L'infirmière Magazine n° 397 du 01/10/2018

 

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Sous la chaleur écrasante de l’été caniculaire, l’instant était pourtant glacial. L’homme assis à mes côtés sur le petit banc en bois du jardin pleurait en silence depuis de longues minutes et j’étais impuissant. Quelques semaines auparavant, il avait perdu sa compagne dans un accident de voiture, alors qu’il était conducteur. Depuis, il avait sombré dans une profonde dépression et avait tenté de mettre fin à ses jours, ce qui avait motivé son hospitalisation sous contrainte dans le service de psychiatrie. Dans les moindres détails, il m’avait raconté la catastrophe, jusqu’à la main de sa fiancée qu’il avait prise dans la sienne en attendant les secours, jusqu’au dernier regard, jusqu’au dernier souvenir d’une vie amoureuse de dix ans. Puis, simplement, d’une voix triste et teintée d’une certitude sereine, il m’avait interrogé. « Pourquoi m’empêchez-vous de la rejoindre ? Elle était toute ma vie. Comment pourrai-je survivre après cela ? Parce que la vie continue ? Mais quelle vie m’offrez-vous ? »

J’étais saisi par l’émotion et sans voix après sa question. J’imaginais être à sa place, rentrer seul le soir dans un appartement sans bruit, plier sous le poids des photos accrochées sur les murs, dormir dans un lit froissé à moitié, sentir le parfum de vieux pulls usés et écouter en boucle ses chansons préférées. Que pouvais-je dire ? Je n’avais pas les mots et doutais de ma fonction de soignant car nous ne pourrions jamais offrir à cet homme un espoir de bonheur. Plus tard, mon patient se réfugiait dans le sommeil, seule possibilité de répit, et peut-être de rêverie. Ma vieille collègue Germaine, sentant mon embarras, me rejoignait. « Christophe, parfois les plaies sont si profondes que guérir n’est qu’utopie. Parfois, les mots sont un écran qui ne protège que les soignants de leur propre peur du vide. Aucune parole n’apaisera notre patient aujourd’hui. Alors, que dire ? Et si, simplement, nous nous taisions pour être à ses côtés, comme de silencieuses sentinelles veillant pour sa survie en espérant l’éclaircie ? » Après deux mois d’hospitalisation, notre patient quittait le service, toujours aussi triste mais vivant et en sécurité chez ses parents qui prenaient le relais. Germaine avait raison. Depuis, j’ai moins peur du vide. Ainsi, souvent, sous la chaleur des étés caniculaires comme dans le froid des hivers, assis sur le petit banc en bois du jardin, je veille sur mes patients en sentinelle silencieuse.