FORMATION REVUE DE LA LITTÉRATURE
IDE, service d’hygiène hospitalière - CHU Bordeaux
La pratique quotidienne de l’infirmière hygiéniste est centrée sur la prévention des risques infectieux lors des soins, notamment ceux liés aux accès vasculaires. En effet, la mise en place d’un accès vasculaire est un soin infirmier très fréquent présentant un risque d’infection par introduction dans le système vasculaire de micro-organismes présents sur la peau au moment de la ponction.
C’est pourquoi, l’antisepsie cutanée, en réduisant la concentration de ces micro-organismes, représente une mesure importante de prévention des infections associées aux cathéters vasculaires et est donc un enjeu de santé publique. Le choix de l’antiseptique a fait l’objet de recommandations. Toutefois, l’utilisation de deux techniques d’application différentes dans les deux bras d’une étude clinique présentée dans une publication récente (1) a été à l’origine de discussions et ne fait pas l’objet d’un consensus.
En France, la technique d’application n’est pas précisée dans les recommandations nationales (2). Certaines recommandations régionales préconisent la technique de l’escargot, classiquement enseignée dans les instituts de formation. Il s’agit d’appliquer l’antiseptique avec une compresse imprégnée par mouvement circulaire du “plus propre” vers le “plus sale” : « du point de ponction ou de la zone d’incision vers la périphérie » (3, 4), en ne repassant jamais deux fois sur le même endroit avec la même compresse afin de ne pas contaminer à nouveau la zone désinfectée (3, 5).
En février 2010, la chlorhexidine alcoolique 2 % est arrivée sur le marché français avec, comme recommandation d’application, une technique par mouvements d’aller-retour sur le point de ponction (6) ; l’objectif de cette technique d’aller-retour étant de saturer la zone d’incision ou de ponction. Cependant, cette technique est à l’opposé des habitudes de pratiques françaises qui consistent à ne jamais repasser sur une même zone.
Cela amène ainsi à se poser la question suivante : quelle technique d’application d’un antiseptique alcoolique serait la plus efficace sur peau saine avant l’insertion d’un accès vasculaire ?
Une recherche d’articles scientifiques a été réalisée à l’aide du moteur de recherche Pubmed (spécialisé en biologie et en médecine). Quatre mots-clés émanant du questionnement ont été choisis pour élaborer des équations de recherche pertinentes : antisepsie ; peau ; technique d’application ; antiseptique.
→ La notion d’acte invasif n’a pas été incluse dans l’équation de recherche afin de ne pas être trop restrictif et passer à côté d’articles intéressants. Avec le moteur de recherche Pubmed, il est possible d’identifier des articles référencés avec un même mot-clé en utilisant le terme adapté anglo-saxon du thesaurus de référence, le Medical Subject Headings (MeSH). Pour cela, le site HeTop a été utilisé afin de déterminer quels termes du MeSH étaient représentatifs des mots-clés choisis. À noter que Hetop donne une définition du terme MeSH proposé, afin de pouvoir être certain et valider le choix des mots-clés. Pubmed propose un constructeur automatique d’équations qui simplifie la recherche à partir des termes MeSH choisis.
→ Un premier essai d’équation, ((“Skin”[Mesh]) and (“Antisepsis”[Mesh])), s’est avéré incomplet car les termes MeSH “Skin” et “Antisepsis” sont également utilisés pour des articles abordant la désinfection des mains par friction. Afin d’exclure ces articles, la précision NOT “Hand”[Mesh] a été ajoutée à l’équation comprenant ces deux termes.
→ Ainsi, deux équations de recherche ont été utilisées :
• ((“Skin”[Mesh]) AND “Antisepsis”[Mesh]) NOT “Hand”[Mesh]
• (“Administration, Cutaneous”[Mesh]) AND “Anti-Infective Agents, Local”[Mesh]
Il n’a pas été nécessaire de mettre de filtre de date (le nombre d’articles proposés grâce aux équations étant raisonnable), ni de langue.
→ La sélection des articles identifiés par les équations de recherche s’est faite en différentes étapes (après lecture des titres puis des résumés et enfin de l’article dans son intégralité) de façon à déterminer si la question de recherche avait déjà été étudiée. Tous les articles comparant l’efficacité d’un même antiseptique avec des techniques d’application différentes ont été inclus. De plus, afin d’étayer la réflexion, il était intéressant de chercher si l’une des techniques d’application obtenait le plus souvent de meilleurs résultats. Ainsi, les articles présentant la comparaison de différents antiseptiques avec différentes techniques d’application ont également été inclus.
→ Enfin, la recherche a été complétée en lisant les références bibliographiques citées dans les articles sélectionnés ainsi que dans les documents des laboratoires pharmaceutiques commercialisant un antiseptique en solution alcoolique utilisable sur peau saine.
→ Les critères de non-inclusion des articles étaient :
- l’absence de description de la technique d’application de l’antiseptique ;
- l’utilisation d’antiseptique sur des plaies (ou une peau non saine) ;
- l’antisepsie en vue d’une préparation cutanée avant un acte chirurgical.
