« À contre-courant du rythme biologique » - L'Infirmière Magazine n° 399 du 01/12/2018 | Espace Infirmier
 

L'infirmière Magazine n° 399 du 01/12/2018

 

INTERVIEW : Nadia TAMENE Infirmière au sein du service de santé au travail du Groupe hospitalier mutualiste (GHM) de grenoble

DOSSIER

I.S.  

Diplômée d’un doctorat de médecine en Algérie, puis de l’Ifsi de Grenoble en 2000, Nadia Tamene a intégré un service d’oncologie ambulatoire à l’institut Daniel- Hollard du GHM durant dix ans. Depuis 2010, elle est IDE dans le service de santé au travail du GHM et sensibilise les équipes de nuit à la nutrition.

L’INFIRMIÈRE MAGAZINE : Qu’est-ce qui vous a poussée à travailler sur l’alimentation des soignants de nuit ?

NADIA TAMENE : Je suis une passionnée de l’alimentation saine ! Pour intégrer ce service, j’ai passé un DIU en santé au travail et j’ai choisi comme thème de mémoire l’alimentation chez les salariés de nuit. En discutant avec le médecin, et lors des entretiens infirmiers que j’ai pu réaliser, il apparaissait clairement que ces salariés témoignaient de leur prise de poids. Avant de passer à une enquête de terrain, j’ai réalisé des recherches théoriques sur trois thèmes majeurs : le rythme circadien, le sommeil et les bases d’une alimentation saine. Il faut rappeler que les différentes fonctions de notre organisme sont programmées sur vingt-quatre heures. Et globalement, le salarié de nuit va travailler à contre-courant de son rythme biologique.

L’I.M. : Quels éléments avez-vous constaté dans votre échantillon ?

N. T. : Sur un échantillon de 80 personnes, j’ai pu exploiter 30 questionnaires complets. Dans les réponses, 60 % ont déclaré avoir pris entre 4 et 6 kg, plus de 50 % ne faisaient pas de sport et plus de 33 % ont estimé avoir une fatigue supérieure à 15 sur l’échelle de Pichot(1). Côté alimentation, pour 55 %, le dîner n’est pas sauté et il est équilibré. La collation de nuit (entre minuit et 2 h) est prise par 43 % mais dans 47 % des cas, elle n’est pas équilibrée et se compose de gâteaux, bonbons et chocolat. Le petit-déjeuner, lui, est bien pris et complet dans 80 % des cas. Quant au déjeuner, 53 % des salariés de nuit le prennent après 15 h mais pour 40 % d’entre eux, il n’est pas équilibré. Quant à la collation de 16 h-17 h, elle est absente dans 33 % des cas. Le niveau de connaissance sur les effets du travail de nuit était correct mais cinq personnes estimaient que le corps assimilait la nourriture de la même manière, le jour et la nuit. Par ailleurs, vingt et une personnes n’avaient jamais reçu d’information ni de formation sur ce sujet alors qu’elles le souhaitaient. Et vingt-six approuvaient l’idée de rencontrer un nutritionniste au début de leur prise de poste.

L’I.M. : Comment avez-vous pu remédier aux difficultés ?

N. T. : J’ai réalisé deux plaquettes à destination des salariés de nuit. L’une reprend les données essentielles à connaître pour bien comprendre ce qui se passe dans son corps et l’autre porte sur l’index glycémique. Quand on travaille de nuit, il faut privilégier les aliments à indice glycémique bas à moyen, car ils favorisent la satiété, comme les fruits secs et les oléagineux pour la collation de l’après-midi. Quand il rentre de sa nuit de travail, le salarié doit opter pour une douche fraîche et non bien chaude, il doit se lever si possible vers 13 h, prendre un repas en famille, quitte à refaire une sieste… En décembre 2015 et en décembre 2016, j’ai réalisé de la sensibilisation échelonnée entre 18 h 30 et 20 h 30 auprès des salariés de nuit avant leur prise de poste. Aujourd’hui, la sensibilisation se poursuit via le cadre de santé responsable de nuit et les plaquettes sont très demandées.

1- L’échelle de fatigue de Pichot permet d’évaluer le niveau de gêne occasionnée par un état de fatigue.

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