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Agnès Buzyn a annoncé à la rentrée une série de mesures visant à améliorer l’information sur le médicament à la suite du rapport qui lui a été remis à ce sujet par Magali Leo, responsable du plaidoyer chez Renaloo, et Gérald Kierzek, médecin urgentiste.
« Les associations de patients peuvent faire pression en cas de problème »
Quelles leçons retenez-vous de la crise du Lévothyrox ?
Il m’est apparu qu’il y a eu d’emblée une réaction étrange des autorités sanitaires, qui a consisté, dès l’origine, à dire qu’il s’agissait juste d’un problème de communication ayant donné lieu à un effet nocébo. Cela a été le discours majeur pendant plusieurs mois. C’est une manière assez claire de disqualifier les propos des patients qui rapportaient des effets secondaires constatés avec la nouvelle formule du médicament. Avant même qu’il y ait des enquêtes sérieuses sur la molécule, ses conditions de production ou que l’on dispose de données pharmacologiques plus précises, on a fait comme si les problèmes n’étaient ni réels ni objectivables. On conçoit que ce soit choquant pour les patients.
Agnès Buzyn, la ministre de la Santé, a annoncé une plateforme numérique d’information sur le médicament. Cela vous semble une bonne idée ?
Ce qu’une personne va pouvoir comprendre au travers d’un site de ce type va bien sûr dépendre de son bagage socio-culturel, mais c’est une bonne chose d’avoir le maximum d’informations. Il serait souhaitable que cela puisse être complété par ce que peut dire un médecin à son patient. Ce qui suppose que ce dernier ait lui-même reçu cette information. Or, les médecins connaissent mal les médicaments.
La notion de bénéfice/risque d’un médicament est-elle aujourd’hui connue ?
Il est certain que la plupart des patients savent qu’il y a des risques avec le médicament, que ce n’est pas un objet de consommation comme un autre. À quelques exceptions près, les gens sont conscients que tous les médicaments ont des effets secondaires. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles ils ne suivent pas toujours bien leurs traitements. En revanche, je ne suis pas certaine que la question du rapport entre le bénéfice et le risque soit toujours bien cernée. Elle mériterait certainement un apprentissage.
Qui pourrait s’en charger ?
Cela pourrait être expliqué au grand public par les autorités sanitaires au travers de supports d’information. On pourrait aussi le prévoir dans les programmes scolaires, dans le cadre de l’enseignement des sciences de la vie. Dans le cas des maladies chroniques, on voit que les associations de patients et les “patients experts” - qui ont acquis une connaissance de leur maladie par leur expérience et par leur volonté de s’informer - peuvent aussi jouer ce rôle d’explication sur le médicament auprès de leurs pairs.
C’est ce qui s’est passé dans l’affaire du Lévothyrox…
Oui, les associations de patients ont un rôle important dans la sphère sociale car ils peuvent faire pression lors de l’apparition d’un problème. Ils représentent un poids numérique et donc un poids politique, qui leur permet aussi de soulever certains problèmes dans le champ de la santé, autour du médicament ou autre. Une sociologue britannique a montré que si les patients sont mieux informés aujourd’hui, et qu’on les écoute davantage, c’est grâce, en particulier, aux associations de patients.
« Il y a un déficit d’information sur le médicament en général »
Quelle leçon tirez-vous de la crise du Lévothyrox ?
Le Lévothyrox est un médicament à marge thérapeutique étroite, il y avait déjà eu des difficultés lors de la mise sur le marché du générique et lors de celle de la nouvelle formule à l’étranger. Ces précédents auraient dû aboutir à ce qu’on porte une attention particulière à ce médicament quand la nouvelle formule est arrivée en France. Dans le rapport, nous plaidions pour la mise en place d’une cellule collégiale qui impliquerait toutes les parties prenantes, c’est-à-dire les industriels, les professionnels de santé et bien sûr les patients, pour définir les critères permettant de porter une vigilance particulière à un médicament.
La création d’une plateforme d’information publique sur le médicament vous semblet-elle une bonne idée ?
Je note tout d’abord que la ministre a bien accueilli notre rapport, dont les constats étaient plutôt sévères. Cependant, ces annonces sont un peu en retrait par rapport à nos propositions. Nous souhaitions une plateforme qui rassemble toutes les informations disponibles sur le médicament, y compris les informations contradictoires et les débats. Elle aurait été accompagnée d’une possibilité de poser des questions sur le médicament par mail pour les patients et par téléphone pour les prescripteurs, qui ont besoin d’une réponse immédiate.
La culture générale des Français sur le médicament vous semble-t-elle assez bonne aujourd’hui ?
On se rend compte qu’il y a un déficit d’information sur ce sujet de manière générale et, en particulier, sur la signification de la notion de balance bénéfice/risque. Je suis très attachée à ce que chacun comprenne qu’une autorisation de mise sur le marché d’un médicament n’est pas un certificat d’innocuité. Ce n’est pas un bien de consommation comme un autre. Tout le monde est capable d’accepter cette zone de risque à condition qu’il y ait suffisamment de transparence. Un médicament présente des risques dès qu’on le met sur le marché et il y a parfois de nouveaux risques qui apparaissent dans son utilisation. C’est pourquoi il est indispensable de s’outiller de davantage de dispositifs d’évaluation des médicaments en vie réelle.
La ministre de la Santé a insisté sur l’importance de la déclaration des effets indésirables par les professionnels de santé. Est-ce votre point de vue ?
Oui, c’est très important. Dans les faits, on se rend compte que le dispositif de déclaration des effets indésirables, mis en place l’année dernière, ne tient compte que des événements vraiment graves. En tant que représentante des usagers, j’insisterais surtout sur le fait que les patients peuvent également désormais déclarer les effets indésirables eux-mêmes. Cela me semble très utile que l’effet indésirable ressenti soit d’ailleurs grave ou paraisse plus anodin. En effet, la multiplication d’effets indésirables, même peu graves, peut montrer l’existence d’un problème ou d’une anomalie avec un médicament. Notre association, Renaloo, est d’ailleurs en train de travailler sur un dispositif de pharmacovigilance par les pa tients eux-mêmes.
ANTHROPOLOGUE, DIRECTRICE DE RECHERCHE À L’INSERM
→ 1984 : doctorat d’ethnologie et anthropologie sociale à l’École des hautes études en sciences sociales (Paris)
→ 1997 : habilitation à diriger des recherches en anthropologie sociale
RESPONSABLE DU PLAIDOYER DE L’ASSOCIATION DE MALADES DU REIN RENALOO
→ Depuis 2017 : responsable du plaidoyer de l’association de malades du rein Renaloo
→ 2008-2017 : chargée de mission du Collectif inter-associatif sur la santé (aujourd’hui, France assos santé)
→ Juin 2018 : auteure du rapport sur « l’amélioration de l’information des usagers et des professionnels de santé sur le médicament »
Voici les principales mesures annoncées par la ministre de la Santé.
→ Mettre en place une source unique d’information publique sur le médicament.
→ Optimiser et faciliter la coordination des soins entre les prescripteurs et les pharmaciens d’officine.
→ Confier la communication d’urgence en cas d’alerte sur un médicament à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM).
→ Encourager les remontées d’information des patients et des professionnels de santé.
→ Assurer une mobilisation rapide des professionnels de santé au travers de l’outil de messagerie d’alerte DSG-Urgent.
→ Renforcer la transparence de l’information en permettant une représentation des usagers au sein du Comité économique des produits de santé (CEPS), qui fixe les prix des médicaments.