PÉDOPSYCHIATRIE
SUR LE TERRAIN
TRANSMISSIONS
SYLVIE DEVEIX* NATHALIE FRANC**
*infirmière
**pédopsychiatre,
service médico-psychologique
pour enfants et
adolescents (SMPEA), CHU
de Montpellier
Une cellule d’écoute, mise en place au CHU de Montpellier depuis novembre 2015, propose d’accompagner, sous la forme de groupes de psycho-éducation, les parents d’enfants ayant un comportement tyrannique. Un dispositif unique en France.
Si, à ce jour, il n’y a pas d’éléments pour avancer des chiffres de prévalence sur les enfants tyrans, de plus en plus de parents y seraient confrontés. Un comportement tyrannique n’est pas une catégorie diagnostique mais l’enfant présente, au moins, un trouble oppositionnel avec provocation, estime le DSM-5(2). Il fait preuve de violence physique et/ou verbale à la maison et peut utiliser les menaces ou le chantage pour parvenir à ses fins. En revanche, hors de la maison, il ne présente pas de difficulté majeure de comportement. Comme son attitude varie selon les lieux, les parents ne sont pas toujours compris par leur en tou rage et n’osent pas parler de ce que leur fait vivre l’enfant au quotidien.
Le CHU de Montpellier a mis en place, en novembre 2015, une cellule d’écoute, sous la forme de groupes de psycho-éducation, pour accompagner les parents d’enfants tyrans. Le dispositif, unique en France, s’adresse aux parents qui ont perdu le contrôle à la maison. L’idée est de mettre en place des stratégies adaptées : les soignants enseignent des techni ques aux parents qui doivent s’en saisir.
Les patients de notre service ont généralement fait de nombreuses démarches de suivi, et sont dans des situations d’épuisement physique et mental. En amont des groupes de psycho-éducation, nous les interrogeons sur la situation : l’enfant at- il pris le contrôle ? Ont-ils peur de lui, de ses réactions ? Ont-ils renoncé à beaucoup de choses du fait de ses troubles ? Ont-ils honte de ce qui se passe à la maison ? L’enfant est-il violent ? Au tant de questions qui permettent déjà de définir le degré de soumission et de crainte des parents. Chaque groupe se réunit le jeudi, de midi à 14 h, et comprend douze séances de deux heures. La première est dédiée aux témoignages des parents, qui présentent l’enfant. Ces séances sont très émouvantes car c’est souvent la première fois qu’ils s’autorisent à évoquer leurs difficultés en dehors de la cellule familiale. Cette mise en commun leur permet aussi de réaliser qu’ils ne sont pas seuls à en souffrir, ce qui diminue le sentiment de culpabilité. Nous en profitons pour définir ce qu’est un enfant à comportement tyrannique car il est nécessaire de mettre des mots sur leur vécu. La deuxième séance détaille les facteurs de risque. Par exemple, ces enfants présentent souvent un trouble anxieux, un trouble de l’humeur ou un déficit d’attention. On re trouve aussi, dans leur histoire, des problèmes de santé qui ont in quiété les parents et entraîné un surinves tissement. Les enfants adoptés, uniques ou arrivés tardivement sont aussi plus enclins à présenter un comportement tyrannique. Le diagnostic les aide à décrypter le fonctionnement de l’enfant et à comprendre qu’il ne s’agit pas d’un problème “éducatif” mais aussi d’un trouble médical, qui va avoir des conséquences sur le fonctionnement familial. C’est souvent là qu’ils entendent, pour la première fois, prononcer les mots « maltraitance », « abus psychologiques, financiers et physiques » pour décrire leur vécu.
Au début de la prise en charge, les parents sont souvent épuisés, autant physiquement que psychiquement : ils se sentent dévalorisés dans leur rôle de parent. Il est essentiel de les déculpabiliser afin qu’ils trouvent l’énergie pour mettre en place les concepts de la résistance non violente dont nous nous inspirons.
La troisième séance aborde le concept de la résistance non violente mis au point par Haim Omer, professeur de psychologie à Tel Aviv (Israël) pour faire face aux comportements agressifs des enfants et adolescents. L’idée est que l’on ne peut pas reprendre le pouvoir en utilisant la force contre l’enfant : d’une part, cela risque d’entraîner une escalade de la violence et, d’autre part, le parent se décrédibilise. Pour autant, il faut adopter une attitude fer me et ne pas laisser passer un comportement inapproprié ou agressif. Les réactions des parents doivent donc être différées et non violentes. Nous les encourageons à faire appel à d’autres personnes qui vont valider leur autorité auprès du jeune ; l’objectif étant de modifier le positionnement et le comportement du parent, et non celui de l’enfant. Il s’agit de les aider à instaurer une nouvelle autorité parentale, tout en les incitant à sortir de l’isolement et à en parler à leur entourage.
