De nombreux infirmiers hospitaliers choisissent d’aller travailler dans le secteur privé. Celui-ci peut en effet offrir davantage de perspectives d’évolution et de meilleurs salaires, mais a également sa part d’inconvénients. Mieux vaut donc peser le pour et le contre avant toute décision.
Nous observons une tendance à la fuite des infirmiers de l’hôpital public vers le privé, n’hésite pas à dire Nathalie Depoire, présidente de la Coordination nationale infirmière (CNI). Les conditions de travail se sont tellement dégradées dans le public que les soignants n’en peuvent plus et veulent partir. » Même constat du côté du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI) : « La succession des plans d’économies à l’hôpital, la charge de travail plus importante et la réduction du personnel conduisent les infirmiers à quitter le secteur public. Ils se disent que, quitte à avoir des conditions de travail difficiles, autant travailler dans une clinique à côté de chez soi », observe-t-on au service communication du syndicat.
À ces motifs s’ajoutent souvent des raisons plus personnelles. Laurent (1), IDE anesthésiste durant huit ans dans des services hospitaliers d’urgence, a pu avoir, dans le privé, des horaires lui permettant de concilier vie professionnelle et vie familiale. « Je travaille quatre jours par semaine et je n’ai plus de gardes à assurer. J’ai aussi tous mes jours fériés », explique-t-il.
Le salaire, souvent plus attractif, constitue une motivation supplémentaire, notamment pour les infirmiers spécialisés. Certains IDE gagnent environ de 400 € à 600 € nets de plus par mois. Ce qui n’est pas négligeable ! Le manque de perspectives d’évolution professionnelle fait également partie des griefs des infirmiers qui ont sauté le pas. « Cela devient très compliqué d’évoluer à l’hôpital, estime Sandrine Devors, infirmière de bloc opératoire, qui travaille aujourd’hui dans une société de formation virtuelle. Je voulais devenir cadre mais la « filière » à l’hôpital est un peu bouchée. On vous propose un poste de cadre pendant deux ans puis de passer le concours, mais finalement, on vous dit que cela ne va pas être possible. »
La précarité de plus en plus grande dans les hôpitaux publics devient aussi une cause d’insatisfaction. « J’ai été contractuel pendant un an et demi et je n’avais aucune perspective de titularisation. J’ai fait le choix de m’orienter vers un contrat à durée indéterminée dans le privé », relate Édouard(1), IDE. Carole Dumont, infirmière, n’hésite pas à parler de situation de fragilité lorsque les contrats à durée déterminée s’enchaînent, elle qui a cumulé les contrats de trois mois dans l’attente de sa stagiairisation (lire p. 61).
Enfin, certains infirmiers sont directement contactés par leur réseau. C’est le cas de Christophe Lambard, directeur des soins infirmiers (DSI) à la clinique Saint-Hilaire, à Paris (groupe Ramsay Générale de santé) : « J’ai fait toute ma carrière à l’AP-HP [Assistance publique - hôpitaux de Paris, NDLR] et je suis devenu cadre de santé, puis cadre supérieur. Le choix du privé a été une question d’opportunité. J’ai travaillé dans la formation pour l’AP-HP mais je voulais revenir dans les soins à Paris. Le problème est que j’étais identifié comme formateur. Cela faisait plusieurs fois que le secteur privé me faisait de l’œil. N’ayant pas de poste qui me convenait à l’AP-HP, j’ai passé des entretiens de recrutement et j’ai été embauché comme DSI. »
Pour autant, il est difficile de quantifier les départs du public vers le privé. Pour sa part, Jacques Guillot, directeur des ressources humaines de Ramsay Générale de santé, ne constate pas d’augmentation du nombre d’infirmiers du public candidatant dans le secteur privé. « Nous ne nous positionnons pas en concurrence frontale avec le secteur hospitalier public, remarque-t-il. Nos établissements sont plutôt implantés dans des grandes villes et il y a toujours eu des échanges entre public et privé. Des infirmières de l’hôpital public viennent travailler chez nous et inversement. »
Dans les faits, l’hôpital public reste le plus gros employeur. En 2017, on comptait 433 202 infirmiers hospitaliers dans le public et le privé sur les 660 611 professionnels recensés, dont 116 800 libéraux (2). Selon le SNPI, en 2016, 49 % des infirmiers hospitaliers exerçaient dans le public, contre 14 % dans le privé. L’offre se situe clairement dans le secteur public hospitalier. Mais le turn-over, la mobilité professionnelle et géographique, ainsi que l’évolution de certaines réglementations, contribuent au dynamisme du marché de l’emploi dans le secteur privé.
