L'infirmière Magazine n° 398 du 01/11/2018

 

INTERVIEW : ISABELLE MOUNIAMAN DIRECTRICE ADJOINTE DES OPÉRATIONS CHEZ MÉDECINS SANS FRONTIÈRES

DOSSIER

S. L.  

L’ancienne infirmière, devenue responsable des programmes chez Médecins sans frontières, travaille dans l’humanitaire depuis 1999. Elle porte un regard plein d’honnêteté sur son activité et l’évolution des pratiques.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : En quoi consiste votre poste de directrice adjointe des opérations chez MSF ?

ISABELLE MOUNIAMAN : Je suis le point central entre les acteurs en charge de la gestion hospitalière et chirurgicale (stratégie, chirurgie de reconstruction, déploiement des équipes…). Mon équipe et moi essayons de rendre opérationnelles des structures médicales dans des zones de conflit. Il peut s’agir de mettre en place des vaccinations pour répondre à une épidémie de méningite par exemple. Je travaille au siège à Paris mais je rends régulièrement visite à mes équipes pour évaluer les projets médicaux.

L’I. M. : Comment êtes-vous passée du métier d’IDE à ce poste ?

I. M. : J’ai alterné pendant des années les missions et le travail en tant qu’IDE en cancérologie médicale à l’Institut Curie. Après avoir exercé huit ans, j’ai pris part à ma première mission, en Abkhazie (Géorgie), où je gérais la pharmacie d’un projet. Le gros challenge a été de s’adapter à la dénomination internationale des médicaments. Le travail d’infirmière chez MSF est un poste de supervision, d’organisation des soins et de formation alors qu’en France, ce sont plutôt les cadres qui gèrent cela. Le profil d’infirmière, par son côté généraliste, aide énormément à s’impliquer sur toutes les facettes des métiers de l’humanitaire. J’ai ensuite suivi un master en santé publique à Londres. Cela m’a permis de devenir responsable des programmes à Paris. J’étais alors en charge de plusieurs pays (Haïti, Irak, Iran, Congo-Brazzaville…).

L’I. M. : Quelles actions mène la médecine humanitaire ?

I. M. : Le champ des professions de l’humanitaire va de l’urgence, c’est-à-dire la réponse à une situation de crise, au fait d’aller là où les autres ne vont pas. Monter un camp de vaccination peut être une réponse à une crise sanitaire, comme visiter des camps de déplacés ou monter des centres de santé, de pédiatrie, ou pour les femmes enceintes.

L’I. M. : Quelles relations avez-vous avec les autorités locales ?

I. M. : En général, notre premier partenaire est le ministère de la Santé du pays. MSF peut gérer un service d’un hôpital alors que le ministère de la Santé a en charge le reste. On nous “prête” du personnel ou on en engage. En République centrafricaine, où le système de santé est à plat, les ONG reprennent de facto les activités médicales du pays. Quand c’est possible, on repasse la main aux autorités mais cela peut être tendu selon le gouvernement en place.

L’I. M. : Comment se gèrent les relations avec les groupes armés ?

I. M. : Pour la sécurité de nos personnels et pour obtenir des garanties de pouvoir travailler, nous voulons être en contact avec toutes les parties dans un pays en conflit. Un combattant devient un patient chez nous. Nous sommes transparents là-dessus par rapport aux groupes rebelles.

L’I. M. : Est-il déjà arrivé à l’une de vos équipes de quitter une zone en cas de tension accrue ?

I. M. : Si nous intervenons dans un pays où il n’y a que de petits troubles ou une épidémie et qu’un conflit se déclare ensuite, nous restons. Mais cela va influencer la composition de l’équipe, le choix de nos activités et la façon de tisser des liens avec les acteurs locaux. En Côte d’Ivoire, par exemple, nous avons travaillé en 2016 sur un programme lié à la natalité et au développement de thématiques sanitaires relatives à la mortalité des femmes. Nos actions auraient été tout à fait différentes si le pays avait été en conflit à ce moment-là.

L’I. M. : Prédisez-vous ainsi parfois vos actions à venir ?

I. M. : Lorsque l’on s’attend à ce que la situation se tende dans un pays (en raison d’élections par exemple), nous préparons un plan de contingence pour estimer les pics de violence qui pourraient survenir. On peut aussi faire des missions exploratoires pour juger les moyens médicaux existants. Par ailleurs, nous allons entrer dans la période cyclonique dans les Caraïbes. On sait que si Haïti est touché, où on mène des actions à destination des grands brûlés, nous ne pouvons pas fermer les yeux sur les conséquences des catastrophes qui surviendraient.

L’I. M. : Peut-on travailler toute une vie dans l’humanitaire ?

I. M. : Oui, comme moi qui ai commencé sur le terrain et suis ensuite allée au siège. Mais ce sont des postes très prenants et stressants lors des périodes de crises.