Les séances suivantes proposent de se projeter face à des cas concrets. La première mesure est de rédiger une déclaration pour annoncer à l’enfant qu’ils vont modifier leur comportement vis-à-vis de lui. Ils vont imaginer ce que cela impliquerait pour l’enfant. Cette séance soulève beaucoup de questions, et parfois des doutes, sur leur capacité à lire la déclaration à l’enfant. Là encore, nous sommes là pour les rassurer. Les parents de Romain avaient, pour leur part, peur de la réaction de leur fils au moment de la déclaration. Ils craignaient qu’il ne les écoute pas ou qu’il tourne la démarche en dérision. Bien que ce soit parfois ce qui se passe, l’objectif est simplement de lui faire part d’un nouveau positionnement parental. C’est à l’infirmière de rappeler ces principes théoriques aux parents lors des échanges autour de cas concrets. Il n’est pas toujours simple d’adhérer à ces principes, d’autant que le groupe ne propose pas une méthode pour changer le comportement de l’enfant - qui ne perçoit pas l’intérêt de modifier son comportement - mais de modifier celui des parents. L’IDE répond aux questions des parents, le jour de la séance (avant ou après), ou au téléphone et en entretiens particuliers lors de rendez-vous. Ces entretiens en tête-à-tête sont demandés par les parents dans certains cas :
- ils n’ont pu assister à toutes les séances et veulent une explication sur une étape du programme ;
- ils souhaitent échanger de façon plus individuelle sur leur situation;
- ils veulent des précisions sur les techniques à mettre en place à la maison car certaines situations peuvent être très complexes.
La vitesse de cheminement et de progression étant variable, cela leur permet de reprendre posément des concepts évoqués précédemment. Pour certaines familles, la participation au groupe est associée à un accompagnement de l’enfant : l’IDE a alors un rôle central de référente. Dans certaines situations, elle peut même intervenir à domicile.
Les parents de Romain ont pu rédiger et faire leur déclaration. Le père a réussi à se mettre en retrait quand son fils le provoquait et l’insultait, et a fait intervenir des tiers. Ainsi, lors d’une crise, les parents ont demandé de l’aide aux voisins qui sont intervenus, ce qui a surpris Romain et a stoppé la crise. Le lendemain, le parrain du garçon s’est rendu à son domicile pour lui apprendre à reboucher les trous dans les murs. Dès lors, il n’en fait plus. Les parents ont aussi appris à prendre du recul et repris les activités à deux. Ils ne donnent plus systématiquement suite aux demandes de leur fils. Résultat : celui-ci a accepté de revoir une psychologue pour l’aider à surmonter son anxiété de séparation.
1 - Service médicopsychologique.
2 - La version 5 du DSM, Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, de l’Association américaine de psychiatrie, a été publiée en français en 2015.
Romain est un adolescent réservé. En consultation au SMP(1) pour enfants et adolescents, il évoque ses craintes vis-à-vis des autres élèves et ses difficultés d’apprentissage. Ses parents décrivent, eux, un enfant au comportement difficile, qui réagit de manière excessive aux frustrations : il brise des objets si ses parents sortent sans lui, menace de sauter du toit s’ils ne lui achètent pas ce qu’il veut, refuse d’aller en classe si on ne le paie pas, frappe ceux qui s’interposent. De crainte qu’il se blesse ou qu’il fasse du mal à ses frères et sœurs, ses parents n’ont d’autre choix que de céder.
→ 2014 : venue du Pr Haim Omer à Montpellier pour une conférence sur la résistance non-violente.
→ 2015 : adaptation et démarrage du programme CAP (contrôle actif parental) pour les parents d’enfants à comportement tyrannique.
→ 2017 : démarrage du projet de recherche clinique au CHU de Montpellier pour évaluer l’efficacité du programme courant 2019.
→ L’enfant tyran prend le contrôle. Il y a une inversion de la hiérarchie familiale car l’enfant décide de tout. Sinon, il connaît des crises violentes, s’en prend à lui-même, aux autres ou au matériel. La menace suicidaire est souvent utilisée. En revanche, hors de la maison, rien ne transparaît : c’est un enfant plutôt calme, voire inhibé, parfois anxieux. Les parents ne savent pas comment agir : d’une part, ils cherchent à excuser son comportement, de l’autre, ils culpabilisent.
→ En parallèle des groupes de psycho-éducation, une hospitalisation à jour peut être proposée. Sur un temps d’évaluation et/ou d’observation, l’enfant est accueilli sur une à trois demi-journées. On peut aussi proposer une prise en charge pour travailler sur les symptômes : anxiété, Tocs, dysrégulation émotionnelle, etc.