RELATION SOIGNANT/PATIENT
SUR LE TERRAIN
MON QUOTIDIEN
J’ai été confronté à ce problème dans mes fonctions de cadre de santé en psychiatrie. Une infirmière avait donné son numéro de téléphone à un patient extra-hospitalier. Un matin, la collègue est arrivée épuisée au travail : le patient l’avait appelée la veille en menaçant de mettre fin à ses jours et elle avait passé la nuit à s’en occuper », confie Jean-Marie Revillot. Avec certains patients, une relation humaine plus forte peut se nouer, que ce soit par affinités personnelles ou parce qu’une confiance particulière s’instaure. Et quand ces malades “chouchous” demandent à leur infirmière préférée son numéro de téléphone, elle peut être tentée d’accepter. « Il faut bien faire la distinction entre l’intimité dans le soin et la vie privée, met en garde Jean-Marie Revillot. On peut bien sûr parler un peu de soi avec les patients, mais il ne faut pas leur donner la possibilité de s’introduire dans la sphère personnelle et familiale, car cela peut être assez violent. » Or, donner son numéro personnel, c’est ouvrir la porte de son espace privé.
« Quand on est confronté à cette demande, on peut refuser tout en aidant le patient à réfléchir aux autres solutions qui s’offrent à lui, suggère Jean-Marie Revillot. D’autres sauront répondre à ses attentes : des soignants du service, des professionnels de santé en ville, des personnes de son entourage. Il y a toujours d’autres ressources. » L’IDE peut aussi, en accord avec son encadrement, organiser les soins différemment pour que des collègues y soient associés. « Un désengagement total pourrait être douloureux pour le patient, mais il est important de sortir de l’isolement quand la relation devient trop compliquée », conclut Jean-Marie Revillot.
ANCIEN IDE EN PSYCHIATRIE, CADRE DE SANTÉ, FORMATEUR CONSULTANT ET RESPONSABLE DU DOMAINE CLINIQUE AU GRIEPS, ORGANISME DE FORMATION ET DE CONSEIL EN SANTÉ
→ Garder à l’esprit que le travail reste le travail, même si l’on est très impliquée, et que la sphère privée est sacrée. Une fois qu’on y a donné accès, le retour en arrière est quasiment impossible.
→ Rappeler au patient qu’on n’est pas le seul interlocuteur et que d’autres professionnels de santé compétents l’entourent et peuvent être complémentaires dans le soin. Associer des collègues aux soins pour éviter l’isolement sans se désengager.
→ Donner au patient d’autres ressources : le numéro du service, celui des urgences, celui d’un professionnel libéral de confiance. C’est encore mieux si on peut l’associer à cette recherche, afin qu’il trouve de lui-même les autres solutions qui s’offrent à lui.
→ Quand la relation de soin devient trop complexe, voire inconfortable, se tourner rapidement vers le reste de l’équipe pluridisciplinaire et/ou vers l’encadrement pour trouver ensemble des solutions.
→ Pour les infirmières libérales, la frontière est encore plus difficile à maintenir entre vie professionnelle et sphère privée. L’idéal est donc d’avoir deux téléphones portables, un personnel et un professionnel, et de couper ce dernier à la fin des heures de travail. Un message sur le répondeur pourra indiquer le numéro des urgences les plus proches, à contacter en cas de besoin. Et si l’on partage le portable professionnel avec une collègue, mais que l’on souhaite quand même contacter un patient, penser à passer son numéro personnel en “masqué” ou “inconnu” dans les réglages de son téléphone pour éviter qu’il ne s’affiche sur l’écran de son interlocuteur. Basculer sa ligne fixe vers la “liste rouge” peut aussi être une précaution précieuse.
→ Téléphone et secret professionnel ne font pas bon ménage.
Légalement, rien n’interdit à une IDE de donner son numéro à ses patients si elle le souhaite. « De plus, cela ne l’engage pas à leur fournir des informations sur leur dossier », rappelle Me Renaud de Laubier, avocat spécialisé en droit de la santé. Le juriste souligne cependant que le fait de donner son numéro de téléphone implique de faire passer une relation d’ordre professionnel dans la sphère personnelle. « Des amitiés voire des idylles peuvent se nouer mais attention, dès lors, à ce qui est transmis par téléphone, avertit-il. C’est le médecin qui est dépositaire du secret médical, il est donc interdit de fournir des informations qui sont protégées par cette réserve. »
Il rappelle également que les textos, comme les applications de messagerie, ne sont pas sécurisés. « Les patients qui acceptent de recevoir des résultats sur ces canaux doivent en comprendre et en accepter les risques », insiste Renaud de Laubier. Par téléphone, la confidentialité des échanges n’est pas plus garantie, puisqu’on ne voit pas la personne qui appelle, ni son environnement proche, et qu’il est donc impossible de savoir qui écoute vraiment la conversation.