L'infirmière Magazine n° 397 du 01/10/2018

 

SANTÉ AU TRAVAIL

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MURIELLE CHALOT  

Le gouvernement souhaite ouvrir, en octobre, une négociation interprofessionnelle sur la santé au travail. Elle pourrait donner lieu à un projet de loi en 2019 et devrait se baser notamment sur le rapport remis au Premier Ministre, fin août, par la députée du Nord Charlotte Lecocq, qui préconise « un système simplifié pour une prévention renforcée ».

Améliorer l’efficacité et l’efficience » de la prévention des risques professionnels dans un contexte de « désaffection préoccupante de la médecine du travail » (- 30% de médecins en dix ans) : tel était l’objectif fixé à la mission de Charlotte Lecocq. Pour y parvenir, la députée LREM propose une réorganisation radicale de la santé au travail en France.

Son « scénario pour un système d’acteurs et une gouvernance refondés » se veut plus simple et plus lisible pour les entreprises. La mission propose ainsi de rassembler tous les acteurs « au sein d’une entité unique de prévention », qui proposerait à chaque entreprise une offre de services homogène, allant du suivi individuel obligatoire à l’accompagnement pluridisciplinaire en prévention des risques et promotion de la santé au travail, en passant par la formation ou l’aide au maintien dans l’emploi par l’intervention précoce dans le parcours de soins et l’adaptation du poste de travail.

Cette future structure de droit privé, ayant pour mission d’intérêt général la préservation de la santé au travail, regrouperait les actuels services de santé au travail interentreprises (SSTI), les agents des Carsat(1) affectés à la prévention, les compétences des associations régionales pour l’amélioration des conditions de travail (Aract) et celles des agences régionales de l’OPPBTP(2) pour les entreprises du bâtiment. Elle serait gouvernée par un conseil d’administration paritaire, où les partenaires sociaux seraient représentés. Les auteurs du rapport insistent pour positionner cette structure régionale, dotée d’antennes locales, « comme l’interlocuteur de confiance pour les entreprises en matière de conseil en prévention n’exerçant aucune mission de contrôle ». Une rupture avec le « mélange des genres » actuel que le Dr Hélène Béringuier, présidente de l’Association nationale de médecine du travail et d’ergonomie du personnel des hôpitaux, salue(3).

Le plan Santé au travail pas appliqué

Côté budget, les financements affectés à la santé au travail seraient regroupés en un seul fonds national de la prévention, dont la mission propose de confier la gestion à la Caisse nationale d’Assurance maladie (Cnam). Ce fonds serait abondé par une cotisation patronale unique « santé travail », recouvrée par les Urssaf, mais aussi par les fonds de l’État fléchés en prévention, une quote-part des fonds provenant des organismes de complémentaire santé recommandés par les branches professionnelles, des fonds de l’Agefiph(4) ainsi que par une part volontaire de cotisation des travailleurs indé pendants et des chefs d’entreprise.

Au niveau national, la mission appelle de ses vœux un pilotage raffermi : d’une part, le Conseil d’orientation des conditions de travail (COCT) conserverait son rôle d’instance consultative auprès des ministres du Travail et de la Santé ; d’autre part, une structure nationale - organisme de droit public doté d’un conseil d’administration composé de représentants de l’État et des partenaires sociaux - reprendrait les compétences des actuels commissions des accidents du travail et maladie professionnelles et comités techniques nationaux de la Cnam. De quoi redynamiser la filière ? C’est en tout cas ce qu’espère le Dr Anne- Michèle Chartier, présidente du syndicat CFE-CGC des services de santé au travail. « Il manque une politique de santé au travail, déplore-t-elle. Les partenaires sociaux ont élaboré un 3e Plan santé au travail (PST3) ambitieux, où la prévention primaire est affirmée, les risques psycho-sociaux (RPS) soulignés. Or, dans les SSTI, on ne travaille pas sur le PST3, on s’en tient au suivi médical individuel des salariés », constate-t-elle.

Que pensent les acteurs de la santé au travail de ce bouleversement ? Regrouper est « une excellente idée si ça met en musique des acteurs qui, aujourd’hui, travaillent chacun de leur côté, sans chef d’orchestre », considère Hélène Béringuier.« Éviter que les entreprises aient à s’adresser à plusieurs acteurs » est positif, renchérit la présidente du Groupement des infirmiers de santé au travail (GIT) Nadine Rauch, même s’« il peut y avoir plusieurs strates dans une seule instance », nuance-t-elle.

