FORMATION
L’ESSENTIEL
CLAIRE MANICOT* DR ANNICK LE ROL**
*ONCOLOGUE MÉDICALE
** RESPONSABLE DU CENTRE DE COORDINATION
EN CANCÉROLOGIE DE CORNOUAILLE (QUIMPER)
Avec 55 000 nouveaux cas par an, le cancer du sein est le cancer le plus souvent diagnostiqué chez la femme. Son traitement, qui associe différentes thérapeutiques, est de plus en plus personnalisé selon les caractéristiques de la tumeur et de la patiente.
Le sein est l’organe de la lactation, situé en avant des muscles pectoraux, entre la troisième et la septième paire de côtes. Il est constitué d’une glande entourée de fibres de soutien et de graisse, qui lui donne sa forme. La peau qui le recouvre présente en son centre un disque pigmenté, appelé aréole mammaire, qui luimême entoure le mamelon (orifice d’éjection du lait). La glande mammaire contient des milliers d’alvéoles, petits sachets microscopiques qui produisent le lait. Ils sont regroupés en lobules puis lobes, via une ramification complexe de canaux galactophores qui abouchent à la peau au niveau du mamelon par une dizaine de pores. Le tissu du sein est constitué de cellules épithéliales, qui tapissent la paroi interne des lobes, lobules, alvéoles (cellules luminales alvéolaires) et canaux (cellules luminales canalaires), et de cellules myoépithéliales, qui forment une couche intermédiaire en contact avec la membrane basale, qui délimite la glande mammaire.
Comme tout organe, le sein comporte un réseau de vascularisation artères et veines et un réseau lymphatique par les ganglions axillaires (sous le bras), sus et sous-claviculaires et mammaires internes (derrière le sternum). La glande mammaire évolue selon les différents stades de la vie génitale de la femme (puberté, accouchement, allaitement, ménopause), sous l’influence de la production d’hormones, d’œstrogènes et de progestérone.
→ Âge : pas moins de 78 % des cancers sont diagnostiqués chez des femmes de plus de 50 ans, et environ 10 % chez des femmes de moins de 35 ans.
→ Facteurs hormonaux : il est admis que le niveau d’imprégnation et la durée d’exposition aux œstrogènes est un facteur favorisant l’apparition d’un cancer du sein. Ainsi, une puberté précoce (avant 12 ans), une ménopause tardive (après 55 ans), l’âge tardif de la première grossesse, l’utilisation de contraceptifs œstro-progestatifs et les traitements hormonaux substitutifs après la ménopause seraient des facteurs de risque. A contrario, chaque grossesse et chaque allaitement long (plus d’un an) sont des facteurs protecteurs.
→ Mode de vie et environnement : le risque de survenue de cancer du sein est augmenté par l’alcool, le tabac, la sédentarité et une alimentation riche en graisses animales. Les femmes ménopausées en surpoids ou obèses présentent un risque supplémentaire de développer un cancer. Enfin, le travail de nuit entraîne des perturbations hormonales qui pourraient favoriser la survenue de cancers. La question du rôle de l’environnement dans la survenue de cancers du sein (pollution atmosphérique, pesticides, perturbateurs endocriniens, imagerie médicale…) est régulièrement discutée mais aucune association n’a été démontrée.
→ Facteurs génétiques : on estime de 3 à 5 % des cas le nombre de cancers du sein familiaux qui ont la particularité de pouvoir apparaître à un très jeune âge, d’être de mauvais pronostic et associés à d’autres tumeurs. En cas de suspicion de prédisposition familiale, on orientera la patiente vers une consultation d’oncogénétique pour rechercher des mutations au niveau des gènes Breast Cancer (BRCA 1 et BCRA 2) (voir encadré p. 38).
Une palpation des seins par un médecin généraliste, un gynécologue ou une sage-femme est recommandé tous les ans à partir de 25 ans. Depuis 2004, un dépistage organisé est proposé en France à toutes les femmes âgées de 50 à 74 ans, à raison d’une mammographie de deux clichés tous les deux ans, complétée si besoin d’une échographie. L’intérêt du dépistage organisé par rapport au dépistage individuel est la double lecture des clichés et la prise en charge à 100 % des examens sans avance de frais. 51,8 % des femmes diagnostiquées le sont aujourd’hui dans le cadre du programme de dépistage organisé (lire p. 40).