C’est particulièrement vrai pour les Ibode. Les besoins sont devenus plus importants dans les cliniques afin d’être en conformité avec la législation. En effet, depuis le 1er janvier 2018, seules des Ibode diplômées ou des infirmières ayant entamé une démarche de VAE (validation des acquis de l’expérience) peuvent travailler au bloc opératoire.
Les actes exclusifs pour ces IDE expliquent également le renouvellement dans le public. Selon Laurence Boulou, présidente du Syndicat national des infirmières de bloc opératoire (Snibo), 20 % des Ibode du public partiraient vers le privé. « Les actes exclusifs font qu’elles ont une valeur ajoutée et deviennent des « assistantes » des chirurgiens. Or, les compétences des Ibode sont moins reconnues à l’hôpital public que dans le privé. Il y a une vraie demande dans le privé », souligne-t-elle.
La spécialisation joue donc un rôle sur le marché de l’emploi. Les Iade sont également demandées par les cliniques. Avoir obtenu un ou des diplômes universitaires (DU), par exemple de plaies et cicatrisation, constitue aussi un “plus” pour les IDE.
À cette tendance générale s’ajoutent les particularités locales. Par exemple, Jacques Guillot relève qu’en Île-de-France, les établissements ont des besoins importants en personnel de nuit. En outre, les recrutements s’effectuent au niveau de chaque clinique, même si elles appartiennent à un groupe privé. « Il n’y a pas de profil idéal. Nous recherchons l’adéquation entre les candidats et les besoins », note le DRH.
Les opportunités peuvent donc s’avérer nombreuses. Et les cliniques savent aussi se montrer attractives, en termes de salaires et de conditions de travail. « Il ne faut pas hésiter à négocier », déclare d’ailleurs Laurent. Une infirmière a réussi à négocier la reprise de son ancienneté dans son nouveau poste au sein d’un établissement privé. Mais cela ne concerne pas seulement la rémunération, les infirmiers peuvent aussi indiquer leurs préférences pour le planning. Laurent a ainsi obtenu ses mercredis. Marianne (1), Ibode dans une clinique, travaille trois jours par semaine. Dans les blocs opératoires, les Ibode peuvent effectuer des astreintes mais il s’agit de volontariat. « Les rappels n’existent pas dans le privé », note Édouard. Des aspects qu’apprécient les infirmiers venant du public. Autre avantage : le management de proximité et les circuits de décision courts. « Si vous présentez un projet qui tient la route et répond à un besoin, on va tout de suite vous dire si c’est bon ou non », observe Hacia Hérissé, Ibode qui a travaillé dans le privé, puis dans le public, et a de nouveau rejoint une clinique. « Entre la décision et la mise en œuvre, le délai peut être court, ajoute Christophe Lambard. À l’hôpital, ce n’est pas le cas. Il y a une vraie lourdeur administrative. Vous avez aussi affaire à plusieurs interlocuteurs. Le privé est bien plus réactif. » Un constat partagé par tous les infirmiers interrogés.
Concernant la formation, les avis sont plus nuancés. Hacia Hérissé, comme Carole Dumont, préconise d’exercer à l’hôpital pour pouvoir bénéficier de formations spécialisées. Jacques Guillot met en avant les possibilités proposées par le groupe : « Le secteur privé offre plus de perspectives d’évolution et de souplesse. Nos établissements sont de taille moyenne. L’organisation des équipes permet une vraie relation de proximité avec le management. Les entretiens annuels nous permettent aussi de connaître les aspirations des salariés et leurs souhaits d’évolution et de formation. Au niveau du groupe, nous avons des politiques de mobilité professionnelle. Nous avons mis en place un parcours “Encadrement de proximité” pour former des soignants, 70 à 80 chaque année, à des postes de management intermédiaires. C’est un point que nous mettons en avant, comme les formations spécialisées diplômantes. En fait, la politique de formation du groupe est bien relayée par les établissements. » Concrètement, les politiques de formation peuvent varier d’un groupe à l’autre, et d’un établissement à l’autre.
