives… Des sujets dont traite l’équipe composée, depuis janvier 2017, de deux IDE, deux psychiatres, un ergothérapeute, une assistante sociale et une cadre de santé à mitemps, ainsi qu’un psychologue et un psychiatre à temps partiel, tous familiers du milieu carcéral.

Vous avez rendez-vous…

Le premier entretien avec l’IDE a lieu dans les sept jours suivant la demande de rendez-vous. M. A. arrive dans le service, sur la réserve. Après avoir noté les premières informations (nom, prénom, date de naissance, accès ouvert ou non aux soins, antécédents médicaux, situation judiciaire, etc.), nous évaluons ses capacités d’autonomie, d’habileté sociale et son état psychologique. Veut-il se confier sur son parcours judiciaire ? Si certains en parlent assez ouvertement, d’autres n’osent pas l’évoquer, ce que nous respectons. M.A., pour sa part, se confie assez facilement. Comme il a obtenu un aménagement de peine, il a été placé en semi-liberté. Ce qu’il vit mal car les horaires de sortie sont restreints au début. Il est angoissé à l’idée d’arriver en retard à la semi-liberté et a plusieurs démarches à effectuer : trouver une formation, travailler, se loger… Et il a l’impression que les gens le jugent en permanence.

Durant cet échange, nous utilisons son nom de famille et non son numéro d’écrou afin de le ré-inscrire dans la société. Et nous recueillons tout ce qu’il partage sans chercher à vérifier ses dires : il peut mentir sur sa situation sociale ou judiciaire, minimiser ou refuser de relater les faits ou son geste… L’important est de travailler sur sa vérité et non la réalité des faits. Pendant l’entretien, nous essayons de créer un lien pour avoir éventuellement une meilleure approche de ses difficultés liées à la sortie de détention. Ce premier entretien peut être primordial pour la poursuite du suivi.

Si l’objectif du CPIP, à travers l’obligation de soins, est de prévenir la récidive, la consultation vise, pour sa part, d’autres objectifs : accueillir, écouter, accompagner, comprendre et apaiser les patients; organiser des relais de soins avec les structures de droit commun dans un plus ou moins long terme ; et mettre en place un projet de soins adapté.

C’est au détour de ce premier entretien que va s’amorcer le suivi psychologique. Nous évaluons les difficultés du patient par rapport aux phobies qu’il a pu développer à sa sortie de détention : métro, foule, troubles de l’acuité visuelle, hyperacousie, etc. Nous évoquons aussi sa vie en détention et les traumatismes que celle-ci a pu engendrer – pour lui, que signifie l’obligation de soins ? – et nous le rassurons sur le fait que nous n’avons aucun contact avec les services de justice et que nous sommes soumis au secret professionnel. Nous faisons également le point sur sa situation sociale pour le guider vers les services administratifs.

L’avis de l’équipe

Nous proposons un deuxième rendez-vous avec le psychiatre et l’infirmière référente dans un délai plus ou moins court, selon l’évaluation clinique de l’IDE. Celle-ci dédramatise cette rencontre et souligne que le psychiatre ne prescrit pas nécessairement de traitement médicamenteux. En s’appuyant sur les transmissions de l’IDE, le psychiatre reprend des éléments avec M.A. : son état de santé ou psychologique depuis le dernier entretien infirmier, ses traitements, le rythme de suivi souhaité… Le patient explique qu’il gère difficilement le quotidien, qu’il n’a pas de ressources pour se nourrir ni se loger, et qu’il essaie de trouver des lieux pour être hébergé à sa sortie de semi-liberté. Il est fortement angoissé par sa situation prochaine, se sent seul et sa consommation de stupéfiants et d’alcool a augmenté. Et il doit affronter les regards quand il évoque son statut d’ex-détenu pour les démarches administratives.

Une réunion d’équipe pluridisciplinaire fait suite à ces deux rencontres. Pendant une heure environ, psychiatres, cadre de santé, psychologue, IDE, ergothérapeute, assistante sociale et secrétaire élaborent une prise en charge adaptée : a-t-il besoin d’une prise en charge médicale (traitement médicamenteux), et/ou d’un soutien infirmier (entretiens de soutien, accompagnement vers un CMP(5), une post-cure ou une prise de traitement) ? Lui fautil un accompagnement par l’ergothérapeute, une psychothérapie, un accompagnement social et un rythme de suivi plus soutenu ?

Ce projet de soins est présenté au patient lors d’un prochain entretien et c’est lui qui décide si cela lui convient. M. A. accepte de venir trois fois par semaine : deux fois pour une prise de traitement avec l’IDE et une fois pour des entretiens en binôme psychiatre/infirmière. Par la suite, il sera orienté vers l’ergothérapeute et l’assistante sociale s’il s’inscrit dans le dispositif de soins. Nous prenons contact avec une structure adaptée pour un suivi en addictologie et essayons de le motiver pour une post-cure.

Le présent et l’après

La CEC propose une prise en charge globale. C’est une rencontre avec une équipe qui connaît le milieu carcéral et les soins pénalement ordonnés, qui garantit la continuité des soins et une prise en charge complète et personnalisée. Elle peut proposer à toute personne en aménagement de peine ou en sortie sèche(6), en situation régulière ou non sur le territoire, avec ou sans domicile fixe, un suivi pluridisciplinaire, ainsi qu’aux proches souvent isolés et en difficulté par rapport à l’incarcération d’un membre de la famille.

1- À consulter ici : bit.ly/2IPrQtq

2- À consulter ici : bit.ly/2lHfc6z

3- À consulter ici : bit.ly/2KbO7a9

4- En vue de la réouverture de la prison de la Santé en octobre prochain, le SMPR du CH Sainte-Anne prévoit de recruter.

5- Centre médicopsychologique.

6- Le terme fait référence aux sorties de prison sans aménagement de peine.

CAS DE DÉPART

M. A., 39 ans, est incarcéré pour vol, détention et consommation de stupéfiants. En récidive, il sort de prison au bout de deux ans, en aménagement de peine, avec obligation de soins. Le conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation (CPIP) l’adresse à la consultation extra-carcérale car son séjour en prison l’obsède : il y pense la nuit, fait des cauchemars et n’arrive pas à se confier à ses proches. Il sent aussi peser sur lui le regard des gens dans la rue. Cette nouvelle liberté semble difficile à gérer…

SOINS PÉNALEMENT ORDONNÉS

Pour comprendre le jargon

→ Obligation de soins.

Prévue pour des faits en lien avec une addiction ou un comportement inadapté, elle est mise en place sans procédure particulière. « Applicable avant ou après déclaration de culpabilité », elle consiste à « se soumettre à des mesures d’examen, de traitement ou de soins, même sous le régime de l’hospitalisation, notamment aux fins de désintoxication » ou « à des mesures d’examen médical, de traitement ou de soins, même sous le régime de l’hospitalisation ».

La personne obtient des justificatifs à chaque passage à la consultation, qu’elle remet au CPIP. Son non-respect peut aboutir à un retour en détention.

→ Injonction de soins.

Prévue en cas de meurtre précédé ou accompagné d’actes de barbarie, viol, agression ou exhibition sexuelle ou de faits liés à la pornographie de mineurs, elle n’est indiquée que si la personne « est susceptible de faire l’objet d’un traitement ». Une expertise médicale préalable est requise pour l’ordonner, la prononcer ou la supprimer. Un médecin coordonnateur fait le lien entre le médecin traitant et le juge de l’application des peines.

Source : www.justice.gouv.fr