→ Examen clinique : le cancer du sein peut être asymptomatique et donc découvert de manière fortuite lors d’une mammographie de dépistage (or ganisé ou individuel). Dans certains cas, on peut re trouver des symptômes à l’examen clinique : la présence d’une boule à la palpation, le plus souvent non douloureuse; une modification de la peau du sein (érythème, œdème…), du mamelon ou de l’aréole (rétractation, écoulement…) ; une adénopathie axillaire ou sus-claviculaire.
→ Examens :
• La mammographie est l’examen de référence qui va permettre de repérer une masse ou une zone suspecte. Les images sont classées de ACR1 (mammographie normale) à ACR5 (anomalie évocatrice de cancer). Elle sera complétée par une échographie. Une IRM ne sera réalisée que dans certains cas.
• Le prélèvement par biopsie est l’examen histologique qui permet de poser le diagnostic de cancer. Selon que la lésion est retrouvée ou non à l’échographie, on réalisera une microbiopsie (suffisante pour les masses ou les nodules) ou une macrobiopsie (quand les lésions ne sont pas palpables).
• Le bilan d’extension n’est pas systématique et est adapté à la gravité pressentie. Il comprendra par exemple une radiographie du thorax, une échographie abdominale ou un scanner thoraco-abdomino-pelvien et une scintigraphie osseuse.
Les cancers du sein sont en majorité des carcinomes, cancers qui se développent à partir du tissu épithélial (peau, muqueuse et tissu de revêtement des organes).
→ Selon le stade évolutif
• - Le carcinome in situ. Au stade initial, les cellules cancéreuses sont présentes uniquement au niveau des canaux ou des lobules et n’ont pas franchi la membrane basale. Dans 90% des cas, ce sont des cancers in situ canalaires. Les cancers in situ lobulaires ne sont pas considérés comme des cancers du sein à proprement parler, mais comme des facteurs de risque.
• Le carcinome infiltrant signifie que les cellules cancéreuses ont infiltré le tissu qui entoure les canaux (carcinome canalaire infiltrant) ou les lobules (car cinome lobulaire infiltrant). Ils sont à risque d’envahir les ganglions lymphatiques et donner des métastases.
→ Le cancer métastatique se traduit par une dissémination des cellules cancéreuses du sein vers d’autres organes du corps (le plus souvent : foie, os, poumons, cerveau).
→ La classification TNM, en anglais « Tumor, Nodes, Metastasis » de l’Union internationale contre le cancer (UICC), permet de définir un stade du cancer avec une annotation des caractéristiques par lettre ou par chiffre :
- taille de la tumeur : de Tx (ne peut être évaluée) à T4 ;
- degré d’envahissement des ganglions : de Nx (ne peut être évalué) à N3 ;
- présence de métastase : Mx (renseignements in suffisants), M0 et M1.
On parle de classification cTNM (c pour clinique) lorsqu’elle est réalisée à partir de l’examen clinique et de classification pTNM lorsqu’elle est réalisée après l’examen anatomopathologique (p pour pathologie).
→ Selon l’agressivité de la tumeur : il s’agit d’établir l’agressivité de la tumeur soit par le grade de Scarff-Bloom, soit par le grade Elston-Ellis, de I à III, à partir d’une observation microscopique des cellules cancéreuses, notamment de leur différenciation avec les cellules normales. plus les cellules gardent les caractéristiques d’une cellule normale, plus la tumeur est dite bien différenciée, de bas grade et moins agressive. Plus elles sont différentes, objet de nombreuses divisions cellulaires, plus la tumeur est dite indifférenciée, de haut grade et plus agressive. Sur les comptes-rendus d’examen, le grade est souvent exprimé par la lettre G ou SBR, suivie des chiffres I, II ou III.
→ Selon l’examen immunohistochimique : l’examen se pratique sur le prélèvement qui a servi au diagnostic de cancer. Il va permettre d’établir certaines caractéristiques.
•Le statut des récepteurs hormonaux (RH). L’examen détermine si la tumeur possède des récepteurs hormonaux aux œstrogènes (RO) et à la progestérone (RP). Elle est alors dite hormonosensible (RH+) et une hormonothérapie, bloquant le lien hormonerécepteur, permet de diminuer le risque de récidive.