→ La lecture critique des articles s’est faite grâce aux grilles de lecture proposées par R. Salmi (7). Dans son ouvrage, il met à disposition différentes grilles à choisir selon le schéma d’étude de l’article lu. La grille de lecture aide à l’identification des biais dans l’étude (problème d’inclusion des participants ou de recueil des données, critère de jugement inapproprié…).
Au total, 473 articles ont été retrouvés par les équations de recherche, 52 sélectionnés à la lecture des titres puis 15 après lecture des abstracts (= résumés). Leur lecture complète a permis d’en retenir cinq auxquels quatre se sont ajoutés (trois issus des références bibliographiques des 15 articles lus ; un issu d’un document commercial d’un laboratoire).
Ainsi, à l’issue de la recherche bibliographique, neuf articles ont été retenus. Le schéma 1, que l’on nomme diagramme de flux, présente le processus de sélection de ces articles.
Les résultats montrent, d’une part, que trois des articles comparaient différentes techniques d’application d’un même antiseptique. En Hongrie, Debreceni et al. comparent en 2006 l’application en spray versus compresses imprégnées de Cutasept G® (2-propanol 63 g, benzalkonium chloride 0,025 g) (8).
Une étude anglaise compare deux méthodes d’application d’un même protocole d’antisepsie avant chirurgie du pied (9). Bien qu’il s’agisse d’une antisepsie pré-opératoire, cette étude a été retenue car utilisée comme argument commercial en faveur de l’aller-retour dans des documents du laboratoire Carefusion®. Le protocole consiste en une première application de Povidone Iodine 10 % suivie d’une application de chlorhexidine, puis les orteils non concernés par la chirurgie sont recouverts d’un gant. Pour un groupe, les compresses d’antiseptique étaient simplement apposées entre les orteils ; pour l’autre groupe, l’application se faisait par friction. Ces deux études utilisent des antiseptiques non conformes aux recommandations françaises. La troisième étude compare l’application de la chlorhexidine, avec l’utilisation d’un applicateur ou d’un bâtonnet (10). Du fait d’un sous-dosage en agent neutralisant sur certains prélèvements, les résultats de cet article sont discutables. Ainsi, aucun de ces articles ne permettait de répondre à la question de recherche. D’autre part, six articles comparaient différentes techniques d’application de différents antiseptiques. Et il est intéressant de noter que les meilleurs résultats en termes de réduction de la flore microbienne cutanée et d’infections liées aux cathéters sont obtenus lorsqu’il y a plusieurs passages au niveau du point de ponction : soit par aller-retour (11, 12), soit par plusieurs passages successifs (13-16). Cet élément orientera notre hypothèse mais ne répond pas à la question de recherche, car les antiseptiques utilisés sont différents.
Cette revue de la littérature amène ainsi à poser l’hypothèse : l’application d’un même antiseptique par mouvement « aller-retour » serait plus efficace sur peau saine que l’application en escargot (mouvement circulaire en partant du centre vers la périphérie).
Cette revue de la littérature permet de constater que la technique d’application d’un antiseptique avant un acte invasif est effectuée de façon empirique. Les recommandations, lorsqu’elles existent, ne sont pas uniformes et aucune ne repose sur des données probantes.
Les résultats de cette recherche bibliographique n’apportant pas de données suffisantes, un projet de recherche a été soumis et retenu dans le cadre de l’appel d’offres interne du CHU de Bordeaux, en juillet 2018. La réponse à cette question de recherche pourra permettre de compléter les recommandations nationales de bonnes pratiques pour l’amélioration de la qualité de l’antisepsie cutanée sur peau saine avant l’insertion d’un accès vasculaire.
Les infirmières, quelle que soit leur spécialité, utilisent au quotidien leur esprit critique et leur inventivité pour améliorer la qualité de prise en charge des patients. Mais, il manque souvent la preuve scientifique de l’intérêt et des bénéfices de ces pratiques. La revue de la littérature a été essentielle pour confirmer l’intérêt de ce travail, poser l’hypothèse de recherche et affiner le protocole d’étude. C’est une démarche capitale du processus de recherche afin d’orienter la réflexion pour actualiser les pratiques et construire un protocole de recherche.
CHAQUE MOIS, UNE INFIRMIÈRE RÉALISE UNE REVUE DE LA LITTÉRATURE À PARTIR D’UN QUESTIONNEMENT SUR SA PRATIQUE ET VOUS LIVRE LE RÉSULTAT DE SES RECHERCHES.
EN PARTENARIAT AVEC : LA COMMISSION NATIONALE DES COORDONNATEURS PARAMÉDICAUX DE LA RECHERCHE
L’auteure déclare ne pas avoir de liens d’intérêts
COORDINATION :
VALÉRIE BERGER
IDE, Ph. D., cadre supérieure de santé, coordonnatrice de la recherche en soins CHU de Bordeaux, membre de la CNCPR. valerie.berger@ chu-bordeaux.fr
EMMANUELLE CARTRON IDE, Ph. Ds., coordonnatrice de la recherche en soins CHU de Nantes, membre de la CNCPR. emmanuelle.cartron@ chu-nantes.fr