INTERVIEW : Nicolas GARCELON, Responsable de la plateforme data science à l’Institut Imagine (Paris)
DOSSIER
Nicolas Garcelon est responsable de la plateforme Data science à l’Institut Imagine, un centre de recherche sur les maladies génétiques. Il a notamment mis au point un entrepôt de données baptisé Dr Warehouse. Objectif : faciliter la recherche des soignants et leur pratique clinique.
L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Qu’est-ce que Data science ?
NICOLAS GARCELON : C’est une plateforme qui vise à alimenter la recherche à partir des données de l’hôpital, et à aider les pratiques hospitalières à partir des données de la recherche. Pour cela, nous développons des outils informatiques comme l’entrepôt de données Dr Warehouse, qui contient actuellement les dossiers de 550 000 patients, et compile 4,5 millions de comptes-rendus.
L’I.M. : Parlez-nous de l’entrepôt…
N.G. : Pour l’instant, il n’utilise que les données produites à l’hôpital Necker. Elles sont prises à la source, dans le dossier patient informatisé ou dans les logiciels développés localement, et l’alimentation se fait automatiquement : la personne qui entre les données au lit du patient n’a rien à faire de particulier. Notre originalité, c’est d’avoir axé notre travail sur les données textuelles, et pas seulement sur les données structurées (données chiffrées, résultats de laboratoire, etc.). Nous avons donc aussi le contenu des courriers et comptes-rendus, qui sont analysés via le traitement automatique du langage.
L’I.M. : Quel usage les chercheurs peuvent-ils en faire ?
N.G. : Dr Warehouse peut être utile pour la recherche clinique : un chercheur qui a besoin de trouver rapidement des patients éligibles pour son travail peut interroger la base de données, un peu comme dans Google, en entrant des mots ainsi que des critères numériques. Il verra alors le nombre de dossiers qui correspondent, et pourra les consulter plus en détail. L’entrepôt permet également de faire ce que nous appelons du phénotypage haut débit. On peut, par exemple, demander les signes cliniques présents chez les patients mutés sur tel ou tel gène. L’algorithme va répondre que 80 % ont de la fièvre, 20 % du diabète… Cela permet de retrouver des associations phénotypiques auxquelles on n’avait pas forcément pensé.
L’I.M. : Et l’outil peut-il être utilisé dans la pratique clinique ?
N.G. : Oui, tout à fait. On peut faire de l’aide au diagnostic, en entrant des signes cliniques. Par exemple si j’entre « infection, eczéma, thrombopénie », l’entrepôt me dira que ces signes sont souvent associés dans la base au syndrome de Wiskott-Aldrich.
L’I.M. : L’enjeu consiste-t-il à étendre l’entrepôt à davantage d’établissements ?
N.G. : Pas forcément. La question de la confiance du patient se pose également : il peut accepter que ses données soient utilisées pour la recherche au sein d’un hôpital, mais peut avoir plus de réticences si on change d’échelle. D’ailleurs, dans notre entrepôt, les utilisateurs n’ont accès qu’aux données des patients qui sont déjà passés au moins une fois dans leur service. S’ils veulent étendre leurs droits d’accès, ils doivent passer devant une commission spéciale. Mais nous travaillons pour installer l’outil dans d’autres hôpitaux : Pompidou, Foch, Sainte-Anne…
L’I.M. : Souhaitez-vous y intégrer d’autres types de données (remboursements de l’Assurance maladie, objets connectés, réseaux sociaux…) ?
N.G. : On peut intégrer ce qu’on veut dans Dr Warehouse. Mais pour l’instant, nous ne sommes pas allés plus loin. Je sais que certaines équipes travaillent par exemple à détecter les effets secondaires de médicaments sur les réseaux sociaux, mais à ma connaissance, il y a encore beaucoup à faire.
L’I.M. : Quels sont alors les axes sur lesquels vous travaillez ?
N.G. : Je pense qu’on peut aller plus loin sur la partie aide au diagnostic. Mais le plus urgent à mon sens, c’est d’améliorer le dossier patient informatisé. C’est là qu’il faut mettre de l’énergie, par exemple sur la saisie des donnés : il faudrait développer des outils pour que cela prenne moins de temps aux soignants d’une part, et pour que les chercheurs perdent moins d’informations d’autre part.
L’I.M. : Un tel entrepôt, n’est-ce qu’un gain de temps ?
N.G. : Je ne crois pas. Quand on peut avoir en dix minutes ce qui aurait auparavant pris plusieurs jours, voire plusieurs mois ou années, c’est plus qu’un gain de temps. Cela rend possible ce qui ne l’était pas auparavant.