• Le statut de HER2 (Human Epidermal Growth Factor Receptor-2). Le hER2 est une protéine présente à la surface des cellules qui stimule leur croissance. Les tumeurs qui surexpriment la HER2 (HER2+) sont susceptibles de proliférer davantage, ce qui sera donc un critère dans la décision de mettre en place une chimiothérapie. Le pronostic plus grave de ces cancers a été contrebalancé depuis une dizaine d’années par l’utilisation, associée le plus souvent à une chimiothérapie, d’un anticorps anti-HER2.
Les traitements du cancer du sein (nous parlerons ici uniquement des cancers non métastatiques) reposent sur une panoplie de thérapeutiques à adapter à chaque patiente : chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie, thérapies ciblées et hormonothérapie, en fonction du stade du cancer et des facteurs de risque de récidive.
Une intervention chirurgicale est systématique dans les cancers du sein non métastatiques (hormis dans les cancers inflammatoires où la chimiothérapie est prescrite d’emblée). Elle s’accompagne toujours d’une intervention sur les ganglions axillaires. Le curage axillaire (prélèvement de l’ensemble des ganglions) devient de plus en plus rare au profit de la technique du ganglion sentinelle, permettant d’identifier, grâce à un colorant, les ganglions susceptibles de drainer, via la lymphe, les cellules métastatiques et de ne prélever que ceux-là. La chirurgie peut être partielle ou totale, la décision se fera selon la taille de la tumeur et du sein, et parfois selon les préférences de la patiente. Un examen anatomo-pathologique (description, examens histologique et immunohistochimique) de la pièce opératoire sera toujours réalisé et permettra d’affiner le diagnostic.
• La tumorectomie consiste à enlever la tumeur avec une marge de tissu sain. La femme sera prévenue de l’éventualité d’une nouvelle intervention en cas de berges insuffisantes.
• La mastectomie consiste à retirer la totalité du sein, y compris souvent l’aréole et le mamelon. Une reconstruction mammaire est possible (voir encadré p. 39) en cas de mastectomie. Elle peut être immédiate dans les cancers in situ en l’absence de radiothérapie et de chimiothérapie post-opératoire. Sinon, elle pourra être envisagée généralement dans un délai d’un an. Il existe deux principales techniques. premièrement, un implant mammaire en gel de silicone peut être introduit par la cicatrice de mastectomie. Deuxièmement, le chirurgien va utiliser des tissus provenant d’autres parties du corps (dos, abdomen).
Il s’agit de l’administration de rayonnements ionisants sur une zone du thorax délimitée : la glande mammaire et le lit tumoral en cas de chirurgie partielle, la paroi thoracique en cas de mastectomie et les ganglions mammaires internes et sus-claviculaires. Après une tumorectomie, une radiothérapie est quasiment toujours prescrite tandis qu’après une mastectomie totale, elle sera uniquement indiquée pour les cancers infiltrants, en fonction des facteurs de risque de récidive. Les séances durent une vingtaine de minutes, cinq jours sur sept, pendant cinq à six semaines généralement.
La chimiothérapie
C’est un traitement dit “systémique” car délivré par voie veineuse le plus souvent. La chimiothérapie atteint toutes les cellules cancéreuses, quelle que soit leur localisation, même si elles sont indétectables. Le traitement standard utilisé dans le cancer du sein invasif associe trois à quatre médicaments : le 5-fluorouracile, l’épirubicine et le cyclophosphamide, le docetaxel ou paclitaxel. Il s’administre en perfusion intraveineuse d’une heure environ toutes les trois semaines, en quatre à six cures, et nécessite généralement la pose d’une voie veineuse centrale ou d’un cathéter avec une chambre implantable. Des tests basés sur le profil génétique des cellules cancéreuses et non sur la description histologique (oncotype DX, par exemple) sont actuellement expérimentés dans quelques établissements : ils permettraient de prédire, pour chaque patiente, la probabilité des bénéfices potentiels de la chimiothérapie et donc de l’éviter lorsqu’elle n’est pas nécessaire.
