L'infirmière Magazine n° 398 du 01/11/2018

 

FORMATION

FOCUS

Anne-Gaëlle Moulun  

La déambulation chez le patient âgé est un comportement à risque, qui met souvent en difficulté les soignants. Les méthodes non médicamenteuses sont à explorer.

Avec le vieillissement de la population, le nombre de personnes souffrant d’une maladie d’Alzheimer ou maladie apparentée augmente. En effet, on estime qu’il y avait en France 980 000 malades en 2010 et que ce chiffre atteindra 1,5 million en 2030. Les manifestations cliniques de la maladie engendrent des difficultés dans la prise en charge, notamment la nuit, avec les troubles du sommeil, les déambulations nocturnes, les sorties inopinées, les chutes.

Comprendre la déambulation

La déambulation aberrante est définie comme un comportement répétitif, impulsif et aléatoire, de marche et de déplacements incessants et sans but, non contrôlable et à risque pour le patient. Ceux-ci peuvent déambuler jour et nuit pendant plusieurs heures, jusqu’à épuisement dans certains cas(1).

→ La déambulation est présente chez près de 65 % des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer en institution et la fréquence augmente avec la sévérité de la maladie. Elle expose les patients à un risque de chute accru, majoré en institution, où les malades ont un risque de chute multiplié par trois par rapport aux malades vivant hors institution, avec des chiffres pouvant atteindre en moyenne quatre chutes par personne et par an en institution (2). Outre l’aspect médical, l’impact économique est important puisque le coût global des chutes des personnes âgées en France a été estimé à 1,07 milliard d’euros, chiffre qui devrait être revu à la hausse compte tenu de la démographie (3).

→ Plusieurs facteurs expliquent la déambulation nocturne et les insomnies des patients souffrant de la maladie d’Alzheimer : les habitudes de vie antérieures, le stress, l’anxiété, la désorientation, l’inversion du rythme nycthéméral et l’architecture du lieu de vie.

→ En institution, en particulier dans les services non spécialisés, la déambulation est aussi source de difficultés, d’appréhension et de stress pour le personnel soignant. Ce qui conduit à des demandes de recours à des contentions ou de prescriptions de psychotropes. La prise en charge de ces troubles consiste habituellement en le maintien du patient dans sa chambre pour éviter les sorties inopinées ou les fugues. La nuit sera ainsi ponctuée d’actes de surveillance avec administration éventuelle de psychotropes. Le patient risque alors de souffrir du confinement en chambre, alors qu’il ne dort pas, et de subir les effets indésirables des psychotropes, comme des chutes, une majoration des troubles cognitifs ou une somnolence diurne. Le cas échéant, le patient sortira quand même de sa chambre et un risque de sortie inopinée ou de fugue sera à gérer.

Divers facteurs ajoutent aux difficultés, notamment les rythmes imposés en institution, source de nuisance pour les patients. Le coucher a lieu généralement entre 19 h et 21 h. Il est habituel de constater qu’un patient, endormi vers 20 h, se réveille de six à huit heures plus tard, c’est-à-dire entre 2 h et 4 h du matin. Un comportement de déambulation peut alors s’installer. Il en est de même pour un patient qui souffre d’une inversion du rythme nycthéméral. Déambulant, il risque de se perdre et chuter, voire de perturber les autres patients et même d’avoir des comportements agressifs. Lorsqu’un ou plusieurs patients déambulent la nuit, il devient alors difficile pour les soignants en effectif réduit de prodiguer des soins dans les chambres, de répondre aux sollicitations des patients et aux différents aléas.

Approches non médicamenteuses

Il semble à tout égard préférable de favoriser des approches non médicamenteuses, ayant peu d’effets secondaires indésirables, permettant également de respecter la dignité et la liberté d’aller et venir des malades. D’ailleurs, en cas de déambulation, la HAS recommande de proposer des activités alternatives et non pas d’intervention médicamenteuse.

→ Certaines études s’intéressent aux modifications de l’environnement de façon à le rendre plus sûr et plus calmant, comme la luminothérapie(4) ou l’emploi de poupées ou de peluches thérapeutiques(5). Cependant, ces interventions, dont l’efficacité reste modeste quand elles sont correctement évaluées, dans lesquelles le patient et les soignants sont passifs, ne répondent pas à l’exigence éthique de socialisation et de qualité de vie(6). Au contraire, des auteurs mettent l’accent sur les compétences de l’équipe soignante et suggèrent la mise en place d’un climat attentionné, calme, amical et accueillant, où les relations sociales sont valorisées(7). Ainsi, ces auteurs concluent que l’exercice, notamment la marche et les pratiques distractives dont au premier rang la musicothérapie, considérée comme un outil de communication avec les personnes âgées démentes, ont été les interventions les plus acceptables et n’ont suscité aucune préoccupation éthique.

→ Dans ce contexte, il semble intéressant de proposer des activités nocturnes aux patients déambulant la nuit. Ceci peut permettre de mieux canaliser les patients déambulants et de mieux gérer les risques liés à l’éveil nocturne, tout en intégrant ces animations dans les missions et le temps de travail des soignants. C’est ce qui a été expérimenté en 2014, à l’hôpital Sainte-Périne (AP-HP), à Paris, à travers un programme d’animations de nuit (lire ci-dessous). Des activités individuelles ou collectives, telles que des soirées audiovisuelles (cinéma, documentaires, reportages, musique), des jeux ludiques, des activités manuelles (dessins, pochoirs, décorations à thème, peinture) ont été organisées dans les salles à manger ou dans le jardin l’été. Les soignants ont expérimenté une approche récréative et sociale plus respectueuse du rythme de la personne âgée tout en tenant compte de leur histoire de vie. Le concept de l’animation nocturne est ainsi un soin relationnel et un moyen thérapeutique pour apaiser les patients agités.

Un terrain pour la recherche

Dans un contexte de complexité croissante de notre système sanitaire, social et médico-social, marqué par les transitions épidémiologiques, démographiques et technologiques, nos établissements se doivent de développer des approches innovantes pour mieux servir leurs patients. Cette performance, en retour, dépend en grande partie des capacités organisationnelles. La recherche peut apporter des réponses concrètes et novatrices à des problématiques qui se posent à nos établissements. C’est pourquoi la déambulation a fait l’objet d’une recherche pour être mieux définie, et apporter des améliorations dans son analyse, sa compréhension et l’évaluation de sa prise en charge.

1- Algase et al., 1996 ; Tilly et Reed, 2006.

2- Ganz D. A., Bao Y., Shekelle P.G., Rubenstein L.Z., « Will my patient fall ? », Jama, 2007.

3- Auvinet B., Berrut G., Touzard C., Moutel L., Collet N., Chaleil D., Barrey E., « Chute de la personne âgée : de la nécessité d’un travail en réseau », Rev Med Ass Maladie, 2002.

4- Figueiro M.G., Plitnick B.A., Lok A., Jones G. E., Higgins P., Hornick T.R., Rea M.S., « Tailored lighting intervention improves measures of sleep, depression, and agitation in persons », Clin Interv Aging, 2014.

5- Shin J. H. « Doll therapy : an intervention for nursing home residents with dementia », Journal Psychosoc Nurs Ment Health Serv, 2015.

6- Goodall D., Etters L., « The therapeutic use of music on agitated behavior in those with dementia », Holist Nurs Pract. 2005.

7- Edvardsson D., Sandman P.O., Nay R., Karlsson S., « Associations between the working characteristics of nursing staff and the prevalence of behavioral symptoms in people with dementia in residential care », Int Psychogeriatr, 2008.