Le privé n’a pas cependant que des atouts. Généralement, les infirmiers effectuent des journées de douze heures effectives de présence (l’heure du déjeuner n’est pas décomptée). Laurent et Édouard s’accordent à dire que le rythme de travail est dense. Le secteur privé mise en effet sur la rentabilité. Hacia Hérissé et Marianne préfèrent parler d’efficacité. « J’ai travaillé dans une clinique détenue par les chirurgiens. Comme ce sont eux qui payent les salles d’opération, pas question qu’ils arrivent en retard ! » commente Marianne.
Mais cet aspect ne rebute pas ceux qui ont choisi le privé. « C’est vrai qu’au début, j’ai été un peu effrayé par le côté “usine”, mais je me suis habitué. Et finalement, j’aime bien car je suis « speed » moi aussi. Il y a de la pression mais on respecte tous les protocoles. Et l’équipe est très sympa », relate Julien(1), infirmier dans un bloc ophtalmologique dans une clinique, qui s’avoue satisfait d’avoir opté pour ce poste après avoir travaillé une dizaine d’années dans le public. Julien, Hacia et Christophe insistent d’ailleurs sur la qualité de la prise en charge des patients dans leur établissement respectif. « Ce que l’on m’a “vendu” correspond à la réalité. Les choses étaient très claires. Je n’ai pas eu de mauvaise surprise », conclut Laurent.
fonction publique
1- Les prénoms ont été modifiés.
2- Source : Drees/Adeli et Insee. À voir sur : bit.ly/2N8pvvH
→ « Les infirmiers qui quittent le public ne doivent surtout pas démissionner sur un coup de tête ! Mieux vaut prendre une disponibilité », préconise Nathalie Depoire, présidente du syndicat de la Coordination nationale infirmière (CNI). La disponibilité est en effet un dispositif dont peuvent bénéficier tous les agents de la fonction publique. La disponibilité pour convenance personnelle présente deux avantages : l’agent peut tout à fait travailler dans le privé en CDI ; il peut ensuite réintégrer la fonction publique hospitalière sachant qu’il ne retrouvera pas forcément le même poste.
→ À l’hôpital, la durée de cette disponibilité est de dix ans durant toute la carrière du fonctionnaire. En clair, si un infirmier demande deux ans de disponibilité et réintègre au bout de ce laps de temps l’hôpital public, il pourra demander une nouvelle disponibilité de huit ans. La démarche est assez simple : l’agent doit adresser une lettre recommandée avec accusé de réception à son établissement pour faire sa demande trois mois avant la date à laquelle il veut partir. Il doit préciser qu’il s’agit d’une disponibilité pour convenance personnelle ainsi que la durée. Généralement, les infirmiers demandent une disponibilité d’un an ou de deux ans renouvelables. Attention ! Il ne faut pas ensuite oublier de la renouveler avant la “date anniversaire”. Dans le cas de convenance personnelle, l’établissement peut exiger de l’agent de respecter un délai de préavis de trois mois. Mais la “libération” peut intervenir quatre ou cinq mois après la demande si la direction invoque une nécessité de service. Ce qui semble être de plus en plus le cas. Mais pas de panique ! Généralement, l’employeur privé patiente…
Travailler dans le secteur privé ne s’improvise pas. La première étape est de faire le point sur ses réelles motivations de quitter le secteur public, et de noter tous les avantages et inconvénients de chaque secteur. La deuxième est de s’informer sur le marché de l’emploi et de consulter les annonces, mais aussi de faire jouer son réseau comme d’anciens collègues qui ont rejoint des cliniques. Enfin, la troisième étape consiste à répondre aux offres d’emploi en mettant l’accent sur ses compétences, ses expériences, ses diplômes universitaires (DU), ses spécialisations… N’hésitez pas non plus à vous renseigner sur l’établissement ciblé : conditions de travail, ambiance, etc. Cela pourra vous permettre de déceler de potentiels problèmes. « Il faut savoir où on met les pieds ! » résume Marianne, Ibode exerçant dans une clinique. Enfin, lors des entretiens d’embauche, informez-vous sur la reprise de l’ancienneté, le salaire (le privé inclut les primes dans le salaire brut annuel), la complémentaire santé, le comité d’entreprise, les jours de congé, mais aussi la période d’essai (qui peut être de trois mois et/ou renouvelée). Et n’envisagez pas de prendre une disponibilité sans avoir une promesse d’embauche écrite ! Vous pouvez opter aussi pour l’intérim ou les vacations. Le privé emploie en effet de nombreuses vacataires. L’avantage ? Un salaire qui peut être élevé et une organisation plus souple laissant plus de temps libre.