On appelle thérapies ciblées des médicaments qui agissent sur des caractéristiques spécifiques des cellules cancéreuses. Ils sont administrés par perfusion de trente minutes, une fois par semaine, ou toutes les trois semaines, pendant une durée d’un an. Dans le cancer du sein invasif, on peut utiliser l’herceptin (trastuzumab) qui bloque la protéine hER2 et donc l’un des processus de développement des cellules cancéreuses.
L’hormonothérapie est indiquée dans les tumeurs hormonosensibles, elle va empêcher l’action stimulante des hormones féminines sur les cellules cancéreuses. C’est un traitement simple à mettre en place (un comprimé par jour) mais relativement contraignant car il est prescrit au long cours, généralement pour une durée de cinq ans (voire dix ans dans certains cas).
1- À consulter sur : bit.ly/2pfD2tL
1 - bit.ly/2LAvBQ5
2 - bit.ly/2oekvnA
3 - bit.ly/2wtvG2o
En fonction d’un certain nombre de critères (nombre de cancers du sein dans une même branche parentale, âge de survenue, etc.), une consultation d’oncogénétique peut être proposée à la patiente. Une recherche de mutation sera effectuée sur les gènes BRCA1 et BRCA2. En cas de résultats positifs, il sera proposé aux apparentés un test génétique. Les femmes chez qui une mutation génétique aura été identifiée pourront bénéficier d’une prise en charge spécifique : examen clinique (deux par an) et IRM (chaque année à partir de 20 ans), échographie et mammographie à partir de l’âge de 30 ans. Elles peuvent aussi recourir à la chirurgie prophylactique.
Un documentaire très pédagogique, « Guérir le regard » de Caroline Swysen, présente les méthodes de reconstruction mammaire et des témoignages de femmes. Il est consultable(1) sur le site de l’Institut Curie de Paris.
Voici la vidéo que toutes les femmes atteintes de cancer du sein devraient visionner ! En une heure, elles auront des explications claires sur les principales techniques : pose d’un implant mammaire, lipomodelage à partir de graisse prélevée sur l’abdomen notamment, ou reconstitution du sein à partir d’un lambeau de muscle prélevé au niveau dorsal. À l’origine du film, le constat, opéré par le groupe de travail Info-Seins, que les femmes manquent d’informations.
Ce groupe, créé par le Dr Séverine Alran, chirurgienne, et Lydie Wintz, cadre en chirurgie, réunit patientes et soignants. Le documentaire montre les seins avant et après les interventions, présente les techniques opératoires, schémas à l’appui. Mais, surtout, la force du film réside dans les nombreux témoignages de femmes, avec leurs doutes, leurs questionnements. Sylvie bénéficie d’une reconstruction immédiate avec un implant après la chirurgie, tandis que Geneviève choisit la technique du lipomodelage, deux ans après l’annonce de son cancer… Il y a aussi celles qui n’ont pas eu envie d’une chirurgie en plus, ou peur d’un nouveau sein qui ne plaira pas. Géraldine a choisi la prothèse externe à glisser dans son soutien-gorge, Cathy trouve plus confortable le soutiengorge asymétrique. Et le documentaire de conclure : « Il y a donc autant de chemins que de femmes. Aucun protocole médical, aucune norme, qu’elle soit esthétique, temporelle ou sociale, aucune personne ne peut et ne doit interférer dans cette décision essentielle qui se situe à la confluence intime de chaque femme. En revanche, il faut baliser des pistes, donner des éclairages et surtout, donner du temps au temps. »
À retrouver aussi : les cinq vidéos pédagogiques « Chuis pas docteur », réalisées par l’Institut Curie et l’illustratrice Lili Sohn, présentant les différentes techniques de reconstruction.
→ Prévalence(1) :
650 000 femmes atteintes ou ayant été atteintes d’un cancer du sein en France.
→ Incidence(2) :
54 000 nouveaux cas par an. 78 % des cancers sont diagnostiqués chez des femmes de 50 ans et plus. Première cause de mortalité par cancer de la femme.
→ Survie(3) :
Près de neuf femmes sur dix survivent après cinq ans et près de huit femmes sur dix après dix ans.
La France se situe parmi les pays avec les taux de survie les plus élevés en Europe.
Sources : chiffres diffusés par l’Institut de veille sanitaire, santé publique France.