Seize recommandations

Au-delà du chambardement structurel, la mission formule seize recommandations. La présidente du GIT, scandalisée de constater que les infirmières sont quasi absentes du rapport et que son association n’y est même pas citée, bien qu’elle ait été auditionnée par la mission, re tient trois recommandations, qu’elle pense prometteuses. La n° 9 vise à « mieux prendre en charge la prévention des risques liés aux organisations de travail et à leurs transformations ». « Les infirmiers de santé au travail (IST) sont les premiers sur le terrain à voir arriver les transformations. Ils sont les plus à même de les décrire et d’alerter le médecin du travail sur les risques induits », juge Nadine Rauch, qui plébiscite aussi la recommandation n° 10, imposant une cellule dédiée aux RPS dans les futures structures régionales de prévention. Elle salue enfin la recommandation n° 13 qui invite à « simplifier l’évaluation des risques dans les entreprises pour la rendre opérationnelle », en limitant « la formalisation de l’évaluation aux risques majeurs dans les plus petites entreprises », en rendant « obligatoire » pour toutes les entreprises « un plan de prévention des ris ques » au lieu de l’actuel document unique d’évaluation des risques, et en supprimant la fiche d’entreprise. Une perspective qui au contraire fait bondir Gilles Seitz, animateur du collectif de médecins du travail de l’Ugict-CGT, qui y voit « la suppression de l’obligation d’évaluation des risques professionnels ». Si on ne leur en donne pas les moyens, les petites entreprises ne pourront pas bâtir de plan de prévention car « l’évaluation des risques coûte cher », anticipe-t-il. Pour contourner l’écueil, cet ancien médecin du travail à la RATP, qui a siégé au comité Santé et sécurité au travail de Luxembourg, avait proposé aux employeurs que les grandes entreprises assument de manière mutualisée le coût de l’évaluation des risques pour les petites entreprises, qui sont souvent leurs sous-traitants. « Je n’ai reçu aucune réponse, on entendait les mouches voler », se souvient-il.

Statut de salarié protégé

S’il est une mesure qui fait consensus, c’est celle qui vise à « mieux articuler » santé au travail et santé publique. Le rapport propose ainsi de mener des campagnes d’information grand public sur certains risques professionnels ; de développer des consultations de santé au travail dans les maisons de santé ; de permettre aux étudiants en santé d’effectuer le nouveau service sanitaire dans les structures régionales de prévention; ou encore d’ouvrir le dossier médical partagé (DMP) aux expositions professionnelles.

Pour Nadine Rauch, le service sanitaire en santé au travail est une bonne idée, d’autant que « les étudiants n’ont aucune idée de ce qu’est une IST car on n’en parle pas à l’Ifsi ». S’agissant de l’ouverture du DMP aux expositions professionnelles, « ce serait superbe, mais cela pose plein de questions », note le Dr Anne-Michèle Chartier. Notamment celle du risque chimique qui a été enlevé de la pénibilité, rappelle-t-elle. « Avant d’inscrire dans le DMP que le salarié est exposé à tel risque, nous avons besoins de références et donc de recherche en santé au travail », plaide-t-elle.

Pour « mobiliser efficacement » le « temps disponible des médecins du travail et personnels de santé », le rapport préconise le recours à des plate-formes internet de prise de rendez-vous directe, l’usage de la télémédecine(5) ou encore la possibilité pour certaines catégories de salariés(6) d’effectuer leur suivi individuel par des généralistes. Pourtant, les médecins de ville « ne connaissent pas les postes de travail ! » s’étrangle Gilles Seitz. Et « s’inquiètent peu des conditions de travail », renchérit le Dr Hélène Béringuier. Pour Gilles Seitz, nombre de ces mesures reviennent à « gérer la pénurie ». La réforme de la médecine du travail de 2016 a espacé les visites périodiques de suivi en remplaçant les médecins par les infirmières, rappelle-t-il(7). « Or, ils ne font pas le même métier, ils sont complémentaires : il faut donc étoffer les équipes avec plus de médecins et plus d’infirmières. » Cela suppose de renforcer l’attractivité des métiers de la santé au travail comme en convient le rapport sans dire comment s’y prendre. Pour les IST, cela passerait par l’obtention du statut de salarié protégé au même titre que les médecins, plaide Nadine Rauch. « Dans les services de santé au travail autonomes, nous sommes soumis aux mêmes pressions, avec les mêmes risques », argue-t-elle. Sans oublier la formation, « qui doit être universitaire et non pas trois semaines de formation par un organisme privé », grince la présidente du GIT(8). « La formation des IST est insuffisante par rapport à ce qu’on leur demande », abonde le Dr Anne-Michèle Chartier, rappelant qu’« elles font des visites de prévention sur presque tous les risques y compris dans les cas de surveillance renforcée ».

1 - Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail.

2 - Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics.

3 - Actuellement, les établissements de santé de moins de 1 500 salariés peuvent déléguer la gestion de la santé au travail de leurs salariés à des SSTI.

4 - Association de gestion du fonds pour l’insertion professionnelle des personnes handicapées.

5 - La mission vante ainsi les mérites de la cabine de télémédecine qui permet d’« optimiser le temps médical et paramédical »..

6 - Le rapport cite l’exemple des salariés des particuliers employeurs.

7 - En 2016, 7,4 millions de visites médicales et 1,4 million d’entretiens infirmiers ont été réalisés. Source : Présanse.

8 - Au dernier Salon hôpital expo, le ministère de la Santé a annoncé l’intégration des IST dans le périmètre des travaux sur les pratiques avancées.